Deux idées au fond assez semblables. Le premier dit: «La France est fâchée avec le pays réel.» Le second l’assure: «Le Tour ne veut pas montrer la vraie France.» Nous y voilà.
Ecart. L’un comme l’autre, à leur manière, verbalisent donc ce que nous ressentons confusément depuis des mois. Car les deux sujets ainsi analysés viennent, en effet, du même symptôme. Pour Jacques Lévy, l’hexagone a achevé son urbanisation et, selon lui, les élites continueraient de s’accrocher à une ruralité fantasmée, ce qui entretiendrait des archaïsmes inavouables: pendant qu’on administre une France supposée, une autre poursuit son chemin en accentuant le grand écart. Pour Philippe Bordas, qui n’hésite pas à parler de Céline, de la Commune de Paris, du Peuple du Tour, d’Alfred Jarry et de Thomas Voeckler, nous avons tous oublié que le cyclisme était né dans des pays où la littérature était reine, avec « sa tradition de l’écriture de l’exploit liée à la Grèce, à Pindare, à l’apothéose du geste héroïque » dont la matière « est tragique, romanesque », mais, à force de profanation, une antimagie opère désormais qui a fini par versé la Grande Boucle de l’espace du mythe – la question théâtrale de la temporalité – dans celui du monde marchand. Le constat cruel de Jacques Lévy: «Depuis 1990, l’Insee a élaboré la notion d’aires urbaines pour prendre en compte la périurbanisation. Mais il s’est aperçu que, si on procédait ainsi, il deviendrait patent, à quelques infimes pourcentages près, que toute la population était désormais urbaine. D’une certaine façon, ça ne collait pas avec ce qu’aurait dû être le résultat, une France plus ‘’équilibrée’’ selon la tradition agrarienne. L’institut a donc modifié les critères et, par un coup de baguette magique statistique, a éliminé des millions d’habitants des villes qui en comptent moins de 12.000. Le mythe de la permanence du rural était sauvé.»
Réthorique. Quelle est donc cette volonté qui procède d’une forme de révisionnisme du présent? L’ambition – manipulatrice – de figurer l’image imposée d’une réalité qui ne l’est pas. Car c’est le réel qu’on peut changer, pas le réel supposé. Nous donnerons ainsi raison à Philippe Bordas (dont le magistral «Forcenés» vient d’être publié chez Folio), quand il accuse la médiacratie par ces mots: «La réthorique enroule son drap sur des écritures imitées de la télégraphie ; les papiers replient au format réduit de l’appareil instantané. Les papiers lentement s’obligent de l’objectif froid, obéissant le gris du code civil et le bref de l’agence de presse.» Comment le dire mieux?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 5 juillet 2013.]