Le
29 juin, fête des saints Pierre et Paul, l'Argentine fête
le Día del Pontifice. L'Argentine a un jour pour tout et pour
tous. Par conséquent, pourquoi n'y en aurait-il pas un pour le Pape, tant qu'on y est !
Cristina de Kirchner s'est donc fendue d'une petite lettre de
félicitation à son compatriote désormais
romain. Et cette lettre est à mourir de rire. Un chef d'œuvre de rigolade, un vrai. ¡Bien criollo y bien porteño!
Voici
le texte original, rendu public par l'agence de presse nationale
Télam, et sa traduction en français (comme toujours)...
Olivos
(1), 15 juin 2013
A Sa
Sainteté
François
Cité
du Vatican
A
dire vrai, c'est la première fois que j'écris une
lettre à un Pape. Quant à parler de vous présenter
mes meilleurs vœux à l'occasion de la Fête du Souverain
Pontife ! Pas la moindre idée.
On
m'a dit que c'est toujours le Ministère des Affaires
Etrangères ou le Secrétariat d'Etat au Culte (2) qui
s'en chargeait. Mais comme maintenant le Pape est argentin, il
fallait que ce soit la Présidente qui s'en charge.
On
m'a transmis un modèle de lettre qui m'avait l'air écrit comme une résolution protocolaire du XIIIème
siècle (3).
J'ai
dit : "ça, je
ne signe pas" (4).
Pour ça, mieux vaut continuer à envoyer ce qu'on
envoyait [avant]. Tant et si bien que j'ai pris la liberté de
vous adresser une lettre (j'ai accepté qu'elle soit adressée
à Sa Sainteté bla bla bla, il ne s'agit pas non plus de
tout refuser).
Or
donc, bonne fête du Souverain Pontife. J'espère que vous
aurez reçu le tableau avec les timbres postaux (5) en hommage
à votre pontificat et l'enveloppe contenant le désormais
fameux mate (6)
Mon
idée, c'était de commencer la lettre avec votre prénom selon votre préférence, mais on m'a dit : "Madame
la Présidente, non".
Bon
alors, voilà ! Ont-ils eu raison ? A vrai dire, je
ne sais pas. Mais enfin, on ne va pas se battre pour ça.
Sans
adieu et prenez soin de vous. Buvez du mate (7). Vous me comprenez.
Avec
respect et considération.
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Ce
texte résonne assez bien avec ce qui était perceptible de son état d'esprit au sortir de son entrevue du 18 mars 2013 au Vatican, la veille de
l'installation du Pape, et de cette euphorie qui semblait être la sienne ces jours-là (voir mon article du 19 mars 2013). Il est aussi
d'une couleur assez proche de la lettre que le président du
San Lorenzo de Almagro avait envoyée au Pape fraîchement
élu (voir mon autre article du 19 mars 2013), à ceci
près que la dimension spirituelle du ministère
pétrinien n'échappe pas aux dirigeants due ce club
(on ne peut manifestement pas en dire autant de Cristina, qui s'en préoccupe autant que de son premier bâton de rouge à lèvre). Le texte de la lettre, aussi anti-obséquieuse que possible, comme le
veut la vieille tradition populaire rioplatense de laquelle se réclame Cristina et où l'insolence relève en fait d'un art très codifié, entre aussi en résonance avec le ton que
le Pape a lui-même employé dans l'introduction d'un message qu'il a adressé à ses frères évêques à la veille d'une réunion plénière de la conférence épiscopale
argentine (il s'y excusait de ne "pas
pouvoir y assister, à cause d'engagements pris récemment
– ça sonne bien comme ça ?")
ou celui qu'il déployait, il y a quelques semaines, en
s'adressant au Congrès diocésain de
Rome. Dans l'immense salle Paul VI, tous les participants étaient morts de rire et moi aussi, derrière mon écran en écoutant
en direct ce discours en même temps très consistant et
léger comme une plume. Dans ces occasions-là, il faut parler l'italien pour pouvoir rire avec les Romains, et rien que pour ça, ça
vaut le coup d'apprendre les langues ! (Voir le document traduit en français avec lien vidéo sur le site Internet du
Vatican). La petite incise de Cristina sur l'utilisation du prénom
seul fait penser à un souvenir de leurs entretiens après le Conclave. Et
peut-être est-ce aussi, dans les circonstances présentes, un clin d'œil électoraliste. Mais si
c'est le cas, c'est fait avec classe et talent, sur un ton très représentatif de la culture populaire de ce petit coin du monde.
Il
n'y a guère que La Nación pour trouver à y
redire.
Après les nombreux articles relatifs à la
journée très active du Pape François hier, le
quotidien d'opposition choisissait ce matin de s'offusquer, sur le ton à une vieille institutrice aigrie, que la Présidente ait
attenté à la dignité du Pape ou l'ait réduit à rien (ningunear), ce qui
n'empêche nullement l'éditorialiste de se payer le culot
de faire semblant d'être, lui, dans les petits papiers pontificaux. Certes, il y a dans ses remarques des points très pertinents, en particulier sur le caractère quelque peu narcissique des propos présidentiels (ce que l'élitiste et patricienne La Nación ne saurait souffrir) mais il se montre lui-même tout aussi arrogant, l'humour en moins, lorsqu'il se permet de décrire au lecteur et par le menu une prétendue réaction de l'auguste destinataire, tout droit sortie de son imagination puisqu'il ne sait bien évidemment rien de la manière dont le Pape a pu réagir en lisant la missive en question !
Pour
aller plus loin :
lire
la dépêche de Télam
lire
l'éditorial de La Nación
lire
aussi la dépêche de Télam sur le prochain match
amical que disputeront à Rome, le 14 août, veille de l'Assomption, les Albicelestes et la Squadra
Azzurra, en hommage au Pape (souhaitons-lui de pouvoir se rendre au stade pour assister
personnellement à la rencontre).
(1)
Résidence de campagne des présidents argentins, à
quelques kilomètres de Buenos Aires. Cristina y a emménagé
avec son défunt mari à la fin décembre 2003,
lorsque celui-ci a pris ses fonctions et qu'ils se sont vite rendu
compte qu'il ne leur serait pas possible de continuer à
demeurer dans l'appartement qu'elle occupait en ville pendant les
sessions du Sénat, lorsqu'il était Gouverneur de Santa
Cruz et qu'elle était sénatrice de cette Province du
fin fond de la Patagonie.
(2)
Remarquez le singulier, totalement impossible dans le contexte
institutionnel français, où le Ministre de l'Intérieur
est aussi Ministre DES cultes.
(3)
Autrement dit pour les Argentins, la plus haute Antiquité.
Peut-être l'équivalent en français de "vieux
comme Mathusalem".
(4)
On retrouve ici le style très particulier de la Présidente
tel qu'il est rapporté par la journaliste Sandra Russo (de
Página/12) dans la biographie qu'elle lui a consacrée,
La Presidenta, historia de una vida, Ed. Sudamericana, août
2011. Voir mon article du 26 juillet 2011 sur cet ouvrage (que j'ai
lui depuis : il est très admiratif pour les personnes de Cristina et de Néstor Kirchner, mais il n'en est pas moins très
éclairant).
(5)
Allusion à l'émission philatélique conjointe de
la République Argentine et de l'Etat du Vatican (voir mon article du 30 avril 2013).
(6)
Je ne sais pas à quoi elle fait allusion ici. La veille de
l'installation du Pape (voir mon article du 19 mars 2013), elle lui
avait déjà offert un très joli mate (ce qui a fait beaucoup pour la notoriété dans le monde de cet objet emblématique) et le geste
avait fait très plaisir au Saint Père (cela se
voit sur la vidéo de la rencontre).
Il faut croire qu'elle en aura envoyé un second. Les mates
(récipients), en Argentine, ça se collectionne. Il est
rare qu'il n'y en ait qu'un seul dans une maison.
(7)
Expression sans équivalent en français. C'est un signe
d'affection et de confiance.