« En courant ce matin sur la plage de Cancale, je glisse sur des algues et tombe de tout mon long dans une vase molle, qui sent le varech. Couvert de boue de la tête aux pieds, je retire mon maillots, mon short, mes chaussures et cours plonger dans la baie, où clapote une eau glacée » (p. 187, 31 mars 2011). [1]Après Bruno sportif (qui court absolument partout et tous les jours !!!), Bruno poète, sur la même page, signalant la richesse de cette entrée/journée du 31 mars :
« A ce moment, rien ne me semble plus important que ce prunier, son écorce rongée par la mousse, les branches chargées de ces flocons qui font à terre des centaines de petits berceaux immobiles. Demain, ils seront piqués de brun, ils jauniront et se recroquevilleront comme un fruit pourri, maintenant ils brillent, éparpillés et humides ». [2]Le contenu « réflexif » est encore à l'avenant. La mondialisation, et donc l'impuissance du politique à influer réellement sur les évènements, donc finalement son impuissance face à tout ce qui va si vite ! devient rapidement le fonds de commerce de l'ouvrage. On peut se délecter de sentences entendues mille fois dans mille endroits différents, propagation d'une doxa de bon ton qui retire tout pouvoir à la politique, signale son impuissance, dans un constat mortifère rendu dans une prose technocratique proprement indigeste agrémentée le plus souvent de métaphores éculées :
« Les responsables politiques savent que la plupart des décisions économiques leur échappent : elles sont avant tout le choix des entreprises et du marché. Nous pouvons encore influencer ces décisions ; nous pouvons créer un environnement fiscal favorable ; nous pouvons soutenir des projets ; nous pouvons orienter des investissements. Mais la main qui gouverne ne tire plus toutes les ficelles du capitalisme, elle en tient encore à peine une ou deux, et si elle ne prend pas garde à ses choix, demain elle sera la marionnette et le capitalisme la main » (p. 230, 13 mai 2011) [3]Comparaison n'est pas raison, mais le niveau de réflexion politique est au moins égal aux interventions politiques de Michel Onfray [4]. Le peu d'ampleur réflexive, l'engoncement dans le cliché (qui parcourt tout autant les descriptions au sein de l'ouvrage que la partie proprement analytique de l'ouvrage) est particulièrement inquiétant, car il semble révéler un manque d'imagination terrible, l'impossibilité de dépasser les étroits cadres mentaux les mieux partagés par tous. Derrière ce journal bien tenu, riche en petits moments que n'importe quel écrivain de gare n'aurait pas rechigné à imaginer mais qui seraient donc, ici, vrais ! véridiques ! vécus ! donc de valeur, l'ombre de l'écrivain ne cède jamais le pas à celle du "vrai" politicien que Le Maire est devenu durant son passage au gouvernement Fillon, à celle du communiquant qui essaye de décrocher les bons points sur tous les tableaux, celui de la glorification de son action. Nicolas Sarkozy, qui apparaît souvent, n'est pas vraiment épargné. Sa présence est cependant étrangement neutre, dans la mesure où l'essentiel de ce qu'essaie de faire passer Le Maire du personnage a déjà été décrit ailleurs, par d'autres, en de multiples occasions. Pour autant, à mesure que l'on s'approche de la dernière campagne présidentielle, l'auteur tergiverse, hésite entre une tentative de prouver sa valeur face aux tenants de sa marginalisation progressive dans l'organigramme de la campagne et le respect de l'autorité du chef et de ses plus en plus droitières inflexions présidentielles à mesure que le printemps 2012 se déroulait et que tout espoir de victoire paraissait s'échapper sous les coups de boutoir d'une fuite en avant à laquelle il n'a pas tant participé qu'il en a été un des nombreux complices. Au final, Jours de Pouvoir est un pur acte de communication politique. Il n'est que surface, un agencement de signaux, de la collection dans laquelle l'ouvrage paraît à sa forme, son style et sa composition ainsi que la posture sous laquelle se présente son auteur. C'est ce qui, pour nous, signe son échec. Ce manque de sincérité complet laisse la très désagréable impression d'avoir perdu son temps, couplée à celle des espoirs déçus.
[1] Le lecteur sagace remarquera qu'un suspens terrible (jamais résolu) se pose de savoir si Bruno a aussi enlevé ses chaussettes ou s'il n'en avait pas.
[2] On aurait suggéré, pour encore plus de puissance évocatrice, un point-virgule après « pourri ».
[3] On remarquera qu'à cette occasion, Bruno fait par contre montre de sa parfaite commande de l'utilisation du point virgule...
[4] on se souvient notamment d'une récente tribune du "philosophe" dans Le Monde où il s'improvisait géopoliticien