My Dark Angel – Chapitre 26

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete
Elijah

Ce soir-là, une pluie glaciale prit le relais de la neige. J’avais espéré qu’elle m’apaiserait  quelque peu, qu’elle charrierait avec elle ce détestable sentiment d’être en dessous de tout. Mais il n’en fut rien. Je restai planté sur ce trottoir à la merci de l’eau froide qui ruisselait sur mon visage et qui semblait au contraire attiser une rage que je ne contrôlais pas plus que le reste. J’avais cédé à sa provocation, à cette envie de plus en plus irrépressible de la posséder en dépit de toutes les barrières mentales que j’avais érigées pour ne pas succomber à cette tentation. J’avais lamentablement échoué.

Et pour couronner le tout, ils étaient encore là, tapis à une centaine de mètres, dans une voiture garée à l’abri de la lumière des lampadaires, me rappelant eux-aussi où m’avait conduit mon imprudence et mon aveuglement. Les hommes de Delanay ne me lâchaient plus depuis notre rencontre au bar. J’avais l’impression que les rôles s’inversaient et que j’étais un animal traqué par des hommes que j’aurais pu briser en un tour de main. Dans l’état d’esprit dans lequel j’étais ce soir-là, j’étais très tenté de franchir la distance qui me séparait d’eux pour les extirper de la voiture et les vider de leur sang. Je me moquais bien à ce moment-là de savoir qu’ils ne faisaient que leur travail et obéissaient aux ordres de cet homme qui en savait trop sur moi et sur mon monde. J’étais aveuglé par le tumulte de mes pensées et une colère qu’Angel comptait bien alimenter en dépit du bon sens.

Elle commença dès sa sortie de l’hôtel en ignorant sciemment ma présence pour traverser la rue pour rejoindre le club. Je restai un instant médusé devant le culot de cette peste qui consciemment ou non malmenait mon ego depuis que j’avais fait irruption dans cette chambre sordide. Je l’interceptai en quelques pas en la prenant sans ménagement par le bras.

— Je peux savoir où tu vas ?

Elle me défia à nouveau du regard. Le désarroi qu’elle affichait quelques minutes plus tôt dans la chambre avait disparu pour laisser place à cette attitude butée et froide que je ne lui avais pas revue depuis les premiers jours de nos retrouvailles.

— A ma place, me répondit-elle avec mépris en tentant de dégager son bras prisonnier.

Mais j’affirmai ma prise pour qu’elle cesse ses gesticulations. D’autant que nous étions au beau milieu de la route et en train de nous donner en spectacle aux deux policiers en filature. Ce n’était ni le lieu ni le moment de faire ce genre d’esclandre. Je saisis son visage d’une main et plantai mon regard dans le sien.

— Monte dans la voiture. Tout de suite ! lui intimai-je en usant de mes pouvoirs d’hypnose.

Elle cligna des yeux et me dévisagea, totalement abasourdie par ce que je venais de faire mais n’eut pas d’autre choix que d’obtempérer.

Nous reprîmes le chemin de mon appartement dans un silence pesant. La voiture de police nous suivait toujours. Angel ne s’en était pas rendu compte. Elle avait détourné le visage vers la vitre mais à sa respiration saccadée et ses poings serrés sur les pans de son manteau qu’elle maintenait sur ses jambes dénudées, je pouvais aisément sentir sa propre colère. Je l’avais heurtée autant qu’elle m’avait blessé et j’avais le désagréable pressentiment que ce jeu du coup pour coup était loin d’être terminé.

Il se confirma à peine avais-je refermé la porte de l’appartement.

— Tu devrais peut-être la verrouiller ou mieux utiliser à nouveau tes pouvoirs pour m’empêcher de sortir, persifla-t-elle.

— Ne me tente pas, répliquai-je sèchement en m’éloignant déjà dans le couloir dans l’espoir de la dissuader de poursuivre dans cette voie.

J’avais encore la stupidité de croire cela possible. Belle illusion.

— Tu me punis pour quoi au juste ? Pour ce que j’ai failli faire ou pour ce que, toi, tu as fait ? me lança-t-elle.

Je me figeai net et me tournai vers elle pour la dévisager. Elle avait vu juste. Bien entendu que je lui en voulais d’avoir ne serait-ce qu’envisager s’avilir à nouveau de la sorte mais aussi de mettre conduit de cette manière. Mais ce n’était pas cela qui m’interloqua.

— Te « punir » ? répétai-je complètement éberlué.

A croire qu’elle le faisait exprès. Après ce qui venait de se passer entre nous et ces semaines à tenter de ne voir en elle qu’une adulte, l’emploi de ce terme me sembla sur le moment saugrenu et grotesque. Mais tout compte fait, cela ne l’était pas tant que cela.

— Il a un peu de cela effectivement, finis-je par admettre à voix haute en évitant son regard.

  Je lui en voulais de manière tout à fait injuste et irrationnelle. Elle n’était plus cette lueur espoir à laquelle je m’étais raccroché pour ne pas sombrer et que j’avais espéré retrouver en renouant le contact avec elle. Elle était une faiblesse que je n’arrivais pas à combattre, celle qui faisait resurgir mes pires instincts. J’avais traqué et torturé ceux qui l’avaient blessée, je m’étais exposé aux yeux des humains de manière irréfléchie et ce qui m’horrifiait le plus était cette furieuse envie de la gifler à nouveau alors que son regard insolent me provoquait ouvertement. La gifler… ou de jouir encore de ce corps qui s’était plié  à mes désirs sans la moindre retenue. Je me fustigeai mentalement de me laisser submerger par ces pensées indignes que je n’arrivais même plus à contrôler.

Je tournai les talons. Il fallait que je m’éloigne d’elle, que je me retrouve seul pour faire le vide au risque de perdre pied. Mais surtout elle ne devait pas se rendre compte de cette confusion qui m’agitait et que je tâchai de lui dissimuler derrière une froideur de pure façade.

— Ne me tourne pas le dos et réponds-moi, espèce de foutu lâche ! explosa-t-elle alors que j’entendais ses pas juste derrière moi.

— Ça suffit. Va te coucher, lui intimai-je le plus posément possible.

— Sans payer la chambre avant : jamais de la vie, s’offusqua-t-elle faussement.

Je me figeai aussitôt. Je la sentais derrière moi guettant ma réaction face à cette nouvelle provocation. Je finis par me retourner pour lui faire face. Elle avait laissé glisser son manteau par terre pour exhiber cette robe vulgaire que je mourrais d’envie de lui arracher sur le champ.

— Pourquoi me provoques-tu de cette manière ? Qu’est-ce que tu attends ? lui demandai-je.

— Rien. Je te prends juste au mot. « Je ne vaux pas plus que cela », c’est bien ce que tu as dit ? répliqua-t-elle avec un aplomb qui contrastait avec l’absurdité qu’elle venait de me sortir.

Pourtant, elle en était certainement convaincue. Sans cela pourquoi se serait-elle jetée dans les pattes de Tony aussi rapidement ?  Pourquoi persistait-elle à me sortir de genre phrase grotesque ? Elle n’arriverait sans doute pas à se départir seule de cette idée martelée par son tortionnaire pendant des années. Curieusement, cette ultime provocation fut comme un véritable électrochoc qui me remit quelque peu les idées en place. C’était cela le problème : Greg. Son ombre planait toujours entre nous malgré sa mort. Je l’avais laissé semer les graines de cette plante venimeuse dans mon esprit. Elle n’avait cessé de croître pendant des jours, investissant chacune de mes pensées. Mais je n’étais pas comme lui, je n’étais pas lui. J’aimais autant que je désirais cette femme forte et pourtant si fragile qui me défiait en permanence. J’étais prêt à tout pour elle. Mais contrairement à moi, elle restait dans le brouillard. Elle ne savait toujours pas qui elle était sans doute parce qu’il ne l’avait jamais autorisée à le découvrir.

Elle attendait ma réaction d’air impassible mais n’avait certainement pas anticipée celle que je lui réservais.

— D’accord… comme tu veux, répondis-je en ouvrant la porte de la chambre devant laquelle nous nous étions arrêtés. Entre.

Elle eut une brève expression de surprise. Elle resta immobile, son regard allant de l’intérieur de la chambre à mon visage sans doute pour jauger le crédit qu’elle pouvait donner à mes paroles. Elle ne s’attendait visiblement pas à ce genre de réponse et c’était bien là- dessus que je comptais. L’inquiétude qui l’avait gagnée ne fit que s’amplifier lorsque je l’agrippai rudement par le bras pour la faire entrer sans ménagement. Elle se figea au milieu de la pièce pendant que je me débarrassai de ma veste que je déposai sur le dossier d’un fauteuil. Elle suivait chacun de mes gestes avec une anxiété grandissante. Je ne précipitai sciemment aucun d’eux. Je m’approchai du lit et je jetai un coup d’œil dans sa direction lorsque je sortis de ma poche une liasse de billets. Elle se troubla. Sa lèvre inférieure trembla légèrement mais elle lutta pour se ressaisir.  La partie s’annonçait plus difficile que je ne l’imaginais.

— A combien t’estimes-tu Angel ? lui demandai-je aussi froidement que possible.

Elle me lança un regard méprisant.

— Va te faire foutre, me souffla-t-elle entre ses dents serrées.

— Justement, fixes-en le prix ! raillai-je en faisait glisser les billets d’une main à l’autre.

Je m’horrifiai moi-même de ce que j’étais en train de faire mais je ne devais rien laisser paraître. C’était devenu nécessaire. Son masque à elle en revanche se fissurait doucement mais sûrement. Elle baissa la tête et je la vis fermer farouchement les yeux pour retenir ses larmes.

— Comme j’ai déjà eu un aperçu de tes talents, je vais t’estimer  moi-même si tu le permets, continuai-je impitoyable en jetant négligemment les billets sur le lit.

— Espèce de salopard…lâcha-t-elle dans un souffle d’une voix étranglée.

J’émis quelques claquements de langue désapprobateurs.

— Règle n°1 : on n’insulte pas les clients.

Elle fit soudain volte face pour partir mais je m’interposai aussitôt entre la porte et elle.

— Règle n°2 : quand on fixe les règles d’un jeu ; on va jusqu’au bout. Déshabille-toi, lui ordonnai-je alors que je déboutonnais les boutons de ma chemise.

— Non…, refusa-t-elle en reculant pour me fuir.

Lorsqu’elle heurta le montant du lit, elle s’en écarta vivement mais je fus sur elle avant qu’elle ne se réfugie dans la salle de bain vers laquelle s’était posé son regard l’espace d’une brève seconde. Je la fis basculer sur le matelas. Elle paniqua ouvertement. J’entendis ses battements de cœur s’affoler. Elle lâcha une plainte et tenta d’atteindre le bord opposé du lit. Mais j’avortai sa tentative de fuite en lui agrippant les chevilles pour l’attirer à moi. Elle fut bientôt prisonnière de mon poids, ses poignets entravés par mes mains. Je craignais par-dessus tout qu’elle cesse de se débattre et qu’elle se résigne. Pourtant, à mon grand désespoir,  elle ne tarda pas à capituler. Son corps secoué par ses pleurs se fit d’une docilité affligeante. Elle détourna son visage baigné de larmes. Je m’en saisis pour qu’elle me regarde mais elle ferma aussitôt les yeux.

— Regarde-moi ! lui intimai-je.

Elle m’obéit. La détresse que j’y lisais était insupportable.

— C’est de cette manière que tu veux que je te traite ? lui demandai-je.

Mon visage était si prêt du sien que mon souffle irrégulier vint caresser ses lèvres d’où échappa bientôt un sanglot. Ses larmes coulaient librement sur mes doigts ancrés dans ses joues sans qu’elle tente de les retenir.

— Non, répondit-elle dans un murmure.

— Je n’ai rien entendu, la provoquai-je.

— Non ! répéta-t-elle plus fermement.

— Alors pourquoi me laisses-tu faire ? Pourquoi m’as-tu provoqué de cette manière ?

Ses grands yeux verts papillonnèrent d’incompréhension. Je libérai ses mains que je n’avais pas lâchées et effaçai d’une caresse son visage pour effacer les traces de maquillage que ses larmes avaient fait couler.

— Pourquoi ? réitérai-je doucement.

Elle resta un long moment silencieuse. Elle me fixait à la fois perdue et apeurée sans oser me répondre. J’aurais donné n’importe quoi pour connaître ses pensées à ce moment-là même si je connaissais parfaitement la réponse qui se faisait attendre.

 — Je …je n’ai rien connu d’autre. Je ne sais pas…

Sa voix s’étrangla. Elle se mordit la lèvre inférieure pour réprimer un autre sanglot. Lorsqu’elle la libéra, je m’en emparai doucement et la mordillai à mon tour.

— Laisse-moi t’apprendre alors, soufflai-je alors que ma bouche effleurait la sienne.

Je me redressai et l’invitai à faire de même pour la débarrasser de cette maudite robe que j’envoyai valser à l’autre bout de la pièce. Après une brève hésitation, elle approcha timidement ses mains de ma ceinture de pantalon. Mais j’entravai aussitôt son geste. Elle me fixa sans comprendre.

— Cette fois, ce sera uniquement pour toi. Ton plaisir, pas le mien.

Son expression de surprise et ses joues empourprées m’arrachèrent un sourire. Elle était décidément déconcertante de contradictions.

— Allonge-toi, lui intimai-je doucement en accompagnant son mouvement.

— Et là je suis censée me laisser faire ? me demanda-t-elle.

Son désir la faisait haleter. Elle se cambra pour aller spontanément à ma rencontre. Son impatience soudaine ne fit qu’attiser le mien mais il n’était nullement question  de moi cette fois.

— Sûrement pas. C’est toi qui décides de ce que tu veux, exhalai-je tout contre sa bouche.

Je devinais un sourire qui éclaira son regard d’une lueur malicieuse. Elle plongea ses doigts dans mes cheveux et les fit descendre lentement le long ma nuque avec des frôlements si tenus cela en était presque une torture. Je tressaillis sous cette caresse à peine perceptible  qui s’accentua lorsqu’elle parcourut mes épaules. Ses mains vinrent se poser sur ces dernières et exercèrent une légère pression pour m’inciter à aller découvrir ce corps gracile qui ondulait langoureusement sous le mien. J’obtempérai à son ordre implicite. Je caressai sa poitrine de mon torse avant de venir y déposer mes lèvres. Mes baisers et mes caresses qui parcouraient sa peau chaude au goût de sel la faisaient frémir et gémir sans retenue. Elle s’offrit à chacune d’entre elles en me faisant clairement comprendre ce qu’elle voulait et comment elle le voulait. Ma bouche et mes mains se laissaient guider, dociles et obéissantes. Je m’amusai un premier temps de ce petit jeu et de cette fougue avec laquelle elle dirigeait mes gestes mais très vite mon propre désir devint une douleur si cuisante que je finis par me maudire de m’être interdit de l’assouvir. Je m’efforçais de le contenir en me concentrant uniquement sur le sien lorsqu’elle m’agrippa soudain par les cheveux pour m’attirer vers sa bouche. Je m’en emparai avidement comme une maigre consolation. Ses hanches pressées contre les miennes me mettaient au supplice. Elle était toute entière mon véritable supplice. Elle me repoussa légèrement pour rompre notre baiser.

— C’est toujours moi qui décide ? me demanda-t-elle haletante.

— Toujours, oui, lui concédai-je à regret. Qu’est-ce que tu veux ?

Elle plongea son regard clair et enfiévré dans le mien et me répondit sans aucune hésitation :

— Toi. Comme tout à l’heure à l’hôtel.

J’exhalai brutalement l’air que j’avais emprisonné pour me donner un minimum de contenance. Pour un peu, je l’aurais presque remerciée.

J’accédai à sa requête. Je n’étais plus en mesure de faire autrement. J’étais définitivement vaincu et ce depuis longtemps.