Je n’étais pas franchement sûre d’aller voir cette Écume des jours. La première raison en est que je n’aime pas trop le roman de Boris Vian, en fait – oui, je sais, ça ne se dit pas en public, mais pourtant voilà, c’est ainsi. Je l’ai lu dans ma jeunesse, mais trop de jeux, trop de néologisme, trop de tics, trop de toc : ce qui aurait pu m’amuser au plus haut point m’a vite fatiguée, puis carrément agacée. Je craignais de ressentir à peu près la même chose devant une adaptation cinématographique. Deuxième raison, c’est le casting des deux personnages principaux : je ne déteste pas Romain Duris ni Audrey Tautou, mais, si je les ai l’un et l’autre trouvés bons au moins une fois, je les ai aussi vus capables du pire, car ce sont deux grands acteurs minaudeurs à leurs heures.
Mais voilà, Michel Gondry, c’est un peu le type dont tu te dis « Ah oui, encore ses trucs un peu farfelus », et qui finit par te coincer à l’improviste par une vague de poésie qui te renverse, tellement on n’a pas l’habitude d’en rencontrer des comme ça. Et puis je crois que j’ai vu tous ses longs métrages de fiction, à part (pour l’instant) The We and the I que j’ai raté en salles.
Eh bien il s’est donc passé exactement ce dont je parle au-dessus. Là aussi beaucoup de jeux, et beaucoup de « néologismes » de langage cinéma à proprement parler… Mais pourtant rien ne sonne vraiment creux ni même vraiment artificiel. Enfin, si, peut-être un peu, mais tout est tellement baigné de plaisir, de fraîcheur de l’invention, d’étonnement… L’inventivité est l’une des rares choses qui arrive à m’impressionner chez les gens, et encore plus quand elle se couple à de la créativité et, à plus forte raison, à de la poésie. Et je suis encore plus impressionnée lorsque ce souffle créatif ne souffre d’aucune baisse de régime, malgré les années, malgré les succès, malgré toutes les choses déjà faites, déjà expérimentées.
Les deux acteurs principaux sont plutôt bons. Et, on pourra dire ce qu’on voudra, Audrey Tautou, au-delà de sa moue que l’on a tant et tant vue, a surtout un phrasé très particulier, très direct, qui parfois, mal dirigé, peut sonner atrocement faux, mais qui peut aussi donner quelque chose de très unique. Duris est assez canalisé ici, plutôt charmant, et Omar Sy comme d’habitude semble s’en donner à coeur joie – là encore on a un bel exemple d’un comédien « à succès » qui ne s’essouffle pas et qui garde comme moteur son plaisir, son amusement, et sa grande générosité de jeu avec ses partenaires. Et puis il y a Charlotte Le Bon, que j’appelle « la Rose Byrne française », toute mignonne et avec un talent comique assez subtil.
Le film a un côté très français, à tous points de vue. Le passage au-dessus des Halles est assez magique, même si dangereux sur le papier. Toutes les références franco-françaises sont là, ainsi que les jeux de mots. Rien n’est « lissé », malgré la carrière depuis longtemps internationale du réalisateur. Le film est-il facilement exportable à l’étranger ? Je me le demande, et je trouve ça assez fabuleux qu’il ne le soit pas vraiment à la base… mais qu’il le devienne par le côté « sans frontières » de son propos et de sa mise en scène.
Pour le reste, c’est donc plein de trouvailles, visuelles essentiellement, et même si on est à la lisière du « toc » dont je parlais plus haut, pour ma part je suis toujours restée dans l’émerveillement, d’autant que le rythme du film est plutôt bien tenu. L’affadissement des couleurs final est assez bouleversant – simple évidemment, mais le côté bricolage de l’exécution ajoute quelque chose d’incroyable.
C’est d’ailleurs exactement cette association qui fait tout le talent – allez, parlons de génie ? – de Michel Gondry, cet équilibre entre « Mais comment a-t-il fait ? » et « Mais pourquoi n’y a-t-on pas pensé avant ? ». Ponctué par un gros sourire intérieur.