Sur ta terrasse qui alors se pare des charmes d’une scène de théâtre, ce ne sont plus des mots doux que tu
La ville, sous la terrasse, le monde, les voisins : tout cela n’existe plus. Tu frappes et tes poings jamais ne font ce bruit mat, ce bruit que tu aimes pourtant, ce bruit de peau blessée. Tu frappes son fantôme, tu frappes l’air du soir. Tu insultes les limbes et tes cris concurrencent le silence, recouvrent le monde de toute ta haine.
La scène s’éternise, le spectateur se lasse, mais l’actrice est trop prise par son rôle tragique. Combien de temps ? Quelques minutes où tes cris vont tutoyer la lune. Des secondes qui, demain, n’auront jamais existé. Tu frappes. Ton corps au bout de quelque temps te rappelle à l’ordre : tu fatigues, une douleur lancinante dans ton genou presque mort t’empêche de continuer. Tes poings s’effondrent le long de ton corps.
Tel un enfant qui, réveillé, contemple encore effrayé les horreurs de son cauchemar, tes yeux s’agrandissent devant le vide laissé par cette ombre que tu as fabriquée. Le pantin n’est plus là. Les mâchoires carrées, les yeux grands comme la terre se sont dissipés, ont rejoint l’atmosphère sur le dos velouté de quelque sombre chimère.
Tu es seule, encore. Seule avec tes lambeaux de haine, de peine, avec tes souvenirs d’étreintes, avec son parfum si lointain que tu penses le perdre.
Tu prends peur désormais. Debout sur ta terrasse, debout sur le monde et sur ta solitude, tu crains de ne plus savoir à quoi il ressemble. Tes mains ne peuvent plus rien dessiner. S’il ne revient pas. S’il ne revient pas comment donc feras-tu pour le redessiner. Ses traits lentement s’effaceront de ta mémoire pour laisser place à un homme informe et sans voix. Comme s’il était mort. Comme si jamais votre histoire n’avait vu le jour ou la nuit. Tu sais que ta mémoire n’est plus ce qu’elle était, tu sais que des morceaux de souvenirs s’éparpillent au gré du vent. Peut-être même qu’un jour, lorsque tu seras vieille, plus rien de ta vie ne se mettra dans l’ordre ; le mot chronologie sera un mystère et seuls les souvenirs les plus vieux referont surface, nets, frais comme la veille, clairs comme l’enfance. Peut-être l’oublieras-tu, lui, son cortège de caresses, les minutes et les heures perdues dans ses bras, dans sa bouche. Tu te sens comme folle. Mais l’amour, tu le sais, rend un peu fou parfois, personne n’y échappe.