« Management et Marketing de la Mode » propose une visite à 360° en backstage, là où la mode se conçoit, se décide et se développe. Un « Must Have » pour quiconque travaille ou rêve d’œuvrer dans ce secteur. On en profite pour mieux cerner ses enjeux actuels avec son auteur, Lucile Salesses.
Lucile Salesses tient à associer Monsieur Daniel Wertel, Président du Syndicat de Paris de la mode féminine, Président de Mod’Spé Paris et Vice Président de la Fédération Française du Prêt-à-Porter Féminin, pour son concours à ce bref panorama.
Comment la Mode évolue dans ce monde qui change ?
Lucile Salesses & Daniel Wertel : Depuis 20 ans, tous les secteurs d’activité connaissent de profondes mutations liées notamment à la mondialisation, au digital, aux nouvelles attentes des consommateurs, à l’injonction au développement durable et à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), au basculement des forces géopolitiques et des pouvoirs de négociation nord/sud-ouest/est…
Le secteur de la mode s’adapte aux évolutions en initiant de nouvelles pratiques, ce qui lui permet de garder sa légitimité de précurseur.
Il choisit dans la modernité technologique ce dont il a besoin, tout en conservant ses racines, ce qui fait sa force.La mode est un jeu d’interactions subtiles entre le présent et le passé, entre la rue et les marques. Les marques les plus proactives, attentives aux évolutions socio-économiques, servent le consommateur d’aujourd’hui tout en prévoyant la rencontre avec celui de demain. Quant à la rue, elle s’empare de l’image d’elle-même que projettent les marques, pour la customiser. Le consommateur, lui, oscille entre modernité et classicisme, réassurance et témérité.
Dans le secteur de la mode, la mondialisation a conduit à la redistribution des rôles. La prédominance de la mode française a de fait cessé, en revanche, la France bénéficie aujourd’hui d’un fort capital image.
Les pays émergents, sous-traitants à l’origine, deviennent acteurs des créations et consommateurs de leurs productions. Ils acquièrent le statut de concurrents directs et il faut donc s’attendre à ce qu’un jour Moscou ou Pékin, à moins que ce ne soit Brazzaville, se revendiquent comme Capitale de la Mode.
De plus, la mondialisation entraine une « nucléarisation » des marchés. Si les marques peuvent encore communiquer sur une image globale, elles ne peuvent plus commercialiser sans se préoccuper des marchés régionaux (à l’image de territoires continentaux). Impossible par exemple de vendre en Chine et en Asie du Sud-est les mêmes produits et les mêmes images sous peine de se couper des spécificités culturelles et marchandes de ces zones régionales.
Quels sont les enjeux pour la Mode française ?
Lucile Salesses & Daniel Wertel : Pour la France, les enjeux identifiés sont des enjeux de résistance et de reconquête avec le « Made in France », et certainement aussi avec le « Créé en France » et le « Financé en France ».
Revitaliser la marque France, passe par la dynamisation du réseau d’entreprises créatives, celles qui font le pari courageux d’un produit à forte identité, mettent en perspective le message stylistique du créateur et les attentes du consommateur.
Identifier et proposer des solutions de business-model performants alternatifs en injectant : créativité, distribution, financement et internationalisation. L’export est une des solutions mais elle est insuffisante. De même, les nouvelles technologies et Internet à eux seuls sont insuffisants, ils sont les composants d’une réflexion globale.
Les entreprises de mode doivent créer leur propre réseau de distribution : magasin réel ou virtuel et au mieux le croisement des deux. Ce qui permet d’une part, d’améliorer chiffre d’affaires et marge et, d’autre part, d’être au contact direct du consommateur, d’obtenir un retour immédiat de perception afin d’ajuster la pertinence produit.
Pour accompagner la mondialisation, il s’agit de jouer la carte des particularités. Et accepter que la création se déplace vers les pays émergents. A la suite d’un engouement pour les marques de mode occidentales, nous assistons à l’émergence de créations Made in BRICS (NDLR : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Cette démarche valorise le sentiment d’appartenance au pays d’origine contre lequel il est difficile de lutter et qu’il faut prendre en compte dans les stratégies des marques. Une meilleure connaissance de l’interculturel est fondamentale pour faire face à cette problématique.
Par nature le secteur de la mode innove et s’adapte, et les organisations professionnelles ont un rôle important à jouer dans ces évolutions. Elles doivent faire preuve de conviction et faire connaître en termes clairs et opérationnels aux entreprises, les réflexions et études que leur position d’observateur et d’expert leur permet de formuler.
Dans cette nouvelle donne, les professionnels sont-ils « condamnés » à évoluer ?
Lucile Salesses & Daniel Wertel : Longtemps divisée entre le sublime, l’émotionnel (défilés, peoplelisation du secteur…) et le rationnel (la réalité des usines, les processus de production, le marketing…), la mode a aujourd’hui besoin d’une refonte de ses repères, de ses croyances.
Depuis toujours, le secteur est considéré comme annonceur des tendances à venir. La rapidité des systèmes d’information actuels l’oblige à repenser ses processus de diffusion des tendances.
Dans le même temps, il s’agit pour les professionnels de la mode d’approcher de nouveaux territoires plus réactifs, via l’outil digital, en travaillant plus sur les profils générationnels des zones marchandes concernées par leurs produits. Par exemple, sur la zone Nord vieillissante, il faudra donner la priorité aux matériaux, aux modes d’accès et de délivrance, mieux profilés pour ces types de consommateurs.
Dans votre livre, vous faites un focus particulier sur l’univers des collections et le retail. Deux clés pour le succès ?
Lucile Salesses & Daniel Wertel : Les collections et le retail sont des pierres angulaires des métiers de la mode. Les univers des collections doivent respecter une double contrainte : des éléments enchanteurs et des réalités concrètes et perçues par les clients.
Le retail sera, lui, de plus en plus digitalisé. Pour des questions d’adéquation à l’air du temps.
Aussi, les éléments du mix doivent être revus. Un format universel avec un contenu local fort doit être adopté. De même, il est nécessaire d’envisager des rythmes de renouvellement moins rapides et moins anticipés, pour ne pas se retrouver dans des décalages thermiques comme ce fut le cas lors des dernières saisons. Ceci implique de restreindre les séries et les multiplications des lignes.
Lucile Salesses
Collection: Marketing sectoriel, Dunod
2013 – 256 pages – 170×240 mm
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