Portrait croisé, entre science et culture, de la légendaire constellation du Scorpion qui se promène bas sur l'horizon durant les douces soirées d'été.
Si quand on prononce le nom d' Orion, Grand Chasseur originaire de Béotie, on pense immédiatement au ciel d'hiver, le nom du Scorpion ( Scorpius) nous renvoie aux premières douceurs des nuits d'été ... Avec le Cygne, l'Aigle, la Lyre (tous trois ont leurs étoiles les plus brillantes qui tracent l'astérisme du Triangle de l'Eté) et Hercule, la mythique constellation du Scorpion domine les belles soirées de nos vacances. Pourtant, il s'en est fallu de peu qu'elle nous échappe ... Très basse au-dessus de l'horizon sud quand elle passe le méridien, la constellation est fréquemment estompée par la brume (et la pollution lumineuse de nos cités tentaculaires ...), si bien que dans les régions septentrionales (au-delà de 50° de latitude), ses étoiles paraissent souvent endormies. Son coeur rougeoyant, l'étoile Antarès, nous évoque malgré tout le feu. Le feu envahissant d'une supergéante rouge au bord de l'explosion ... Le nom d' Antarès se traduit par la rivale d'Arès/Mars ( Anti-Ares), Dieu de la Guerre.
Durant l'antiquité, la constellation voisine de la Balance ( Libra) représentait les pinces du Scorpion géant ( Scorpion Céleste). En témoignent de nos jours, les deux étoiles les plus brillantes de cette timide constellation : Zubeneschamali et Zubenelgenubi dont les noms arabes se traduisent par la "pince du nord" et la "pince du sud". Assimilé à la destruction dans de nombreuses cultures, la constellation représentait dans les mythologies de langue Akkadienne MUL.GIR.TAB ou Girtablilu, étonnant Homme-Scorpion dont l'image nous rappelle le Centaure/Sagittaire Chiron (constellation voisine). Il est le gardien de l'entrée des mondes souterrains dont les portes sont franchies chaque matin par le dieu du Soleil Shamash. Plus tard, la civilisation greco-romaine a vue dans cette créature originaire de la nuit des temps (une des premières formes de vie à avoir quitté les océans il y a 450 millions d'années !), l'une des causes du renversement du char éconduit par Phaéton. Craignant d'être piqué, le jeune homme précipita le char du Soleil "hors des chemins tracés" ... Une catastrophe qui mit alors le feu à la Terre/Gaia toute entière, comme nous le conte avec verve et poésie Ovide :
"En un endroit, le Scorpion arrondit ses pattes en un double arc et de sa queue, de se s pinces recourbées de part et d'autre, il occupe, avec ses membres étalés, la place de deux signes. Quand le jeune homme [Phaéton] le vit, tout moite du suintement d'un noir venin, menacer de le blesser de son dard incurvé, perdant la tête et, glacé de terreur, il lâcha les rênes. Dés que, flottant sur leur échine, elles la touchèrent, les chevaux s'emballent, et personne ne les retenant, ils fendent les airs d'une région inconnue ; partout où leur fougue les emporte, ils se ruent sans retenue ; ils font irruption dans les constellations fixées aux hauteurs de l'éther ; ils entrainent le char hors des chemins tracés. [...]"
Les Métamorphoses, Livre II ...
N'oublions pas enfin que la même divinité, "mère de tous les êtres vivants", fit jaillir des entrailles de la Terre, un Scorpion géant pour qu'il plante aussitôt son aiguillon dans le pied de l'orgueilleux Orion ... Ce dernier s'était en effet vanter devant Artemis que plus aucune bête en ce monde ne pouvait échapper à ses armes. Après sa chute, le Chasseur fut porté au ciel par Zeus afin que les Hommes se souviennent à jamais qu'à l'instar d'Orion, on trouve toujours plus fort que soi ... En mai, sentant l'air se réchauffer, on peut voir le Géant se hâter de quitter le firmament par l'Occident avant que ne revienne le ... Sous nos latitudes tempérées, la créature ne se montre que brièvement de juin à la mi-août.
Ce n'est pas tout à fait un coeur qui saigne mais une étoile massive qui n'en finit pas de gonfler (les observations indiquent une taille 400 fois supérieure à celle du Soleil !). En refroidissant, ses couches externes se teignent en rouge. De 15 à 18 masses solaires, l'étoile est accompagnée - et oui, elle est double - une chaude étoile bleue, 370 fois moins brillante ... En temps stellaire, son explosion est imminente mais en temps humain, l'événement peut se produire d'ici quelques millénaires ... Que l'on se rassure, avec une distance estimée à environ 550 années-lumières, l'onde de choc de la supernova ne devrait pas affecter notre planète et sa fragile atmosphère. Agée de seulement 11 à 12 millions d'années, Antarès ne s'est pas beaucoup éloignée de son berceau, la nébuleuse par réflexion et émission Rho Ophiuchi dite aussi nébuleuse d'Antarès. Pratiquement indicible à l'oeil nu, le nuage moléculaire est la partie la plus lumineuse d'un vaste complexe de gaz et de poussières, particulièrement photogénique comme on peut le constater avec émerveillement sur les clichés des astronomes amateurs et professionnels. On découvre une collection d'étoffes multicolores déchirées par les vents stellaires. Des oriflammes cernent Antarès à plusieurs dizaines d'années-lumière d'un long fleuve noir, affluent providentiel de la rivière de lait, qui s'écoule dans la toison d'une matrice d'étoiles.
Au chapitre des phénomènes puissants, l'astronome Hipparque (Hipparchos de Nicaea) releva en l'an 134 avant Jésus-Christ, la présence d'une 'étoile nouvelle' (nova) qui s'était "invitée" dans la constellation du Scorpion. D'après les textes chinois, l'astre brilla entre le 22 juin et le 21 juillet de cette année. Plus loin dans le passé, la supernova qui foudroya le ciel dans cette même direction il y a environ 2 millions d'années fut vraisemblablement la principale responsable de l'extinction du Pliocène-Pléistocène (excès de rayonnement ultraviolet). L'étoile qui a volée en éclat appartenait probablement à l'amas du Centaure-Scorpion. Pour revenir au tableau Rho Ophiuchi, impossible d'ignorer à l'arrière-plan, dans la même direction Messier 4 (M 4), l'un des plus beaux et resplendissant amas globulaire observable dans l'hémisphère nord. Quelques dizaines de milliers d'étoiles, parfois âgées de 12,2 milliards d'années, se blottissent dans un espace large d'environ 20 années-lumière. A la différence de la plupart de ses congénères, celui-ci gravite autour de la galaxie à seulement 7 000 années-lumière de nous. Avec sa queue, visiblement enroulée sur la Voie Lactée, on peut observer (ne serait-ce qu'à l'oeil nu et aux jumelles), non loin de l'étoile Shaula qui marque le dard, Messier 7 (M 7), l'amas de Ptolémée. Découvert ou, du moins, mentionné par l'illustre astronome en l'an 130, l'essaim réunit quelques dizaines d'étoiles très jeunes (plus ou moins 220 millions d'années).
Les pinces du Scorpion sont principalement représentées par les étoiles Acrab/Graffias, Dschubba et Pi Scorpii ( π Scorpii). Rouge comme la braise, Antarès est le coeur qui bat dans son corps délimité par les étoiles Al Niyat ( Sigma Scorpii, σ Scorpii), que l'on reconnait sur les photos de la nébuleuse Rho Ophiuchi et Al Niyat ( Tau Scorpii, τ Scorpii). Leurs noms signifient "les artères". Enfin la queue de la créature, reconnue aussi comme un astérisme représentant un crochet, se compose principalement des étoiles (du corps jusqu'au dard) : Epsilon Scorpii ( ε Scorpii), Mu Scorpii, Zeta Scorpii, Eta Scorpii, Sargas/Girtab (Theta Scorpii, θ Scorpii), Iota Scorpii, Kappa Scorpii, Shaula ( Lambda Scorpii) et enfin Lesath ( Upsilon Scorpii) derivé de l'arabe "las'a" signifiant "morsure par un animal venimeux".