Delphine Batho, première militante de l’antihollandisme primaire

Publié le 05 juillet 2013 par Sylvainrakotoarison

Deux jours après son éviction, l’ancienne ministre persiste et signe par des attaques virulentes contre ceux qui l’ont faite reine.

Fait sans précédent après le limogeage d’un ministre, ce dernier se rebiffe. L’ancienne Ministre de l’Écologie Delphine Batho, un peu crispée, a tenu une longue conférence de presse à l’Assemblée Nationale ce jeudi 4 juillet 2013 après-midi. Après avoir lu un texte pendant neuf minutes, elle a répondu aux questions des journalistes où elle a confirmé qu’elle reprendrait son mandat de député le 2 août prochain mais n’avait encore aucun projet précis sur son action future.

Ancienne "pouline" de Ségolène Royal, Delphine Batho a semblé reproduire ses mêmes efforts d’élocution et surtout a commencé comme l’ancien candidate à l’élection présidentielle dans une grande émission sur TF1 le 19 février 2007, à savoir, en déroulant son CV en entier, pour prouver qu’elle avait eu la compétence pour devenir ministre et qu’elle n’avait jamais fait aucun couac depuis le début de sa vie politique, en précisant surtout : « Je n’ai jamais été prise en défaut de loyauté envers mon camp. ».

Elle a remercié ceux qui lui ont exprimé leur affection après cet événement difficile pour elle, en citant en particulier Nicolas Hulot, Aurélie Filippetti, Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Marisol Touraine et Benoît Hamon.

Ce qui a étonné beaucoup de monde, c’est que Delphine Batho n’y est pas allée avec le dos de la cuillère en attaquant avec une violence inouïe le Président de la République François Hollande et le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault. Elle leur a reproché à la fois la manière et le fond.

Matignon et l’Élysée court-circuitent son ministère

La manière, c’est de ne pas faire de concertation avec les ministres pour définir la stratégie budgétaire. Elle a été très dure sur l’autoritarisme de Jean-Marc Ayrault (à mon avis, ce reproche renforcera le Premier Ministre qui était plutôt en défaut d’autorité), qui arbitrerait les budgets « sans discussion avec les ministres concernés ». Elle l’a répété plusieurs fois : « Il n’y a pas eu de débat collégial au sein du gouvernement sur les arbitrages budgétaires. ».

Elle en a profité pour affirmer, contrairement à ce qui avait été dit, qu’elle avait demandé personnellement des arbitrages à Matignon (notamment sur le budget de l’ADEME et les investissements d’avenir).

Elle s’est justifiée en disant qu’elle avait signé en début de quinquennat une chartre des ministres qui proclamait le débat collégial. Comme il n’y en a pas eu, cela lui a permis de prétendre : « Je n’ai commis ni une erreur ni une faute. » pour expliquer simplement : « J’ai ouvert un débat politique nécessaire. ». Elle l’a répété aussi plusieurs fois. Sa pique du 2 juillet 2013 sur son "mauvais budget" avait un but : « J’imaginais provoquer une discussion. ». Elle n’envisageait donc absolument pas une démission ni un débarquement immédiat.


Mais elle est allée beaucoup plus loin. Elle a lancé une véritable attaque contre des lobbies qui voudraient sa peau. Elle a parlé de « certaines forces économiques » qui « voulaient [sa] tête » et auxquelles le gouvernement aurait cédé, en citant en particulier nommément une grande entreprise intéressée par l'exploitation des gaz de schiste dont le patron (Philippe Crouzet) aurait annoncé, il y a un mois aux États-Unis devant des collaborateurs, sa "marginalisation".

Or, l’épouse de ce dirigeant d’entreprise ne soit autre que Sylvie Hubac, la directrice de cabinet de François Hollande. Y aurait-il conflit d’intérêt ? a laissé entendre l’ancienne ministre. Delphine Batho a, par ailleurs, reproché à plusieurs membres des cabinets de l’Élysée et de Matignon d’avoir sans arrêt critiqué son action dans son dos, shuntant ses initiatives avec des négociations à un niveau supérieur (Jean-Marc Ayrault aurait par exemple lui-même négocié sur certains sujets écologiques avec le patron d’EDF).

Enfin, ne cachant pas son amertume, elle a observé que dans le communiqué de démission de l’Élysée, elle n’a même pas été remerciée : « Jérôme Cahuzac a eu droit à des remerciements, ce qui n’est pas mon cas. ».

Opposée à la rigueur

C’est bien sûr sur le fond que les attaques de Delphine Batho ont été encore plus violentes. Elles se décomposent en deux points.

D’abord, elle a constaté que le gouvernement s’est moqué de la transition écologique et n’a souhaité donner aucun signal fort sur le sujet : « Ce budget est un tournant par rapport à la volonté de mener à bien la transition écologique. ». Elle a placé cette difficulté sur le terrain économique : « C’est sur l’écologie que se concentre l’affrontement avec le monde de la finance et la politique. ».

Et elle a donné deux exemples de friction : sur le nucléaire et sur les gaz de schiste. À ce propos, elle a évoqué un avis que le gouvernement français devait rendre à la Commission Européenne pour samedi sur les gaz de schiste. Delphine Batho dit avoir fait le dossier mais a été informée que ce dossier (très négatif sur l’exploitation du gaz de schiste) n’avait pas encore été transmis à Bruxelles.


Elle aurait été d’ailleurs critiquée par Matignon pour son zèle à signer des décrets d’application de la loi contre le gaz de schiste votée à la fin du quinquennat précédent.

Mais c’est sur la rigueur qu’elle a approfondi son analyse, même s’il en est ressorti une certaine contradiction entre son acceptation d’assainir les finances publiques et son opposition à la rigueur (qui avait pourtant été annoncée par Jean-Marc Ayrault dès le 27 septembre 2012 sur France 2) : « Ce que je n’accepte pas, ce n'est pas de faire des compromis, c’est le tournant de la rigueur qui ne dit pas son nom... ».

C’est d’ailleurs assez cocasse pour cette mitterrandolâtre dès l’adolescence (elle a été dans le même lycée que Mazarine Pingeot qui a le même âge) car son dieu a fait exactement la même chose dès juin 1982 et surtout en mars 1983 (à une époque où le Premier Ministre Pierre Mauroy niait farouchement toute rigueur).

Le gouvernement socialiste prépare l’arrivée du FN

Même si elle l’a récusé, elle s’est clairement posée en victime du "système" et du hollandisme et n’a pas hésité à vouloir représenter sa génération (elle vient d’avoir 40 ans) qui devrait ne jamais perdre espoir. Car pour elle, ce tournant de la rigueur (qui ne date pourtant pas d’hier) « prépare la marche au pouvoir de l’extrême-droite dans notre pays ».

C’est une accusation forte, pas dénuée de justesse (les législatives partielles dans l’Oise et dans le Lot-et-Garonne lui donnent raison) qui casse complètement la langue de bois habituelle de la rue de Solferino (Harlem Désir en particulier).

Cette analyse alarmante fait aussi écho à l’interview de son mentor Julien Dray dans le journal "Le Monde" du 1er juillet 2013 qui expliquait : « Nous sommes dans une bataille idéologique, une bataille d’identité. [Le FN] est fort, mais il n’est pas majoritaire, loin de là, dans la société. Or, s’il n’y a rien en face, il va le devenir, car il va attirer les franges les moins politisées de l’électorat de gauche, qui sont davantage sur le vote protestataire, et moins dans le réflexe de fidélité à la gauche. » pour conclure comme Delphine Batho : « Il y a certainement une angoisse face à cette réalité [l’ascension du FN], car elle va impliquer de profondes réflexions et remises en cause de certaines politiques actuelles en France et en Europe. ».

Nouvelle porte-parole de "l’autre politique" ?
A star is born ?
Delphine Batho est sur le point de rejoindre les rangs des électeurs socialistes déçus de leur vote de 2012 : « Je n’accepte pas le renoncement à l’espoir du 6 mai [2012]. ».


De tels propos justifient en tout cas a posteriori la décision de François Hollande de se séparer d'une telle ministre. L'impression générale fait que l'équipe gouvernementale reste encore frappée d'amateurisme regroupant des militants du PS qui ne pensent qu'à militer et qui n'ont jamais eu à l'esprit le sens de l'État et de l'intérêt général.

Alors, hypocrisie ou sincérité ? Posture ou colère ? Après des attaques aussi violentes contre l’Exécutif, je me pose vraiment la question : comment Delphine Batho pourrait-elle raisonnablement rester dans ce Parti socialiste si éloigné des préoccupations écologiques ?

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (4 juillet 2013)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
La rude éviction de Delphine Batho.
François Hollande.
Jean-Marc Ayrault.
Ségolène Royal.

 

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/delphine-batho-premiere-militante-138251