Où sont les limites ?
Il n'y aurait jamais eu de salles de bains
sans une révolution des mentalités. Dans l'Antiquité, sous l'Ancien
Régime, on se lave devant les autres – sa famille, ses connaissances,
son personnel si on est aristocrate –, que ce soit dans la pièce
centrale de la maison ou aux bains publics. La modernité impose une
forme d'individualisme, de souci de soi indissociable du cloisonnement
des espaces, de l'invention de l'intimité. Aujourd'hui, nous vivons un
affaiblissement croissant de la séparation du public et du privé. Les
politiques exposent dans les médias leurs ruptures, leurs rencontres ;
les stars se dévoilent jusque dans leur lit ; les émissions de
télé-réalité, les autofictions littéraires ou artistiques, les blogs,
les pages perso, les vidéos circulant sur le Net participent à ce
déballage. On assiste à une offensive sans précédent contre la sphère
privée, qui entraîne mécaniquement une crise du politique et du public.
Pour s'y retrouver, il faut d'abord tenter de redéfinir les frontières
et s'interroger sur les nouvelles relations établies entre citoyens,
médias et pouvoir. Les historiens Georges Vigarello et Alain Corbin
prennent du recul et racontent la naissance de la vie privée. Le
philosophe Michaël Foessel s'interroge sur la trivialisation de la vie
politique, tandis que le spécialiste de philosophie politique Philippe
Raynaud bat en brèche l'idée reçue selon laquelle la France
s'américaniserait. Marcel Gauchet, auteur du Désenchantement du monde,
explique pourquoi l'exposition de l'intime menace l'existence d'un
monde commun. Enfin, la journaliste Marine de Tilly a enquêté sur
l'autofiction comme stratégie créative face à la tyrannie de la
transparence.
Dossier Philosophie magazine-Mai 2008-En kiosque