Cet établissement, qui conserve une collection permanente justifiant à elle seule une visite, accueille actuellement et jusqu’au 24 novembre prochain, une belle exposition intitulée L’Atelier des Cyclades, qui regroupe des œuvres de l’artiste contemporaine Artémis. Celles-ci forment deux cycles de grande ampleur, L’Odyssée et La Grande Licorne, répartis dans deux espaces clairs, autour d’une muséographie sobre et bien pensée. Si les tapisseries, de grand format, sont accrochées sur des murs aussi blancs que ceux des maisons traditionnelles de l’île de Tinos où la plasticienne a installé l’un de ses ateliers, des ilots centraux offrent des vitrines dans lesquelles sont disposés ses cartons préparatoires (esquisses, dessins, collages). Ces documents de travail ne sont pas les moins intéressants ni les moins singuliers : ils témoignent du cheminement d’Artémis qui, contrairement à beaucoup de créateurs, ne laisse pas à un praticien le soin de réaliser ses projets.
Il en résulte une relation très personnelle de l’artiste à son œuvre, car on ne tisse pas une tapisserie comme on peint une toile. Il s’agit en effet ici d’une création basée sur le long terme, un travail patient (trois à six mois sont nécessaires pour achever une seule tapisserie) qui relève de la dextérité – aucun repentir n’est permis dans cette discipline – et plus encore de la spiritualité. Celle-ci est présente dans ces tapisseries au graphisme étudié, longuement mûri, qui, au premier abord, s’apparenterait à l’expressionnisme abstrait (on pense notamment à Malevitch ou à certains collages de Robert Motherwell), mais réservent une approche plus allusive à qui prend le temps de l’observation.
Pour le cycle de L’Odyssée, qui occupa Artémis de 1992 à 2000 et qu’elle offrit à la ville d'Angers en 2010, l’artiste s’inspira du texte d’Homère, bien sûr, mais aussi de celui de Nikos Kazantzakis dont la version est moins connue. Le résultat s’impose comme un voyage initiatique, fruit d’une pensée esthétique aboutie, dans la cohérence des jeux de matière (qui invitent, selon le mot de Merleau-Ponty, à une « palpation du regard ») et les choix chromatiques. On retiendra parmi les douze tapisseries qui composent cet ensemble, notamment, Télémaque, Le Cyclope, une lumineuse représentation de Circé et, en dehors de la très symbolique Pénélope, un Hadès assez fascinant.
Le cycle de La Grande Licorne (2001-2011), contrairement à ce à quoi l’on pouvait s’attendre, ne doit rien aux représentations médiévales classiques (pensons à La Dame à la licorne du musée de Cluny) ; il matérialise un rêve qui marqua l’artiste et n’en puise que plus de vitalité et de créativité en s’abstrayant de tout ancrage historiquement référentiel. Dans ce cycle onirique, si les premières œuvres suggèrent encore une forme de figuration (La Rencontre, La Grande Licorne), le spectateur, s’il s’attache à suivre le parcours proposé, découvre une composition de plus en plus synthétique, aboutissant à une savante mosaïque en camaïeu de blanc (Le Quatrième jardin) qui n’est pas sans rappeler les tapisseries élaborées par Thomas Gleb dans sa maturité.
Artémis revendique son statut d’artiste autodidacte. Pour autant, son univers esthétique peut rivaliser avec celui des meilleurs lissiers dont on peut voir les œuvres dans la collection permanente du musée. Signalons enfin le catalogue de cette exposition, Artémis, l'atelier des Cyclades (textes d’Artémis, Michèle Cence, Aude de Kerros, Françoise de Loisy, Danièle Manesse, Angela Tamvaki, 68 pages, 15 €), conçu et illustré comme un livre-objet de belle facture.
Illustrations : Artémis devant Venena Pello, 2,40 x 2,40 m, 2002 - L'Homme aux mille tours, 2,35 x 4,80 m, 1998 - Hadès, 2,50 x 2,50 m, 1996 - De g. à d., Pénélope, 1,90 x 4,40 m, 1999 et Le Cheval de Troie, 2,10 x 4,80 m, 1995 - Le Quatrième jardin, 2,40 x 2,40 m, 2011 - Photos © T. Savatier.