"Contempler, ce n'est pas percevoir au sens ordinaire du terme. La perception est toute orientée par la traction intentionnelle de la pensée, ce qui se voit très bien dans cette étrange compulsion qui nous porte ensuite à étiqueter tout ce que nous voyons avec des concepts. Je perçois un chêne dans le jardin. Un arbre dans une catégorie et sur lequel je peux faire toutes sortes de commentaires mentaux liés à un savoir scientifique ou à une expérience personnelle. Contempler c'est plutôt laisser être sans chercher à conceptualiser ce qui est vu, ce qui, invariablement a pour effet d'anesthésier l'expérience sensible.
Contempler c'est être là, disponible et se laisser envelopper par la présence de ce qui est. Ce qui apparaît alors est très différent. L'arbre a une formidable puissance, une majesté silencieuse qui remplit l'espace et s'élance vers le ciel. Une présence qui plonge dans la terre et dont la pensée ne peut avoir la moindre idée, à moins qu'elle ne se taise pour un moment. L'arbre est alors réellement senti comme une individualité vivante et chaque arbre est différent d'un autre et possède sa propre présence. Sentir cela de toutes les fibres de son être est tout à fait autre chose que de le penser.
Nous avons tous connu ces moments de la contemplation, il se sont surtout invités dans des instants de surprise à la rencontre de paysages, dans l'inattendu d'une perspective, d'une trouée dans les feuillages vers une rivière, un surplomb au bord d'un précipice, l'extase d'un ciel lumineux dans la brume qui vous arrête soudainement quand vous levez la tête. Et puis, il y a cette impression fantastique que nous avons tous rencontrée enfant, allongé dans l'herbe devant la voûte étoilée. Une dilatation extraordinaire de la sensation de l'espace, l'espace d'un instant, nous nous sentions en sympathie avec l'infini."
Serge Carfantan,
Philosophe
(3ème millénaire)