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C’était terminé normalement. Villa Manifesto il y a trois ans devait fermer la boutique et rendre un dernier hommage au groupe légendaire de Detroit. Il faut dire qu’en ayant perdu deux de ses trois membres fondateurs (J Dilla et Baatin), difficile d’imaginer un avenir viable à Slum Village. Deux malheureux décès qui ont fait de SV le groupe le plus maudit du rap US.
Et puis finalement, le « survivant » T3, entouré de la nouvelle génération de Motor City, a décidé de relancer la machine avec un titre et une pochette équivoque. Un papillon, signe de renaissance ou plutôt de l’évolution ultime comme le suggère le nom du disque.
Car oui, il s’agit bien d’une (r)évolution pour Slum Village. Fini les ambiances soulful où les rappeurs pouvaient chiller autant qu’ils le voulaient. Aujourd’hui, on est dans la veine la plus raw du son de Detroit. Une ambiance chère aux Phat Kat, Elzhi et surtout au producteur Black Milk. Le son se veut plus dur, plus industriel, comme ce dernier l’a tant façonné ces dernières années. On reconnait sa patte sur les surpuissants Rock Rock ou Let It Go par exemple, qui auraient très bien pu avoir leur place sur Tronic.
Pas franchement une surprise puisque le concepteur de cet album n’est autre que Young RJ, l’acolyte de « Lait noir » au sein des BR Gunna avec qui le groupe a longtemps travaillé, qui fait aujourd’hui office de producteur attitré de Slum Village.
Le précédent disque tendait déjà vers ce style mais celui-ci vient entériner la donne. C’est plus précis, plus concis, plus travaillé. On a à faire à un vrai album, un vrai projet, là où Villa Manifesto pêchait par trop de précipitations dans sa conception sans doute. Les fans ne se surprendront pas à aimer le disque mais plutôt à redécouvrir SV sous un nouveau visage. On avait pris pour habitude d’apprécier chaque sortie, plus ou moins selon les disques, mais force est de reconnaître qu’on tournait assez en rond depuis le « départ » de Dilla. Ici il y a vraiment quelque chose qui retient l’attention, un changement de cap qui fait du bien au groupe, ou plutôt ce qu’il en reste.
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Slum Village – Rock Rock (feat. Rapper Big Pooh & Dj Jazzy Jeff)
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Pour dire vrai, c’est quasiment un album solo pour T3. Le petit Illa J (frère de Jay Dee) n’est là que pour assurer les backs ou pousser la chansonnette – plutôt élégamment- sur quelques refrains, tout au plus. Le nom Slum Village aujourd’hui représente plus une famille, une entité, un état d’esprit, un son qu’un véritable groupe.
Mais T3 s’en sort plutôt bien, lui qui était souvent présenté comme le moins fort à l’époque des Fan-tas-tic. Bien aidé dans sa tâche par une liste d’invités pas dégueulasse pour un sou: Havoc de Mobb Deep, Blu, Jazzy Jeff, Rapper Big Pooh ou encore Focus (derrière deux prods également). Du travail de MC fait et bien fait.
Cependant tout le monde sait que l’on écoute un album de Slum Village d’abord pour les productions. L’héritage de J Dilla est énorme et son ombre plane toujours au-dessus du groupe. Alors que le génial producteur n’avait plus vraiment jeté toutes ses forces dans un projet du groupe depuis Fan-tas-tic vol.2!
Que reste-t-il de cette Dilla touch alors ? Bien qu’il ait directement influencé Young RJ et tout les beatmakers de la ville, notamment dans ce jeu de batterie tellement reconnaissable, il n’y a plus grand chose il faut bien le dire. Disons que l’on est sur une version 2.1 de ce que faisait James Yancey. Le côté soul ou percus brésiliennes en moins. Les deux seuls titres ici qui peuvent rappeler l’ambiance d’antan sont les deux productions de Focus, Summer Breeze et 1 Nite.
Le reste, c’est de la tabasserie pur et simple. Et comme on l’a dit plus haut, c’est pas plus mal que le groupe voit autre chose un peu. Surtout que c’est très bien réalisé dans l’ensemble, avec de gros gros titres dans ce style si caractéristique comme Greatness, Braveheart ou Bout That (qui reprend le même sample que Kid Cudi sur My World d’un groupe rock psyché français des années 60, Le Système Crapoutchik).
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Slum Village – 1 Nite (feat. Vice)
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Slum Village – Bout That (feat. Focus)
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Malheureusement, c’est dans l’indifférence quasi générale que ce disque intervient. C’est vrai que l’on attendait plus rien de l’étiquette Slum Village et que, sans s’y pencher, certains pourraient croire à une entourlouperie. Rassurez-vous, c’est du consistant et on ne saurait que trop vous conseiller ce disque si vous êtes un amoureux du rap de Detroit et du rap tout court.
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Tracklist: 1. Braveheart (feat. Havoc)
2. Rock Rock (feat. Rapper Big Pooh & DJ Jazzy Jeff)
3. Let It Go (feat. Blu)
4. Forever
5. Scared Money (feat. Early Mac)
6. Summer Breeze
7. The Line (feat. Focus)
8. Hustle (feat. Vice & J.Ivy)
9.Bout That (feat. Focus)
10. 1 Nite (feat. Vice)
11. Greatness
12. Riot (feat. Rapper Big Pooh & Joe Scudda)
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