04 juillet 2013 | Par Edwy Plenel
La Cour d’appel de Versailles a ordonné à Mediapart, jeudi 4 juillet, de supprimer toute citation des enregistrements de l’affaire Bettencourt. Son arrêt nous interdit, de surcroît, de les mentionner à l’avenir. Trois ans après nos révélations, cette décision est bien plus qu’une atteinte à la liberté de l’information : c’est un acte de censure.
Trois magistrats ont donc rêvé la mort de Mediapart. Ils se nomment Marie-Gabrielle Magueur, président, Annie Vaissette, conseiller, Dominique Ponsot, conseiller, et siègent à Versailles, à la première chambre de la Cour d’appel. Dans une décision ubuesque, aussi aberrante factuellement qu’inconséquente judiciairement, ils nous ordonnent de supprimer, sur l’ensemble du site, tout extrait des enregistrements du majordome qui sont à l’origine de l’affaire Bettencourt et nous interdisent d’en publier à l’avenir. Le tout à compter de huit jours suivant la signification officielle de l’arrêt et, passé ce délai, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard et par infraction constatée.
A raison de 894 articles de notre Journal consacrés depuis juin 2010 à l’affaire Bettencourt et de 1615 billets de blogs du Club où nos abonnés les commentent, sans compter les nombreuses vidéos évoquant ou citant les enregistrements, l’addition se chiffre rapidement en centaines de milliers d’euros et, si nous nous entêtions, en millions. Avec votre soutien, nous avons devant nous une petite dizaine de jours pour tenter d’empêcher qu’un voile noir portant le mot CENSURE ne vienne empêcher la lecture de tous nos articles et de tous vos billets sur l’affaire Bettencourt. Car, si nous allons évidemment nous pourvoir en cassation contre cet arrêt inique, cette décision est immédiatement exécutoire.
Il vous reste donc une grosse semaine pour tout savoir sur Mediapart (notre dossier complet est ici et là), tout y apprendre de cette affaire immensément exemplaire des pratiques oligarchiques qui ruinent notre République, tout en partager pour que nul n’en ignore à l’heure de l’horizontalité numérique. Et, sait-on jamais – car c’est, pratiquement, la seule solution –, pour faire comprendre, grâce à votre protestation massive, à Liliane Bettencourt, à sa famille, à son tuteur, à ses by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance">avocats, qu’ils doivent renoncer à faire appliquer cette décision qui sanctionne ceux-là même qui, par leurs révélations, ont sorti Mme Bettencourt des mains de ceux qui abusaient de son état de faiblesse.
Car c’est l’énième folie de cette histoire qui n’en a jamais été avare : c’est à la demande de Liliane Bettencourt que cet arrêt est rendu (le lire ici en PDF), associée pour l’occasion à son ancien chargé d’affaires Patrice de Maistre, lui aussi demandeur (lire là ce second arrêt). Voici donc Mediapart curieusement récompensé par l’entourage de la troisième fortune de France pour son action désintéressée au service non seulement de la vérité mais de la protection d’une personne âgée, victime d’agissements qui sont au centre de l’instruction judiciaire de Bordeaux et dont les protagonistes ont, tous, depuis été contraints de quitter le service de la milliardaire.
L’affaire Bettencourt n’a cessé de nous révéler l’existence de deux justices en France. L’une qui accepte la vérité, l’autre qui la censure. L’une qui se soucie de l’intérêt public, l’autre qui veille aux puissants. L’une qui respecte les lanceurs d’alerte, l’autre qui ne connaît que l’entre soi des initiés. Ainsi, c’est le jour même où, à Bordeaux, l’ancien ministre et trésorier de l’UMP Eric Woerth et l’ex-gestionnaire de fortune Patrice de Maistre sont renvoyés devant le tribunal pour « trafic d’influence » (lire ici), que Mediapart apprend, à Versailles, qu’il doit supprimer les informations qui ont révélé à la France entière les faits en cause, dont s’est ensuite saisie la justice.
Non sans mal, puisque cette bataille pour la justice au sein même de la justice eut pour premier théâtre Nanterre, avec un procureur de la République s’acharnant à entraver la vérité durant quatre mois. Tout comme elle se poursuit aujourd’hui à Bordeaux avec les incessantes tentatives de déstabilisation et de récusation des juges d’instruction bordelais (Jean-Michel Gentil, Cécile Ramonatxo et Valérie Noël) à l’initiative des divers protagonistes – parmi lesquelles, excusez du peu, l’ancien président Nicolas Sarkozy – dont nos informations ont révélé les arrangements intéressés, les conflits d’intérêts, les affaires imbriqués et le peu de cas dont ils faisaient des lois communes, parmi lesquelles la première d’entre elles, la loi fiscale.
Et il faudrait, sous le coup d’une décision aberrante, fût-elle institutionnellement de justice, supprimer trois ans après leur révélation toute évocation, mention, citation, recension, démonstration, etc., des faits qui ont provoqué le séisme Bettencourt ? De ces faits dont la justice s’est saisie et qui seront, un jour prochain, débattus en public devant un tribunal ? De ces enregistrements clandestins qu’elle a, de longue date, admis comme preuve matérielle des infractions qui l’occupent, par un arrêt du 31 janvier 2012 de la Cour de cassation ? De ces preuves sonores de l’état de faiblesse de Mme Bettencourt et, par conséquent, des abus auxquels il a pu donner lieu autour d’elle ?
Souvenez-vous de la tempête de l’été 2010. Sans les révélations de Mediapart, appuyées sur ces preuves justement, il n’y aurait pas eu cette « Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique », dont le rapport, sans effet immédiat hélas, ouvrait le débat dont s’est aujourd’hui saisi le Parlement sous le choc d’un autre dossier mediapartien, l’affaire Cahuzac. Sans la publicité donnée par notre enquête à cette fraude, il n’y aurait pas eu non plus le gain de plusieurs dizaines de millions d’euros par l’Etat après le redressement fiscal visant les avoirs off-shore non déclarés de Mme Bettencourt. Sans notre feuilleton, il n’y aurait pas eu l’amorce de ce débat, désormais national, sur l’ampleur de l’évasion fiscale et sur ses liens avec des financements politiques illicites.