A son tour, Jack Lang demande la sauvegarde de l'école de Gond-Pontouvre. Il vient d'alerter la ministre de la Culture. La démolition doit démarrer la semaine prochaine. Le maire est abattu.
Le groupe scolaire de Gond-Pontouvre construit par Prouvé dans les années 50. Les opposants à la destruction, rejoints par Jack Lang, font monter la pression pour sauver "ce patrimoine national".. PHOTO/Photo Renaud Joubert
Jack Lang part à son tour en croisade pour sauver le groupe scolaire de Gond-Pontouvre, une bâtisse en partie réalisée en 1954 par le désormais très coté Jean Prouvé, l'inventeur qui introduisit l'acier dans l'architecture (1). "Seul un geste fort de votre part permettrait de sauvegarder ce patrimoine national", écrit l'ancien ministre de la Culture à Aurélie Filippetti à propos de l'école charentaise. En gros, il demande à l'actuelle ministre d'engager une procédure de classement qui gèlerait immédiatement la destruction programmée pour... les jours prochains, rue de Paris.
L'intervention du toujours influent Jack Lang, aujourd'hui président de l'Institut du monde arabe, sera t-elle le coup de grâce du projet gondpontolvien? Fortement contesté depuis trois mois, il a pourtant reçu l'aval de l'architecte des Bâtiments de France qui a jugé l'école "sans valeur", et toutes les autorisations administratives. Le dernier recours, c'est le ministre. En revanche, l'architecte Maurice Guillot, qui participa à la construction de l'école de la Valençaude- son nom d'origine -en 1954, a saisi le préfet pour dénoncer "une démolition incompréhensible".
"ça me rend malade"
Jack Lang, lui, a également écrit au maire de Gond-Pontouvre pour lui demander "un geste fort qui serait déterminant pour garantir la pérennité de cet ouvrage". La lettre est partie à la poubelle! "Je ne veux plus entendre parler de cette histoire, ça me rend malade", répond Jean-Claude Beauchaud, qui pensait terminer son dernier mandat en offrant une belle école toute neuve à ses administrés. Aujourd'hui, la mobilisation a pris une telle ampleur qu'il n'est plus certain de rien. "ça va beaucoup trop loin, ça fiche la trouille aux gens. Les aboyeurs ont réussi leur coup", poursuit-il, très amer.
L'ancien député n'a pas de mots assez durs pour "ces pseudo-artistes, ces fouille-merde qui se fichent de l'intérêt des enfants".
Depuis un article de Charente Libre le 12 avril dernier, l'affaire a pris effectivement une tournure nationale. Une pétition intitulée "Urgence, une école Prouvé à sauver en Charente" a recueilli plus de 1 000 signatures dont celles de nombreux architectes. Et Le Canard Enchaîné vient de publier dans l'édition d'hier un deuxième article sur l'école condamnée pour s'étonner que le ministère ne réagisse pas. L'hebdomadaire satirique ironise aussi sur ce galeriste parisien, Patrick Seguin, spécialiste de Prouvé, "qui a spontanément signé un chèque de 20 000 euros pour venir récupérer les éléments les plus marquants", notamment les toits en aile d'avion, les façades auvents et les portes, typiques de l'art de Prouvé. "Les élus n'auraient-ils pas dû faire estimer ces éléments qui sont des biens publics et ont une valeur sur le marché de l'art?", interroge Le Canard. Avec l'entrée en piste de Jack Lang, la pression devient intenable pour Jean-Claude Beauchaud, submergé par les défenseurs du bâtiment. "C'est tout juste si on ne me traite pas d'assassin", s'indigne l'élu.
"Transparence"
La mairie de Gond-Pontouvre avait bien envisagé dans un premier temps de réhabiliter un établissement trop énergivore, qui n'est plus aux normes. Les études l'ont convaincue d'opter, fin 2012, pour la destruction de la "Prouvé" et la construction d'un groupe moderne, confiée à l'architecte angoumoisine Danièle Briole. "Heureusement, on a tout fait en transparence, obtenu toutes les autorisations", rappelle le maire, s'étonnant de cette agitation soudaine: "ça fait 50 ans qu'on a un joyau sans le savoir! Quand on a fait des travaux en 1990, personne n'a bronché".
Les pétitionnaires reconnaissent que l'établissement des années 50 pose de gros problèmes. Que la commune a fait des "études approfondies" en vue de le conserver. Mais ils suggèrent "des études alternatives" pour préserver "une architecture remarquable, étonnante et pleine de charme". Ils proposent à la ville de construire "un nécessaire groupe scolaire de l'autre côté de la rue de Paris", et de réaffecter "les modules de la Valençaude" à d'autres usages. Sauf que ce projet de trois millions est lancé, que les pelleteuses sont sur le point d'arriver, et qu'une remise en cause coûterait une fortune à une commune qui espérait inaugurer sa belle école dans un an.
(1) Elle est officiellement l'oeuvre de Robert Chaume, mais "les éléments métalliques qui la composent proviennent bien des ateliers Prouvé", assure le ministre.
Février 2012. Le conseil municipal décide de réhabiliter le groupe scolaire du Pontouvre, oeuvre "d'un architecte de réputation internationale".
Décembre 2012. Études en main, la commune opte pour la destruction de l'école et la construction d'une neuve. Coût: 2,9 millions.
Février 2013. Le permis de construire est délivré. Architecte: Danièle Briole.
Avril 2013. Patrick Seguin, spécialiste de Prouvé, propose de récupérer des éléments contre un chèque de 20 000€.
Mai 2013. L'Ordre des architectes écrit au maire pour regretter un "désastre".
Juin 2013: lancement d'une pétition "Urgence, une école Prouvé à sauver en Charente". Il y a 1 000 signataires à ce jour.
Et voici la pétition des « fouilles- merde » selon le maire :
Monsieur le Maire de Gond-Pontouvre – lettre pétition
Monsieur le Maire de Gond-Pontouvre
Hôtel de Ville
16160 Gond-Pontouvre
Objet : groupe scolaire du Pontouvre
Monsieur le Maire,
Nous avons appris, il y a peu de temps, que le Conseil Municipal avait voté la démolition du groupe scolaire du Pontouvre. Nous regrettons cette décision. Néanmoins, il nous parait important de vous expliquer notre position.
Le groupe scolaire du Pontouvre, situé route de Paris, côté Est, à Gond-Pontouvre en Charente, va être démonté. Il accueillait quatre classes élémentaires et deux classes maternelles. Il est composé de trois modules identiques qui correspondent au programme d’origine : une école de garçons, une école de filles et une école maternelle. Les plans d’origine (n° 163.66, 163.20 ; archives départementales de Meurthe et Moselle, archives Jean Prouvé 267.60, 267.80) indiquent dans le cartouche Ateliers Jean Prouvé. Ils sont datés de janvier et février 1954. L’école est nommée La Valençaude selon l’ancien nom du quartier. L’architecte était Robert Chaume, il a aussi réalisé le quartier de Bel Air à Angoulême de 1959 à 1960 (d’après Peter Sulzer).
La démolition de l’école La Valençaude et son remplacement par le projet de l’architecte Danielle Briole (Permis de construire déposé en février 2013, instruit par la DDT et accordé le 19 avril 2013) ont été décidés selon deux arguments touchant l’un, l’aspect technique, l’autre, l’intérêt patrimonial.
L’aspect technique
Une solution dessinée
L’école La Valençaude dans son état présent ne correspondrait plus aux besoins actuels d’isolation climatique. Les dépenses en énergie pendant l’hiver ont augmenté. L’été, les classes éclairées par de grands pans vitrés orientés au sud sont trop chaudes. La collectivité a donc demandé « des études techniques approfondies pour améliorer l’isolation thermique (Bulletin municipal n¨39, 2013, p. 16) ». Celles-ci ont conduit la collectivité à décider la démolition de l’école La Valençaude « les coûts de réhabilitation étant supérieurs à la construction d’une nouvelle école (Idem) ».
Posée en ces termes, l’étude ne pouvait aboutir autrement. Améliorer l’isolation thermique signifie le plus bêtement remplacer ou redoubler des matériaux par d’autres plus performants en théorie mais plus lourds ou plus encombrants. Une construction de Jean Prouvé, ne serait-ce qu’une copie maladroite ne pouvait accepter ce type de démarche.
Il fallait tenter de prendre le problème à la manière du maître, en architecte, du point de vue d’une architecture soucieuse de construire. Il fallait des études alternatives davantage attentives à un climat intérieur défini par l’architecture, c’est-à-dire des études dessinées.
Déplacer le groupe scolaire
On pouvait aussi déplacer le groupe scolaire nécessaire à Pontouvre de l’autre côté de la rue de Paris pour le rapprocher de la zone habitée plus dense qui borde la route de Vars. Les modules de La Valençaude permettant une grande liberté d’usage seraient réaffectés.
L’intérêt patrimonial
À l’échelle globale
Les plans conservés dans les archives départementales de Meurthe et Moselle attribuent la construction de l’école La Valençaude aux Ateliers Jean Prouvé et datent sa conception au début de l’année 1954. Dans son livre (Jean Prouvé : œuvre complète: 1944-1954, vol. 3, Basel; Boston, Birkhäuser, 2001, p. 332), Peter Sulzer cite l’école La Valençaude sous une référence (1280.26) distincte de celle des écoles « coque » (1280.27) et de celle des écoles « coque » STUDAL (1281).
Nous savons que Jean Prouvé a quitté l’usine de Maxéville (les Ateliers Jean Prouvé) en septembre 1953. Il était donc à Paris au moment du dessin des plans de l’école de La Valençaude. Il avait démissionné de son poste de PDG par solidarité avec ses ouvriers licenciés, par désaccord sur la gestion des Ateliers par son nouvel associé, la société STUDAL (Société Technique pour l’Utilisation des Alliages Légers, filiale de l’Aluminium Français) et parce que STUDAL avait réalisé plusieurs écoles sur un modèle dégradé de ses conceptions constructives.
Dominique Clayssen désigne l’école La Valençaude dans son livre (Jean Prouvé : l’idée constructive, Paris, Dunod, 1983, p. 76) comme une école à coque STUDAL. Catherine Coley, historienne de l’architecture spécialiste de Jean Prouvé, la reconnait aussi comme de type STUDAL. De même, l’architecte de Bâtiment de France aurait, pour la destruction de La Valençaude, obtenu l’accord de Catherine Drouin Prouvé, fille du constructeur, en la lui présentant comme une réalisation « sans valeur ».
Ainsi, La Valençaude n’aurait aucune valeur patrimoniale, ni à l’échelle globale du territoire, ni au regard des efforts et des moyens à fournir pour la sauvegarde des œuvres de Jean Prouvé. Et l’on devrait, ici et localement, accepter sa destruction.
À l’échelle locale
Pourtant, des urbanistes, des architectes, des artistes, des intellectuels et un marchand d’art ont noté son architecture remarquable (elle aurait pu être inscrite au PLU). On a dit qu’elle est « pleine de charme et étonnante par son échelle, la mise en œuvre de sa structure et panneaux ». On a remarqué sa bonne conservation, l’envol et l’élancement du métal, l’équilibre tendu des formes, leur légèreté. On a souligné le dialogue du métal et de la pierre, la légèreté qui s’oppose au poids, le lisse au rugueux (on pourrait reconnaître là un souvenir d’Henri Prouvé).
L’Ordre Régional des Architectes vous a signalé, monsieur le Maire, le désastre que serait la destruction de l’école Prouvé pour le patrimoine local (lettre datée du 6 mai 2013). Alexandre Bohn, directeur du Fond Régional d’Art Contemporain de Poitou-Charentes, vous a écrit de même. Patrick Seguin dont la galerie est spécialisée dans l’architecture et le mobilier du XXe siècle a clairement affiché son intérêt pour La Valençaude en proposant son rachat en parties. Le Centre Social de Gond-Pontouvre a attribué pour son concours Patrimoine Communal en mai 2013 le prix spécial du jury à Pierre Guglielmi pour ses photos de La Valençaude.
Qu’elle soit l’œuvre de Jean Prouvé ou un produit STUDAL, l’école La Valençaude reste un exemple rare d’architecture moderne et métallique (XXe siècle) en pays Angoumois, dans le département et en Poitou-Charentes. C’est le seul édifice à Gond-Pontouvre, on s’en priverait en l’éboulant.
En se déplaçant autour de l’école on découvre aussi une architecture à la fois dynamique et adaptée au site. Au nord des trois bâtiments, les structures métalliques apparaissent successivement, venant séquencer et accompagner le cheminement et le relief du terrain. Le parcours donne alors à voir des façades plutôt pleines dans lesquelles les percements en hauteur contribuent à dégager l’arête du toit. L’intention protectrice par rapport aux vents et pluies dominants est pertinente.
L’architecture des pignons est consacrée à l’accueil : le large débord du toit forme un auvent et désigne l’entrée de chacun des trois corps de bâtiment comme fléchée par le dessin inversé du toit.
Plus encore : Prouvé accompagne ce marquage de l’entrée d’une invitation à entrer : en venant de la rue de Paris les baies situées en hauteur des pignons laissent percevoir par transparence la forme si caractéristique du pignon du bâtiment suivant donnant de la profondeur à l’ensemble. Les différents volumes se perçoivent et s’articulent ainsi dans toute leur cohérence et le parcours d’approche, en léger surplomb depuis la rue de Paris offre cette perception visuelle rassurante quelle que soit la taille de l’écolier piéton.
La cour d’école, orientée au sud, utilise le même vocabulaire que celui perçu du côté nord. On y retrouve l’arête haute du toit et, disposés en redans, les pignons bâtis en pierre naturelle ; mais, si le vocabulaire est le même, le discours est différent : Prouvé ouvre la façade à la lumière par une trame vitrée, reprenant des proportions ancestrales (1 et √2), en jouant de modules carrés et rectangulaires horizontaux dans un ensemble ordonné (notice Gond-Pontouvre : une école signé Jean Prouvé, CAUE Charente, mars 2013).
Et encore, une singularité
L’école La Valençaude témoigne d’autres faits majeurs. Dessinée au moment exact de la rupture de Prouvé avec STUDAL et de la perte de son usine, elle en est le souvenir construit. Elle pointe encore le tournant que le pays en reconstruction allait prendre. Examinons deux aspects de cette singularité du cours historique.
Jean Prouvé a conduit et développé avec succès les ateliers de Maxéville (les Ateliers Jean Prouvé) pendant trente années grâce à un système de cogestion (une forme d’autogestion) qui demandait aux ouvriers de grandes compétences (fabrication, invention, initiative). STUDAL s’oppose à cette gestion et impose un travail divisé, taylorisé, sans compétence et par conséquent suspicieux. La lecture du SCOT Angoumois (schéma de cohérence territoriale) laisse entendre que le Syndicat Mixte réunissant les collectivités territoriales agit dans une démarche similaire à celle de Jean Prouvé pour créer un cercle vertueux, non plus seulement sur le plan du travail mais sur l’ensemble de la vie en faisant participer les entreprises et les habitants dans les décisions qui concernent le pays.
Jean Prouvé était partisan d’une industrialisation fermée tandis que les entreprises qui produisaient et transformaient les matières premières avaient une stratégie d’industrialisation ouverte. Fabriquer les pièces spécifiquement pour un projet (une voiture, la 2 CV, par exemple) ou bien fabriquer des éléments universels pour n’importe quel projet (des briques, des IPN, par exemple). On devine les résultats : une architecture remarquable ou bien à peu près n’importe quoi. Sauf à concevoir correctement les composants (des assemblages fonctionnels d’éléments). Or les écoles STUDAL marquent un point singulier entre les deux stratégies. Dominique Clayssen notait l’importance des écoles dans la production de Prouvé et remarquait en 1983 : « Le style Studal (type à bac d’aluminium) est un bon exemple de ce passage de l’industrialisation fermée à la production autonome des composants (Dominique Clayssen, Jean Prouvé : l’idée constructive, Paris, Dunod, 1983, p. 145). Et en citant un article de la revue Technique et Architecture, il soulignait le passage de l’échelle globale à l’échelle locale, passage que l’on peut reconnaître dans l’école La Valençaude : « Les Ateliers Jean Prouvé ont préfabriqué et monté une ossature métallique et une charpente en acier recouverte de bac d’aluminium. Ils ont également posé les plafonds, les cloisons des vestiaires et la menuiserie en alliage léger. Par contre les maçons édifient les allèges en briques et les cloisons en se servant de la charpente déjà posée (Techniques et architecture : Constructions scolaires, novembre 1955) ».
Certes le type STUDAL irritait, avec raison, Jean Prouvé. Toutefois, l’école de Gond-Pontouvre, parce qu’elle résonne localement mieux que sur un plan d’archive, témoigne réellement de son ingéniosité constructive. D’autant que c’est cette qualité-là, en quelque sorte cette fameuse « french touch » que les écoles et sociétés de l’image du Pays Angoumois revendiquent fortement. Les valeurs défendues par Jean Prouvé — la gestion de la conception et de la production, les relations entre les individus, l’usage des données industrielles, le rapport du projet avec son usage, celui de la conception avec la réalisation, la relation du global au local — peuvent être recherchées et trouvées dans les meilleurs projets de ces écoles et entreprises. C’est pour cela que l’école de Gond-Pontouvre est une valeur patrimoniale particulière.
Veuillez recevoir, monsieur le Maire, l’expression de nos salutations respectueuses
Jeanne Gailhoustet, artiste, professeur à L’ÉESI
Jacques Lafon, architecte honoraire, docteur en arts plastiques, professeur à l’ÉESI
Magnac 16560 Jauldes
Agnès Cailliau, architecte-urbaniste de l'Etat, architecte du patrimoine, enseignante à l'Ecole nationale d'Architecture et de paysage de Lille, présidente de Docomomo France.
Serge Renaudie, architecte DPLG, urbaniste OPQU, paysagiste FFP, Architecte-Conseil de l'Etat