Hormis les choix dus à l’actualité, il est une évidence : la musique des années 90 tient une place majeure dans mon éducation musicale et, plus précisément, tout se concentre avant de s’ouvrir à de plus grands horizons sur une année en particulier : 1994.
Outre la disparition de Kurt Cobain, c’est aussi l’année de rupture par excellence d’une époque s’ouvrant sur une autre, notamment pour ce qui concerne le rock et le mouvement grunge.
Le premier album de Jeff Buckley sortit un an après son premier disque, l’EP Live At Sin-é et ses quatre titres, datant d’il y a vingt ans tout rond.
Mais alors, pourquoi ne pas avoir attendu encore un peu plus, afin d’aborder l’unique album studio de l’artiste pour les vingt ans de sa sortie, en 2014 ? Parce qu’à mes yeux, inutile d’attendre cet anniversaire, je préfère saluer les débuts de l’artiste, dont la carrière professionnelle n’aura réellement durer officiellement que l’espace de cinq années, avant même la conclusion des sessions d’enregistrement de ce qui aurait été le digne successeur de Grace.
De plus, après avoir tant hésité et refusé de m’y consacrer, le moment s’est finalement présenté de lui-même, et je prends alors l’appel et y réponds.
Comme tout classique, tout a déjà été écrit sur Grace ou sur son concepteur Jeff Buckley. De la préparation du terrain par la maison de disques avec un EP aux 500,000 dollars alloués au jeune talent alors pour son premier album studio, en passant par sa tournée de promotion qui durera près de deux ans, sans oublier ses débuts connus dans la chanson (à l’occasion d’un concert en mémoire à son père, Tim Buckley, lui-même décédé tragiquement, à 27 ans mais après une carrière plus prolifique – à quel prix direz-vous !) aux circonstances de sa mort, tout à fait accidentelles mais véritable couperet, tout semble connu dans les moindres détails.
Idem concernant la musique de Grace. Des reprises de Nina Simone, Leonard Cohen ou Benjamin Britten (« Corpus Christi carol » est sans doute le titre qu’il a le moins interprété en concert, la difficulté d’un tel chant l’expliquant logiquement), à ses compositions en collaboration avec Gary Lucas ou seul, puis en collaboration avec les trois différents membres du groupe alors monté pour l’accompagner aussi bien sur scène que dans les studios, tout aura été décortiqué. Notamment, le choix de Jeff de laisser tomber, au dernier moment, le morceau « Forget her », car il était lassé après l’avoir tant joué. Ainsi, c’est « So real » et son accord trouvé par Michael Tighe qui le remplaça, sur le fil, et devint même un single.
Ici, dans cette Legacy Edition, efficacement publiée en 2004, le morceau « Forget her » est ajouté, non pas en onzième piste comme c’est le cas sur les dernières versions simples de Grace, dénaturant forcément la cohérence tant recherchée par Jeff Buckley, ce qui est donc un sacrilège, mais sur le second disque d’inédits et raretés liés à la genèse de Grace. De plus, il y a, comme toujours avec Jeff, des reprises : Hank Williams, Screaming Jay Hawkins, Bob Dylan, Bukka White, à nouveau Nina Simone, Big Star, Shudder To Think et MC5 sont tour à tour revisités ici.
Le troisième disque est un DVD offrant un « making of » (déjà connu et publié, mais ici dans une version longue incluant des commentaires supplémentaires) et les cinq vidéos accompagnant les singles.
Une très belle édition, pour un classique inimitable, à l’époque écoulé à deux petits millions d’exemplaires dans le monde alors que Columbia voulait et voyait en Jeff Buckley une potentielle poule aux œufs d’or. Ce qu’il ne chercha jamais à devenir de son vivant mais il l’est cependant devenu malgré lui, grâce ou à cause du succès posthume de « Hallelujah », pourtant jamais choisi pour être un single mais qui devint en dépit de cela numéro un dans de nombreux pays. Son utilisation, à satiété, dans des émissions ou des séries ou films aura aidé à faire passer cette chanson de Leonard Cohen à la postérité, tout comme son interprète secondaire, qui n’en avait cependant nullement besoin.
La vague est passée (celle qui l’emporta dans le Mississippi en 1997, comme celle qui emporta son art dans les années 2000 vers un succès commercial presque honteux avec le recul). Pourtant, 2014 risque d’être un bel anniversaire, sans fioriture.
Dire qu’il n’aurait eu que quarante-sept ans cette année… Il aura avec Grace vingt-sept ans à tout jamais (l’âge qu’il avait à la sortie du disque).