Pas d’angélisme à rechercher une proximité identitaire dans le fait que Barack Hussein Obama soit un descendant d’africain. Etre fils d’africain ne fera jamais de quelqu’un un africain. Etre africain n’est pas un extrait de naissance. C’est un extrait de conscience. Conscience d’une histoire, d’un passé, d’une mémoire mais aussi et surtout dépassement et ouverture à la modernité.
Le Jour anniversaire du Centenaire d’Aimé Césaire, le 26 juin, Air Force One déposera Barack Hussein Obama, 44ème Président des Etats-Unis d’Amérique à l’Aéroport Léopold Sédar Senghor où il sera accueilli par le 4ème Président de la République du Sénégal, Macky Sall. Que de symboles !
Aimé Césaire, le Nègre fondamental, le plus africain des américains, défenseur et poète d’une Afrique dont il n’a cessé d’être le griot et le promoteur. Barack Hussein Obama et Macky Sall : deux chefs d’Etats nés après les Indépendances africaines, à une époque d’insouciance et d’espérance, plongés dans un monde en prise à des turbulences économiques et politiques inédites dans l’histoire contemporaine. La première démocratie mondiale rencontre la première démocratie de l’Afrique francophone. Les Etats-Unis et le Sénégal : deux nations dont l’attirance réciproque et passionnelle repose sur tant de malentendus historiques. Washington et Gorée : villes mémoires où la sourde et irrépressible aspiration à la liberté fut piétinée et massacrée par la cupidité et l’avidité de criminels contre l’Humanité.
Au-delà de ces symboles qui ne sauraient faire politique, l’intérêt réciproque des deux pays est bien compris par les deux Etats. Troisième visite officielle du Président américain en Afrique, ce séjour sénégalais fait suite à celui de l’Egypte et du Ghana. L’Egypte pour s’adresser au monde musulman, dont une affinité culturelle d’un séjour en Indonésie et une belle famille musulmane (le beau-père d’Obama fut indonésien), pouvaient certainement faciliter la compréhension et le dialogue pour dissiper malentendus, suspicion et agressivité sous l’ère Bush. Le Ghana dont la proximité linguistique et culturelle et le modèle démocratique et économique constituent des leviers importants de la politique américaine en Afrique et où il déclarera que l’Afrique n’avait pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes. Et donc un Sénégal, dont Barack Obama fera enfin connaissance avec son nouveau et prometteur Président entrevu, entre deux portes, lors d’une audience « groupée » à la Maison Blanche le 28 mars dernier en compagnie de trois autres chefs d’Etats africains.
C’est à n’en pas douter un succès diplomatique pour Macky Sall et son gouvernement. Quand on connaît les répugnances des Chefs d’Etats américains à sortir de leur vaste et prospère pays, on ne peut que se féliciter de ces choix réitérés du Sénégal par les Présidents américains Clinton, Bush et maintenant Obama. Après les échecs répétitifs de l’ancien Président Abdoulaye Wade dont les méthodes ont toujours gêné aux entournures l’administration américaine, Macky Sall est entrain de réussir à rétablir un ordre et une confiance diplomatique bien nécessaires pour son premier mandat. Reconnaissons-lui ce mérite là !
Gardons nous néanmoins de verser dans le lyrisme ! L’illusion, en politique, est vertu de naïfs. Les Etats-Unis sont tout sauf des anges. Ce voyage présidentiel comme tous les autres obéit à une logique géo-politique qui a toujours fait du Sénégal la tête de pont de l’Occident en Afrique francophone. Face à un terrorisme islamiste revigoré, qui reste toujours une priorité pour la sécurité américaine, dont l’opération Serval au Mali, on s’en doute bien, n’a fait que reculer les ambitions expansionnistes. Le combat contre le trafic de drogues dont notre pays est devenu une plaque tournante que la fragilité des institutions n’arrive pas encore à enrayer. Le modèle démocratique sénégalais secoué par de fortes turbulences mais encore solide et paravent dans une Afrique dont l’instabilité est récurrente. L’inauguration d’une nouvelle ambassade américaine dont les missions sont étendues et renforcées par les enjeux régionaux. Les liens militaires en termes de formation et de bases arrières sont également constants entre les deux administrations. Et les affinités culturelles qu’une bonne politique du patrimoine historique a réussi à valoriser faisant du Sénégal un passage obligé pour nombre de touristes américains et notamment des descendants d’esclaves dont Gorée est le lieu emblématique de recueillement.
Pas d’angélisme donc à rechercher une complicité identitaire dans le fait que Barack Hussein Obama soit un descendant d’africain. Etre fils d’africain ne fera jamais de quelqu’un un africain. Etre africain n’est pas un extrait de naissance. C’est un extrait de conscience. Conscience d’une histoire, d’un passé, d’une mémoire mais aussi et surtout dépassement et ouverture à la modernité.
Et la modernité c’est la bonne gouvernance, les droits de l’homme et la liberté d’expression que Macky Sall doit protéger et dont il doit veiller au bon respect. Dans ces domaines, si le Sénégal a marqué incontestablement et de longue date des points dans la liberté de la presse, le pluralisme politique, dans la transparence et la bonne gouvernance avec une « traque des biens mal acquis » qui, quoique assez maladroite, obéit aux critères définis par le MCA (Millenium Challenge Account), il y a néanmoins quelques inquiétudes à apaiser au niveau de la liberté d’expression et la protection des droits de l’homme.
Notons d’abord la nécessité de protéger les Dakarois mais surtout les habitants de l’Ile de Gorée des conséquences d’une visite présidentielle toujours traumatisante pour les affaires et la libre circulation. Une de mes amies, résidente à Gorée notait : « Triste…de voir qu’en raison de la venue "d’Obama", des opérations de sécurisation se passent à Gorée….des arrestations dans certaines maisons, des personnes menottées liées en chaîne….pour entrer dans une chaloupe…la nuit…..des jets de pierre, des coups de feu tirés en l’air….un tableau bien sombre….les délits opposés ne méritent pas un tel traitement à mon avis et pas sous un tel prétexte! ».
L’expulsion du blogueur tchadien, Makaila Nguebla, la mort récente de l’opposant gambien Kukoï Samba Sagna chassé du Sénégal dans des conditions indignes ainsi que les menaces qui pèsent sur la liberté de manifester des opposants politiques qui, même si leur mauvaise foi est manifeste, ont le droit de s’exprimer et Macky Sall à l’obligation de le leur garantir.
Les enjeux du Président sénégalais restent, cependant et désespérément, économiques. C’est là où les sénégalais l’attendent et commencent exprimer leur déception. Si Barack Obama profite d’une embellie économique avec une reprise de croissance inespérée qui place son deuxième mandat sous de meilleures auspices, Macky Sall peine à traduire en réalité ces mirobolantes promesses d’emploi. La jeunesse sénégalaise continue de rêver d’exil. Le chômage reste à presque 40%. Avec un Indice de Développement Humain de 0,411 en 2010, le pays est toujours à la 144ème place sur 169. Pour l’environnement des affaires, le Sénégal se positionne encore à la 152ème place sur 183 du classement Doing Businesset et Transparency International nous classe 105ème sur 178 pays. Si la dévaluation du Fcfa en 1994 et la politique volontariste et libérale de l’ancien Président Wade ont permis une croissance régulière de 4,4%, la stagnation économique constatée dans la décennie actuelle est, certes une conséquence de la crise mondiale, mais aussi à un cap économique gouvernemental assez brouillon.
Autant d’enjeux que cette visite pourrait participer à résoudre. Sans grande illusion cependant. Le Sénégal ne peut compter que sur lui-même. L’Amérique n’a que des intérêts et pas d’amis. Sa puissance est le résultat d’un combat sans fin où elle n’a pas toujours été du coté de la justice et de la liberté. Menacé idéologiquement par l’islamisme radical et économiquement par l’Asie, l’Empire américain a tendance à se recroqueviller sur lui même et l’Afrique n’est finalement qu’une infime variable, le Sénégal une cosmétique dont il faut prendre soin.