Angel
J’étais assise sur le bord du lit depuis des heures, les doigts crispés sur le bord du matelas et le regard perdu sur la moquette élimée sur laquelle les néons de l’enseigne de l’hôtel projetaient par intermittences un halo lumineux. Ils éclairaient faiblement cette chambre au mobilier dépassé et à l’odeur fétide: désagréable mélange de parfums bon marché, de transpiration et Dieu sait quoi d’autres laissé par les précédents occupants. Les minces parois laissaient entendre tout ce qui se passait dans les chambres mitoyennes. Des cris de disputes me parvenaient de l’autre bout du couloir, se mêlaient aux rires, aux gémissements, aux claquements de portes ou aux bruits de tuyauterie. Un dur et cruel retour à la réalité que j’avais tentée de fuir. Mais c’était tout ce que j’étais en mesure de me payer. Je n’avais plus rien. Je me retrouvais dans une situation encore plus précaire qu’un an plus tôt. Je l’avais laissé prendre le contrôle ma vie et j’en payais maintenant le prix. Cette colère et cette peur qui m’habitaient depuis si longtemps et qu’il était parvenu à apaiser avaient fait brutalement surface au moment où je m’étais retrouvée seule dans cet immense appartement vide. J’étais furieuse contre lui de m’avoir rejetée au moment où je m’étais pour la première fois totalement abandonnée. Mais contre moi aussi. J’avais été assez stupide pour croire que les choses pouvaient changer, que je pouvais espérer une autre vie que celle qui se profilait à nouveau.
Au fil des heures, les bruits s’estompèrent. Une relative quiétude, que seule la circulation et quelques sirènes de voitures de police venaient briser, s’était répandue sur l’étage. Je finis par sombrer dans un sommeil agité, entrecoupé de mes cauchemars habituels. Le lendemain, je me fis violence pour me lever. Je devais trouver une solution. Je n’avais même pas les moyens de rester dans cet hôtel miteux. La veille, je m’étais refusée à me rendre chez Charlène, sachant pertinemment qu’elle serait la première personne qu’Elijah irait voir s’il tentait de me retrouver. Si tant est qu’il le veuille vraiment. Je m’étais contentée de lui envoyer un simple SMS pour la rassurer avant de laisser le téléphone. Mais je ne voyais pas vers qui d’autre me tourner. Je me traînai jusqu’à la salle de bain et ôtai la robe que je n’avais même pas eu le courage d’enlever la veille.
Le reflet que me renvoya le miroir n’était pas vraiment glorieux. Des traces de maquillage obscurcissaient le contour de mes yeux déjà cernés et ma nouvelle coupe de cheveux avait décidé pour sa première matinée de déjà se rebeller. Mon regard glissa jusqu’à mon cou pour échapper à la harpie qui me faisait face. Je portais toujours son collier, ce dernier cadeau qu’il m’avait offert avant de partir 15 ans plus tôt. Je l’avais farouchement gardé hors de portée de Greg pendant toutes ces années. Malgré mes problèmes d’argent, je m’étais toujours refusé à m’en séparer. J’ignorai jusque là pourquoi j’y tenais à ce point. Maintenant, je savais. Mes doigts se posèrent sur le médaillon représentant un ange aux ailes déployées. J’en caressais les fins reliefs quand soudain l’idée de l’avoir encore autour du cou me sembla intolérable. Cet ange était mort depuis longtemps. Mes mains tremblantes et impatientes eurent presque raison du fermoir. Je ne voulais plus de ces souvenirs qui me rattachaient à lui.
Une heure plus tard, il finit chez le premier prêteur sur gages que je trouvais sur ma route. Il m’en offrit un prix dérisoire qui ne me permit même pas de me payer une seconde nuit à l’hôtel. Mais je m’en foutais. Plus rien n’avait d’importance, mon esprit était aussi anesthésié que pouvaient l’être tous mes membres gelés par le froid. J’errai sans but une bonne partie de la journée, l’épaule sciée par le sac dans lequel j’avais enfourné quelques affaires avant de partir de l’appartement. Ce ne fut que lorsque la nuit commença à s’abattre sur la ville que j’émergeai de cet état second dans lequel je m’étais volontairement enfoncé toute la journée pour ne pas avoir à réfléchir et fuir d’une certaine manière la réalité. La température dégringola rapidement et je m’engouffrai dans la première bouche de métro que je trouvais. Je restai un long moment emmitouflée dans mon manteau en grelottant de froid devant la rame qui allait en direction du Queens. « Retour à la case départ », pensai-je en lâchant involontairement un ricanement amer lorsque je me décidai enfin à monter dans l’un des wagons.
L’enseigne du Cheetah’s club était visible dès la sortie du métro mais je préférai éviter la grande rue et empruntai les ruelles adjacentes pour arriver jusqu’à l’entrée. La musique toujours trop forte s’échappait par la porte par laquelle les clients se faufilaient non sans avoir jeté un dernier regard de part et d’autre de la rue. Je fis de même en emboîtant le pas de l’un d’eux. Les odeurs caractéristiques de l’endroit m’assaillirent dès que j’eus mis le pied dans le vestibule où l’homme qui m’avait précédée se débarrassa de sa veste. J’échangeai de rapides salutations avec la jeune femme qui s’occupait des vestiaires et ignorai toutes celles que je croisai jusqu’au comptoir du bar. Je n’avais pas l’intention de m’éterniser dans cet endroit. Je balayai la salle du regard à la recherche de Charlène sans succès.
— Angel ! Quelle surprise ! l’interpella Brian, le barman.
Brian était un type bien avec lequel je m’étais toujours entendue. Toujours souriant et pas le moins du monde avare de paroles aimables, il était tout l’opposé de son patron.
— Bonsoir Brian. Je cherche Charlène, l’informai-je en m’appuyant sur le comptoir pour que ma voix puisse couvrir la musique assourdissante.
Le large sourire qu’il arborait en me voyant s’effaça subitement et son regard se porta par-dessus mon épaule. J’eus à peine le temps de m’interroger sur le pourquoi de son changement d’attitude que les mains de Tony vinrent se poser sur le comptoir. Prisonnière de ses bras qui faisaient barrage de part et d’autre de mon corps, je me collai au bar pour échapper à ce contact qui me répugnait.
— Regardez qui nous revient ! La princesse vient rendre visite aux gueux ? persifla-t-il au creux de mon oreille alors que je m’obstinai à lui tourner le dos pour lui signifier tout le mépris qu’il m’inspirait.
— Je suis venue voir Charlène, répondis-je sommairement.
— Elle est très occupée ce soir.
Ses mains quittèrent le zinc pour se poser sur mes bras et me faire pivoter. Je roulai des épaules pour qu’il enlève ses sales pattes. Cela l’amusa. Le rictus qui déformait sa face de rat s’élargit d’autant plus lorsque son regard se posa sur le sac qui traînait à mes pieds.
— Si je comprends bien le conte de fées est terminé. Que s’est-il passé ? Tu as ouvert les yeux sur ton prince charmant et réalisé qu’il n’était qu’un salopard ?
Je ne lui fis pas grâce d’une réponse. Il plissa les yeux et sourit ouvertement avant de reprendre :
— A moi que ce ne soit lui qui ait ouvert les yeux sur toi…, railla-t-il.
Je me raidis, piquée au vif par sa remarque. Je le repoussai aussi brutalement que je le pouvais. Je ne parvins pas à le faire reculer de plus d’un pas mais cela me suffit pour me saisir de mon sac. J’étouffais dans cet endroit dans lequel je n’aurais jamais dû mettre les pieds. Il fallait que je sorte. J’entendis son ricanement dans mon dos avant de sentir sa poigne se refermer à nouveau sur mon bras.
— Je ne voulais pas te vexer. Ne t’en va pas comme ça, m’excusa-t-il d’une voix des plus sincères.
Mais je n’étais pas dupe de son manège. Après l’avoir supporté au quotidien pendant un an, aucune de ses manœuvres pour amadouer ses proies ne m’étaient inconnues. Je lui lançai un coup d’œil méprisant qu’il ignora sciemment.
— Tu peux attendre le retour de Charlène ici si tu veux, me proposa-t-il. Allons discuter dans mon bureau, on y sera plus tranquilles.
J’aurais dû prendre mes jambes à mon cou à la seconde. Je le savais pertinemment pourtant je le laissai m’entraîner vers le couloir sombre qui conduisait à son bureau. De toute manière quoi qu’il arrive, j’étais intimement persuadée que j’allais tôt ou tard toucher le fond à nouveau. Ce soir-là ou le lendemain, cela ne faisait pas grande différence. Son bureau était plongé dans une semi-obscurité que seule une lampe posée sur sa table de travail chassait quelque peu au milieu de la pièce. Il referma la porte derrière moi et me débarrassa d’autorité de mon manteau.
— Tu veux boire quelque chose ? me demanda-t-il en m’invitant d’un geste à m’asseoir sur le canapé en simili cuir qui occupait tout un pan de mur.
Face à ce dernier, une large glace sans teint permettait de voir l’ensemble du bar. Plus la soirée s’écoulait, plus la salle se remplissait. Les tables aux abords de la scène étaient les premières occupées. La fille qui dansait de manière suggestive aguichait ouvertement les clients assis à proximité. Je détournai le regard sans pouvoir réprimer une moue de dégoût qui n’échappa pas à Tony.
— Le spectacle te dérange, maintenant, princesse ? me nargua-t-il en prenant place à même la table basse pour me faire face, ses jambes de part et d’autre des miennes.
Je me saisis du verre qu’il me tendait et en avalai une gorgée pour ne pas avoir à répondre. L’alcool fort me brûla la gorge et me fit grimacer mais j’aspirai presque à ce qu’il m’enivre rapidement pour ne plus avoir conscience de ce que j’étais en train de faire.
— Ce que tu vois peut te répugner mais, au moins, cela a le mérite d’être vrai et de ne pas faire illusion contrairement au monde que ton gus plein aux as t’a fait miroité, poursuivit-il.
— Tu ne sais rien…
— Je n’ai pas besoin de connaître les détails pour comprendre, m’interrompit-il. Tu t’es laissée berner par de belles promesses et tu as cru pouvoir sortir de cette vie-là. Mais ne te fais pas d’illusion ma jolie : on ne peut pas échapper à ce que l’on est très longtemps et plus vite tu l’accepteras, plus vite tu pourras en tirer profit au lieu de te lamenter sur ton sort.
— Et qu’est-ce que je suis, Tony ?
Un sourire enjôleur s’afficha sur son visage. Il posa son verre à ses côtés pour me jauger avec intérêt.
— Un petit diamant brut qui pourrait mettre tous ces imbéciles à ses pieds si elle voulait, me répondit-il en posant ses mains sur mes cuisses.
Je le laissais faire, impassible. A quoi bon m’offusquer ou résister de toute manière. C’était finalement cela ou finir à la rue.
— Moi, je ne t’ai jamais menti, j’ai toujours été franc et honnête avec toi Angel. Travaille pour moi et ce sera qui tu veux et quand tu veux. Je ne t’imposerai rien, continua-t-il alors ses caresses sur mes jambes se faisaient plus insistantes.
Je détachai mon regard de ses yeux sombres pour le porter par delà la glace sans teint. Il se posa sur un type blond accoudé au bar. Relativement jeune, il avait l’air gauche et emprunté de ces hommes qui ne sont pas coutumiers des lieux et qui passent leur soirée à tenter de nouer le dialogue avec les serveuses.
— Ce type blond là-bas, proposai-je d’une voix si dénuée d’émotion qu’elle me surprit moi-même.
Tony haussa, lui-aussi, un sourcil d’étonnement devant mon aplomb soudain. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule pour voir l’homme dont je parlais avant de reporter à nouveau son attention sur moi.
— Ce n’est pas vraiment ce que j’avais en tête ce soir mais comme tu veux princesse. Tes désirs sont des ordres, concéda-t-il à regret.
Il se leva et se dirigea vers son bureau. Il sortit la clé de l’une des chambres de l’hôtel d’en face de l’un des tiroirs et me la posa en évidence.
—Tu as autre chose à te mettre sur le dos ? Le jean, ce n’est pas vraiment vendeur, m’interrogea-t-il.
J’opinai simplement de la tête. Quand il sortit du bureau, je fouillai dans mon sac pour en sortir la robe que j’avais portée la veille. Je me surpris à me préparer, à me maquiller sans la moindre appréhension comme si j’allais à une quelconque soirée. Peut-être que cette fouine de Tony avait raison : il suffisait simplement d’accepter la réalité. Je ne ressentais plus rien, ne pensais plus à rien et ce n’était pas si mal après ces quelques semaines de tempêtes émotionnelles en tout genre.
Je sortis du club sans prendre la peine d’attendre le type qui m’avait timidement emboîté le pas.
— Magne-toi ! Je n’ai pas toute la nuit, lui aboyai-je alors qu’il restait planté de l’autre côté du trottoir.
La chambre était la même que la première fois mais, ce jour-là, je n’étais pas en état de m’appesantir sur la décoration sommaire et vieillie. Je ne m’en préoccupai pas davantage ce soir-là. J’ôtai mon manteau et mes bottes pendant qu’il restait debout, penaud et mal à l’aise. Il n’était finalement pas beaucoup plus vieux que moi. Il s’était laissé convaincre par Tony mais c’était visiblement la première fois qu’il payait pour ce genre de chose.
— Je m’appelle…
— Je m’en fous, l’interrompis-je sèchement.
J’avançai vers lui tout en faisant glisser la fermeture éclair de ma robe. Le ton abrupt de ma remarque l’avait troublé. Il me laissa le débarrasser de sa veste sans réagir. Après un instant d’hésitation, il sembla reprendre un peu d’assurance et approcha son visage du mien. Une brève lueur de lucidité échappée de mon cerveau que je maintenais en bride me fit me reculer brusquement. Il parut étonné mais moins que lorsque la porte s’ouvrit à toute volée.
Il bredouilla quelques brides de phrases sans le moindre sens avant que le vampire ne le saisisse par la gorge. Il m’avait cherchée tout compte fait. Je ne l’aurais pas cru.
— Disparais ! lui hurla-t-il au visage.
D’un geste qui ne sembla pas lui coûter le moins du monde, Elijah l’envoya valser par la porte ouverte. J’eus à peine le temps de le voir retomber lourdement au milieu du couloir qu’Elijah referma la porte si violemment que les minces parois en vibrèrent. Je reculai instinctivement. Je n’avais pas encore eu l’occasion de le voir en colère et regrettai à ce moment-là d’en être à la fois le témoin et la cause. Les muscles de sa mâchoire se crispaient tout autant que ses poings, serrés à en faire blanchir ses jointures. Je ne pouvais pas me soustraire à ce regard noir qui me fixait froidement et qui n’avait plus rien à voir avec celui bienveillant et tendre dans lequel j’avais aimé me perdre ces dernières semaines.
J’aurais sans doute dû faire profil bas à ce moment-là, me réjouir du fait qu’il m’ait cherchée et évité de faire encore une fois une énorme erreur. Au lieu de cela, je laissai mes sales manies refaire surface au risque de le voir franchir cette limite qu’il avait de toute évidence du mal à ne pas franchir. Je m’écartai du mur contre lequel je m’étais réfugiée pour venir me planter devant lui.
— C’est dommage il avait l’air d’un gentil garçon et le pauvre avait payé d’avance, le provoquai-je ouvertement et surtout très stupidement.
— Fais attention Angel : ne recommence pas à jouer à ce jeu avec moi, me souffla-t-il entre ses dents serrées.
La mise en garde était claire mais je ne l’entendis pas de cette oreille. Il m’avait blessée et rejetée sans me fournir la moindre explication et je voulais lui rendre la pareille en me contrefichant des conséquences comme du reste.
— Je n’ai pas le temps de jouer alors…. ou tu payes ou tu sors!
Il opta pour une troisième solution. La violence de la claque qu’il m’asséna me fit chanceler. Il me rattrapa par le bras avant que je ne m’effondre sur le lit et me plaqua sans ménagement contre le mur. La douleur cuisante qui m’échauffait la joue m’arracha une plainte mais elle ne fit qu’attiser un peu plus ma propre colère. Nous restâmes un long moment à nous affronter du regard, nos souffles haletants mêlés. J’étais à la fois furieuse et troublée par sa proximité. Le souvenir de sa bouche jouant avec la mienne, de ses mains sur moi fit vaciller mes dernières réticences et les siennes aussi de toute évidence. La froide irritation qui scintillait dans ses yeux sombres s’évanouit peu à peu pour faire place à une expression qui ne me laissait aucun doute sur ses propres sentiments. Il me saisit brutalement par la nuque pour m’attirer à lui.
Tout comme la veille, nos lèvres se soudèrent sans la moindre douceur et se cherchèrent avec avidité. Je réprimai les lambeaux de protestations que mon esprit essayait en vain de m’envoyer. Cela ne devait pas se passer de cette manière, pas dans cet endroit, pas après ce que j’avais failli faire et venais de lui dire. Mais cela me paraissait sur le moment dérisoire. Je ne voulais ressentir que son désir qui se pressait contre le mien, ses mains qui descendaient jusqu’à l’ourlet de ma robe pour s’en saisir et me la faire passer brusquement par-dessus tête. Je le débarrassais de sa veste et de son manteau dans un même geste. Lorsque mes mains s’attaquèrent maladroitement à la ceinture de son pantalon, il émit un vague grognement avant de me les agripper pour entrainement vers le lit. Je basculai sur ce dernier alors qu’il resta debout à me contempler, sans bouger. Je fus alors frappée par la froideur de son regard qui balayait mon corps nu sans la moindre pudeur. Je m’attendais presque à ce qu’il me plante là à nouveau. Mais au lieu de cela, il entreprit d’ôter ses vêtements avec des gestes vifs et impatients avant de me rejoindre.
La colère que je ressentais dans chacune de ses caresses aurait dû m’alarmer pourtant tout mon corps y répondait sans retenue. Ce même corps qui avait toujours répugné à être touché allait à leur rencontre, les cherchait quand ses mains me quittaient ne serait-ce qu’une seconde. Je cherchais moi-aussi à l’étreindre, à parcourir sa peau froide et découvrir ce corps que je m’étais surprise à imaginer si souvent mais mes mains se retrouvèrent soudain prisonnières des siennes, épinglées au dessus de ma tête. Il entra alors en moi dans un mouvement brusque qui m’arracha un cri de surprise. Je me sentis tout d’un coup effrayée par la violence de ce que je ressentais pour cet homme, de ce qu’il faisait naître en moi. C’était une facette de lui qui m’était totalement inconnue. Elle me faisait peur et m’excitait tout à la fois. J’accompagnai chacun de ses coups de reins jusqu’à être totalement submergée par cette vague irrépressible qui faisait bourdonner mon sang dans mes tempes. Il étouffa le cri qui m’échappa d’un baiser possessif. Je sentis alors tout son corps se raidir avant de s’affaisser sur le mien. Il dissimula son visage au creux de mon épaule et lâcha mes poignets qu’il avait serrés à m’en faire mal. J’enlaçai farouchement son cou pour le garder contre moi. Nous restâmes ainsi un long moment, nos souffles saccadés et nos battements de cœurs désordonnés se faisant écho. Lorsqu’il se redressa, je perçus l’espace d’une seconde une détresse insondable dans son regard mais très vite il se ressaisit. A nouveau, son visage se ferma. Il se leva et je sentis un frisson m’envahir.
— Rhabille-toi. On s’en va, m’ordonna-t-il.
Le ton rude de sa voix et son air totalement insensible m’atteignirent et me blessèrent plus sûrement que la claque qu’il me donna un peu plus tôt. Je restai mortifiée pendant qu’il se rhabillait. Devant mon immobilisme, il ramassa ma robe et me la lança sur le bord du lit.
— Dépêche-toi.
— Ne fais pas ça…
Ma gorge nouée était si douloureuse que j’avais peine à articuler.
— Ne me traite pas comme une…
Il se figea et vint se planter devant le lit où je restai assise incapable de me lever tant son regard me glaçait.
— Comme une quoi, Angel ? Ce n’est pas ce que tu voulais ? Te prouver que tu ne valais pas mieux que cela, que, moi, je valais pas mieux que tous ces salopards qui ont traversé ta vie. Félicitations, tu as réussi.
Ses paroles m’atteignirent comme un coup en pleine poitrine. Je ne tentai même pas de retenir les larmes qui dévalaient mes joues. Mais il n’était pas disposé à se laisser attendrir.
— Tu as cinq minutes pour descendre, pas une de plus, décréta-t-il. On a un autre problème à régler.
Il quitta la chambre sans rien ajouter de plus en claquant la porte derrière lui. Je m’habillai comme une automate, totalement désorientée par ce qui venait de se passer.
Je n’avais jamais cessé de tester ses limites depuis qu’il était revenu dans ma vie. Force était de constater que je venais de les trouver.