Les Damnés: La Malédiction des Petrova – Chapitre XXX

- Dites-moi pourquoi je ferais confiance à une femme qui a trahi coup sur coup le conseil et Klaus ? Vous avez la trahison facile apparemment.

Sous le regard froid, dépourvu de la moindre humanité qui la jaugeait, Véra tentait de garder une certaine contenance malgré le malaise qui l’envahissait. Elle se félicita de l’avoir attiré dans cette taverne bondée où elle se sentait davantage en sécurité même si elle savait pertinemment que les hommes imbibés d’alcool qui les entouraient ne lui seraient d’aucune aide en cas de problème. Elle ne le connaissait que de réputation, quelques rumeurs glanées au hasard de conversations entre membres du conseil, quelques allusions furtives et empruntes de malaise de la part de Klaus ou d’Elijah. Maintenant qu’elle se trouvait face à lui, elle en comprenait la cause. Son attitude altière, le ton grave mais calme de sa voix ne  rendait le personnage que plus inquiétant. Elle ne lui faisait guère confiance mais il était en mesure de la protéger d’inévitables représailles de la part de Klaus et c’était, à ce moment là, tout ce qui lui importait.

- Parce que nous avons le même objectif et parce que je vous offre Klaus sur un plateau : vous n’avez plus qu’à aller le cueillir au château, répondit-elle avec le plus assurance possible.

Viktor leva les sourcils et fit une moue en guise d’acquiescement :

- Effectivement, vous me simplifiez grandement la tâche.

Il s’interrompit, l’air pensif, et  porta un instant son attention sur les clients bruyants attablés à la table voisine tout en tapotant la table du bout des doigts. Il réfléchit un moment à la proposition d’alliance de la sorcière puis reprit :

- Vous allez peut-être pouvoir m’être utile finalement. Il est toujours utile d’avoir une sorcière dans son camp surtout que mon fils aîné semble avoir été amadoué par Elijah et rechigne à exécuter mes projets.

- A savoir ? demanda Véra en posant ses avant bras sur la table et en avançant le buste pour montrer son intérêt

- A savoir me débarrasser définitivement de cette maudite famille. Plus de Petrova, plus de risque que la malédiction soit levée et surtout plus de risque de les voir nous jouer des tours dont elles ont le secret.

Véra se redressa sur son siège. Elle n’avait pas, jusque là, envisagé de s’en prendre aux deux sœurs mais l’idée de se venger de ce qu’Anya venait de faire lui paraissait tout d’un coup extrêmement séduisante. Cette perspective lui arracha un sourire de contentement.

- Ne vous réjouissez pas trop vite. Il semblerait que Klaus ait encore agi sans réfléchir en transformant la plus jeune. Elle est, certes, encore novice mais elle peut se révéler redoutable si l’on en juge par l’état dans lequel mon fils est revenu de leur confrontation. Mais vous ne serez pas seule: mes deux autres fils vous prêteront main forte au cas où Elijah serait encore dans son sillage.

- Et pour Klaus comment comptez-vous vous y prendre ? Je pensais que rien ne pouvoir détruire un originel.

- Détruire non, mais j’ai négocié le petit secret d’Anya avant que Waleda ne nous quitte de façon aussi …mélodramatique, commença t-il avec un sourire torve sur les lèvres. J’ai en ma possession une dague qui le neutralisera.

- Quand comptez-vous agir ?

- Dès que possible. Avant que Klaus ne trouve un moyen de sortir ou que les deux sœurs ne découvrent  que vous lui avez dérobé la pierre. Pierre que je serais d’ailleurs ravi  de récupérer.

Le visage de Véra se ferma aussitôt :

- La pierre ne fait pas partie de nos arrangements. Elle me servira de garantie au cas où les choses ne tourneraient pas en ma faveur. Elle est en lieu sûr : n’essayez pas de la retrouver, ce serait peine perdue, lâcha-t-elle froidement.

Viktor reprit son martèlement de la table du bout des doigts pour marquer son exaspération devant le ton insolent de la sorcière. Il inspira profondément, les lèvres pincées puis finit par concéder :

- Très bien. Vous vous occupez des Petrova et moi de Klaus. Marché conclu.

Le vampire  tendit une main au dessus de la table en guise d’accord. Véra regarda un instant cette main tendue qu’elle hésitait à serrer. Lorsqu’elle tendit la sienne, le vampire s’en saisit brutalement et la tira vers lui. La jeune femme se trouva ainsi plaquée face à la table, emprisonnée par la poigne du vampire sous le regard indifférent de l’assistance.

- Ne vous avisez pas de vous jouer de moi comme vous l’avez fait pour le conseil ou Klaus ou je vous arrache la tête sans la moindre hésitation, souffla-t-il dans le creux de son oreille  avant de  relâcher sa prise.

La jeune femme se releva brusquement enserrant sa main meurtrie contre sa poitrine, le souffle court.

- Nous sommes donc d’accord…, reprit-il en la jaugeant froidement.

~*~

Le spectre de Waleda s’était évanoui depuis de longues minutes déjà, mais aucun des trois n’osait briser le silence qui avait suivi sa disparition. Chacun gardait le regard obstinément baissé, comme si ce moment de recueillement leur était nécessaire pour reprendre pied dans la réalité.

 - Et maintenant que faisons-nous ? demanda Noura en jetant un regard interrogateur aux deux autres.

- Je vais honorer ma part du marché. Elijah m’accompagnera jusque là-bas et toi , Noura, tu iras t’assurer que Milan et les enfants vont bien, proposa Anya.

- Et après ? Que ferons-nous lorsqu’il saura la vérité et qu’il t’aura mis la main dessus ? Il ne te laissera jamais repartir, s’inquiéta Noura.

- Je pense qu’il serait plus sage de ne lui révéler  qu’un minimum d’éléments. Contentez-vous de lui dire qu’il a besoin de vous pour briser la malédiction pour le moment. Véra vient de nous rendre un sacré service et va nous faire gagner du temps. Tant qu’il n’aura pas la pierre, Anya ne lui servira à rien. Nous devons la retrouver avant lui. Anton et moi allons en charger, reprit Goran.

- Je viens avec vous Anya, décréta Noura que la perspective de laisser sa sœur à nouveau seule avec Klaus n’emballait  pas du tout.

- Il en est hors de question ! A moi, il ne peut faire aucun mal mais pas à toi…

- Et comment comptes-tu briser le sort qui l’emprisonne ? insista Noura.

 Anya ouvrit la bouche pour répondre mais la referma aussitôt constatant qu’elle n’avait aucune réponse à apporter à ce détail auquel elle ne pensait plus. Goran expira bruyamment, par avance consterné par ce qu’il allait faire.

- J’espère que vous ne me referez pas regretter ce que je vais faire. Mais je ne peux décemment pas vous envoyer là-bas sans défense, dit-il en posant ses mains de part et d’autre de la tête de la jeune femme.

Le contact fut bref et léger mais ce que ressentit alors Anya fut si violent que la jeune femme vacilla et tomba à genoux sur les pierres froides de la salle. Elle mit quelques instants à reprendre ses esprits totalement enivrée par ces sensations qu’elle n’avait pas ressenties depuis de si longues années.

- Que lui avez-vous fait ? s’indigna Noura en se précipitant vers sa sœur pour l’aider à se relever.

- Je lui ai rendu ses pouvoirs. Mais je vous préviens ce sera provisoire. Dès que le livre sera en notre possession, Noura récitera la formule qui privera définitivement votre famille de ses maudits dons.

 Attendant patiemment dehors,  Elijah et Anton faisaient des efforts démesurés pour cacher leur antipathie respective. Adossés chacun à un des deux chênes qui marquaient l’entrée de la propriété, les deux hommes tentaient depuis un long moment déjà de fuir le regard de l’autre. Anton se détacha soudain de sa contemplation de la façade de la maison pour se saisir d’une branche qui gisait à ses pieds. Il en brisa d’un coup sec l’extrémité, sortit un couteau attaché à sa ceinture et entreprit d’en tailler   la pointe avec des gestes vifs. Passablement irrité par cette provocation à peine dissimulée, Elijah se redressa, la mâchoire serrée et détourna le regard pour ignorer le sourire narquois qui s’était dessiné sur les lèvres du sorcier.

- Je viens de réaliser que votre cher frère, non content d’avoir fichu ma vie en l’air, a également tué mon demi-frère, lâcha soudain Anton alors que le vampire commençait à s’éloigner.

Elijah s’immobilisa, les lèvres pincées par l’exaspération qui l’envahissait :

- Effectivement, fit-il mine de concéder en se retournant pour lui faire face. Mais si c’est à Véra que vous faites référence en disant qu’il a gâché votre vie, je considère au contraire qu’il vous a rendu un sacré service.

Le sourire narquois s’effaça soudain du visage d’Anton pour aller s’afficher sur celui du vampire. Le sorcier se redressa vivement et s’approcha suffisamment du vampire pour venir placer la pointe du pieu sur sa poitrine.

- Vous savez très bien que vous ne me tuerez pas avec ça, remarqua Elijah sans prendre la peine de bouger.

- Je sais mais je suppose que vous en ressentirez malgré tout la douleur. Et puis en tant qu’oncle, je dois tout faire pour protéger ma plus jeune nièce de types dans votre genre, lâcha Anton.

Elijah regarda l’arme grossièrement taillée pointée sur lui avec amusement :

- C’est aussi pour protéger Anya que vous l’avez envoyée dans la gueule du loup…sans vouloir faire de mauvais jeu de mot ? répliqua-t-il en levant un sourcil provocateur.

La pression de la pointe sur sa poitrine s’accentua. De plus en plus agacé par son manège,  Elijah dévisagea froidement le visage crispé du sorcier avant de se saisir brusquement de l’arme et de la retourner contre la poitrine de son adversaire:

- Vous n’êtes qu’un irresponsable et si à l’avenir j’apprends que vous les avez mises à nouveau en danger par une de vos idées saugrenues, où que nous soyons, je reviendrai vous planter moi-même ce pieu dans le cœur, lâcha le vampire entre ses dents en se saisissant brutalement de la nuque du jeune homme.

 Le vampire lâcha brusquement prise en sentant derrière lui la présence de Noura qui s’approchait lentement d’eux. La jeune femme s’immobilisa en entendant ces paroles.

- Tout va bien ? demanda Anton en voyant le visage fermé de sa nièce.

- Oui, tout va bien. Waleda nous a donnés les informations qui nous manquaient, commença-t-elle sans quitter Elijah des yeux. Votre père a rendu ses pouvoirs à Anya et est en train de lui expliquer comment lever le sort jeté par Véra. Vous devriez aller les rejoindre.

Devant le ton ferme qui n’appelait pas la contestation, Anton lança un dernier regard railleur au vampire avant de battre en retraite et de le laisser à la merci de la sorcière.

 Noura attendit que le sorcier pénètre dans la maison avant de poser la question qui lui brûlait les lèvres et dont elle soupçonnait autant qu’elle craignait la réponse.

 - « Où que nous soyons, je reviendrai » ? répéta-t-elle.

Elijah, qui n’avait cessé de repousser ce moment, inspira profondément avant de répondre.

- Klaus a consenti à rendre le livre à condition que je le rejoigne, expliqua Elijah en se détournant  de ce regard dans lequel il pouvait lire autant de colère que de désarroi. Je serai plus à même de vous protéger si je suis à ses côtés pour savoir ce qu’il manigance.

- Tu sais bien qu’à chaque fois que tu me laisses seule, il se produit toujours une catastrophe ou alors c’est moi qui en cause une, tenta-t-elle à voix  basse dans l’espoir de le faire changer d’avis.

Elijah laissa échapper un sourire attendri :

- Tu n’es plus seule maintenant. Tu viens de retrouver une famille qui sera à même d’éviter toute « catastrophe ». Même cet imbécile d’Anton fera tout ce qu’il faudra pour vous protéger. Je ne te serai plus utile si je pars.

 Il n’eut pas le temps d’anticiper la gifle aussi inattendue que violente qu’elle lui asséna à peine sa phrase terminée.

- Non mais tu fais exprès de ne pas comprendre ? Je ne veux pas de ta protection, je te veux, toi, à mes côtés ! s’emporta –t-elle.

Piqué au vif, Elijah lui lança un regard plein de reproche :

- C’était vraiment utile ? demanda-t-il irrité en portant une main à sa mâchoire endolorie.

- Non…mais ça soulage, lâcha-t-elle en tâchant de retrouver son calme pour éviter de céder à la tentation de lui faire comprendre le fond sa pensée de manière, si ce n’était plus radical, au moins plus spectaculaire.

- J’essaie de faire ce qu’il y a de mieux pour tout le monde.

- Je me fous de « tout le monde » ! Et je te préviens que si tu commences ta phrase par un  « Ce n’est pas le moment de … » dont tu as le secret, je….

- ….comme par exemple : Ce n’est pas le moment de faire des caprices de ce genre ? continua-t-il de plus en plus exaspéré.

La jeune femme ne se contint pas davantage. D’un geste des mains, dans lequel elle concentra toute son exaspération, elle prit pour cible les deux grands arbres qui crachèrent lugubrement sous l’effet des flammes qui ravagèrent en un instant leurs ramures.

-  Non mais tu es complètement folle ! Tu veux attirer le conseil jusqu’ici, s’emporta Elijah.

- Estime-toi heureux que je ne t’aie pas pris, toi, pour cible !

Le vampire haussa les sourcils de surprise et de consternation mêlées :

- Je serais curieux de voir ça, lâcha-t-il entre ses dents en croisant les bras sur la poitrine.

Ils s’affrontèrent un long moment du regard et ne remarquèrent même pas la présence des trois autres qui étaient apparus sur le perron alertés par l’incendie provoqué par la sorcière.

Sentant sa colère l’abandonner au profit d’une émotion qu’elle n’avait pas du tout l’intention d’exposer aux yeux du vampire, Noura, le souffle court, la gorge nouée, préféra battre en retraite :

- Va au diable ou retourne auprès de ton frère, ce qui revient au même ! lâcha-t-elle en tâchant de contenir les tremblements de sa voix.

Sans attendre la réponse, elle s’évanouit  dans les airs.