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Hugo Cabret

Par Kinopitheque12

Martin Scorsese, 2011 (États-Unis)

Hugo Cabret

On ne trouve pas le grand film attendu dans la première heure. Notamment parce que les effets numériques, sans la 3D, retirent de la magie plus qu’ils n’en produisent et, même si Scorsese évite le sépia de Jeunet, la saturation des couleurs n’embellit pas non plus l’image (une contrainte inhérente à la 3D d’origine ?) 1. Dans la seconde moitié, à partir de l’envol des dessins vidés d’une boîte de souvenirs refoulés, Scorsese sacrifie le merveilleux à la pédagogie, la puissance évocatrice ou la magie du cinéma à l’exposition renseignée de la vie et du travail de Méliès.

Pourtant, à travers son adaptation du livre de Brian Selznick 2, le metteur en scène organise aussi un réseau de références au muet auxquelles il fait même écho dans ses propres plans, et grâce à ce système, ou à cette mécanique, la magie opère bien par endroits. Pour prendre des exemples iconiques, c’est un passage de Safety last! (Newmeyer et Taylor, 1923) repris lorsque Hugo se trouve suspendu à la grosse aiguille de l’horloge, ou bien L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (Lumière, 1895) qu’il est facile de faire correspondre avec le cauchemar de Hugo voyant la locomotive monter sur le quai et détruire la gare 3. Dans le premier exemple, la scène joue avec le pouvoir d’identification du spectateur au personnage car, tout autant pris de vertige, le spectateur rejoint Harold Lloyd et Hugo sur l’horloge. Dans le second, c’est le fantasme que crée le film qui est évoqué. Le train de La Ciotat arrive bien en gare mais la légende veut que les premiers spectateurs très impressionnés aient cru à son surgissement hors de l’écran. Hugo en rêvant au train met ainsi en images les peurs rapportées qu’auraient suscité le film des Lumière.

Une autre idée nous intéresse. Scorsese évoque la rupture de la Première Guerre mondiale. D’après Hugo et pour reprendre la métaphore horlogère du garçon, avant que la guerre n’éclate, comme chaque pièce d’une montre ou d’un automate, chacun avait sa place et son rôle à jouer. Après la guerre, les rouages se sont enraillés. L’inspecteur de gare blessé sur le front ne marche plus droit, manque de confiance et peine à déclarer son amour à la fleuriste. Méliès, lui, n’est plus l’inventeur de génie qu’il était et se fait simple marchand de jouets. Le vieil homme donne sa propre explication du contexte et une des clefs de lecture du film :

« [Avec la guerre], ce fut la fin de la jeunesse et de l’espoir.
Le monde n’avait plus le temps pour les tours de magie et le cinéma.
Les soldats revenant du front, ayant vu la réalité de trop près, s’ennuyaient devant mes films.
Les goûts du public avaient changé, mais je n’avais pas changé avec eux ».


1914-1918 aurait alors marqué une rupture pour Méliès et son cinéma. Mais Scorsese s’est arrangé avec l’histoire car en vérité le cinéaste français rencontrait des difficultés bien avant que le conflit n’éclate (mauvaise vente ou pillage de ses films, fermeture de ses studios, différends avec Pathé et endettement). En outre, son dernier film était déjà réalisé en 1913 (Le voyage de la famille Bourrichon). Il est dommage sur cette période que Scorsese n’ait pas évoqué l’occupation des studios de Montreuil par l’armée ou leur réquisition en hôpital militaire. C’est en 1917, dans pareil contexte, qu’une partie des films de Méliès furent détruits. Ceux qui étaient stockés dans les bureaux de Montreuil furent en effet fondus et transformés en celluloïd pour la fabrication des talons de bottes de poilus 4.

La guerre a également fabriqué des orphelins. Ces enfants qui errent dans la gare et que l’inspecteur flaire, débusque et enferme. Ces enfants qui n’en sont plus tout à fait (puisque la jeunesse s’est envolée avec le conflit 5) et que Hugo voit disparaître un à un. Hugo Cabret, lui, c’est l’exception. Il chaparde mais jamais ne se fait prendre. Perché sur son horloge, il surveille comme un projectionniste de sa cabine 6. Et même, grâce à un oncle ivrogne (un Boudu qu’aucun libraire ne sauvera des eaux), il se rend encore utile en faisant tourner toute la mécanique du lieu puisque, chaque matin, en faisant la tournée des cadrans, il veille à ce que toute la gare soit à l’heure. Surtout, n’ayant pas connu directement la guerre et ses carnages, il est l’incarnation d’une génération qui va à nouveau s’émerveiller des fantaisies du cinématographe et redonner le sourire à Méliès : il est bien la clef perdue d’un automate endormi.
Et Scorsese ? Qui est-il ? Seulement ce photographe heureux sur le plateau de Méliès ? N’en croyons rien. Alors Méliès en personne ? Scorsese recréant fidèlement les films du maître français, tout en expérimentant avec les technologies de son temps et n’aspirant finalement qu’à une chose, émouvoir le public par sa magie. Ou bien cet historien, René Tabar, spécialiste du cinéma et très attaché à la question de mémoire ? Scorsese créateur et président de la World Cinema Foundation. Ou encore Hugo, gardien du temps ? Scorsese enfant, toujours fasciné par la mécanique cinématographique apte à tout régénérer, la jeunesse et l’espoir, les morts et leurs œuvres 7.
1 Simplement sur la forme, privilégiant les effets mécaniques au numérique, il nous semble que le Dracula de Coppola (1992) rend un plus bel hommage à l’inventivité du cinéma des origines.
2 Brian SELZNICK, The invention of Hugo Cabret, New York, 2007.
3 Scorsese reprend dans cette scène la célèbre photo de l’accident ferroviaire du 22 octobre 1895.
4 D’après John FRAZER, Georges Méliès: A Guide to References and Resources (1979), révisé par David SHEPARD et traduit par Serge Bromberg pour le coffret Méliès (Lobster Films, 2009). L’auteur note l’ironie de la situation (les films transformés en talons de chaussures) car la famille Méliès possédait une entreprise de chaussures que le jeune Georges avait fui dès que ce fut possible.
5 Une analogie très claire paraît alors s’imposer entre ces orphelins enfermés et les dessins de jeunesse de Méliès que Hugo délivrera de leur boîte (le temps retrouvé).
6 De là-haut, Hugo est aussi le spectateur de scènes à la Tati, toutefois moins charmantes, trop courtes, un peu manquées.
7 Sur ces identifications ainsi que sur les mythes américain, technologique, etc. voir l’article de Christel TAILLIBERT, « Hugo Cabret, la tentation du mythe », dans C. GUTLEBEN, Le cinéma américain face à ses mythes : une foi incrédule, L’Harmattan, Paris, 2012, p. 203-220.


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