Première hier soir au Gasteig de Munich de la version concertante du chef d'oeuvre de Donizetti avec une Diana Damrau magistrale qui nous a offert une interprétation sublime du rôle de Lucia, avec en point d'orgue un Dolce suono bouleversant. La soirée aurait pu être ternie par l'escamotage soudain de la dernière scène du troisième acte, l'organisateur s'est en effet vu contraint d'interrompre le concert au motif d' un accès soudain d'allergie qui a empêché Joseph Calleja de continuer de chanter. Un malheur d'autant plus inattendu qu'il avait donné un incomparable Edgardo dans les deux premiers actes. Mais tels sont les aléas du monde du spectacle et c'est avec beaucoup d'élégance que l'organisateur a proposé au public de revenir assister à l'une des représentations suivantes: le 4 ou le 10 juillet.
Le Münchner Opernorchester et le Philharmonischer Chor étaient placés sous la direction musicale d'un Jesus Lopéz-Cobos qui n'a pas toujours su maîtriser la fougue et l'allant certains que lui inspirent cet opéra pour parvenir à ménager un plateau inégal. C'est ainsi que dès la première scène le Normanno zézayant de Maximilian Kiener était quasi inaudible au point qu'il semblait un choriste parmi les autres et que l'Alisa de Marie McLaughlin qui avait pourtant fourni une superbe attaque du rôle dans la seconde scène a été très vite couverte par l'orchestre.
Même s'il s'agit d'une version concertante, Diana Damrau tout comme Joseph Calleja jouent leurs personnages, ce dernier travaillant sans filet, sans recours à la partition. La diva a un art consommé de la scène et ses talents d'actrices sont à la mesure de son immense talent de cantatrice. Diana Damrau est apparue dans une robe de scène d'une élégance raffinée avec une large jupe et un châle d'un organdi gris très foncé qui encadre un bustier noir de jais surmonté d'une mousse de fanfreluches de la même couleur intense. Au troisième acte, elle arborera un ravissant bustier écossais de circonstance, au tartan vert et noir. Mais le charme du vêtement est peu de choses au regard de la performance artistique: les phrasés sont délicatement mélodieux, la diction impeccable, avec une finesse dans l'expression des nuances émotionnelles qui n'a d'égale que la perfection technique. Diana Damrau a un art de la scène consommé, elle incarne totalement Lucia, et quand elle joue la folie, elle sait en prendre jusqu'au regard, c'est une femme brisée par une douleur et un désespoir indicibles qui chante l'air de la démence. Pendant les deux premiers actes, la cantatrice travaille davantage en finesse et en délicatesse dans l'expression nuancée de la palette émotionnelle, avec une certaine retenue dans le suraigu, de bon aloi pour un rôle aussi exigeant et qui exige un effort quasi surhumain au moment du Dolce suono. La diva semble se jouer des difficultés techniques de cet air pour virtuoses, et surtout en donne une des meilleurs interprétations théâtrales qu'on en ait jamais pu voir, le plaisir est total, Damrau a dénoué ses cheveux retenus jusque là dans un sage chignon, elle est devenue la Lucia endolorie, déchirée, égarée et folle qui mourra d'épuisement. Un public éperdu d'admiration et de reconnaissance se lèvera comme un seul homme, la clameur des acclamations noie le crépitement des applaudissements, standing ovation!
Joseph Calleja, qui chante de mémoire, a donné lui aussi un Edgardo magnifique, avec les couleurs dorées de son ténor puissant qui dispose de vibratos inouïs, le duo de l'engagement marital qui est aussi celui de la séparation des amants est un grand moment d'opéra et on attendait son retour en scène pour le grand air final avec impatience. Le sort en a voulu autrement, mais c'est cependant un public enchanté de sa soirée qui est sorti du Gasteig, subjugué par le grand air de la folie.
Ludovic Tézier donne un bel Enrico, emprunt d'une austère noblesse, il parvient à faire passer les nuances de ce personnage partagé entre le sens du devoir familial et l'affection qu'il porte cependant à sa soeur, même si son intransigeance la conduit à la mort. Tézier chante Enrico avec un baryton extrêmement noble, élégant et séduisant, avec une virtuosité technique qui ne recherche pas l'effet facile et une attention au soutien partenaire du rôle-titre. La voix dispose d'une puissance certaine que le chanteur a la grâce de contenir avec complicité pour permettre à Diana Damrau de déployer toute la finesse de son jeu vocal. Cette même complicité se retrouve chez Nicholas Testé, une des grandes révélations de la soirée, avec son beau baryton-basse avec une large étendue, de somptueuses profondeurs, l'excellence de la diction et des couleurs chaleureuses.
Un grand moment de la saison estivale munichoise, que l'on pourra encore vivre, ou revivre, les
4 et 10 juillet 2013 à 19H30 au Gasteig de Munich.
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