Un extrait de Karl Jaspers (1883 – 1969), psychiatre et philosophe allemand, qui se dit lui-même « existentialiste chrétien », nous livre un passage sur l’accession au pouvoir des hommes politiques, et leur rapport aux concurents et à leur propre « être-soi ».
« Il n’arrive plus à personne, actuellement, d’être appelé à une fonction dirigeante à cause d’une naissance privilégiée : maix chacun doit commencer par se procurer lui-même une place élevée dans ce mécanisme ; aussi cette acquisition d’une position de puissance est-elle liée à des comportements, des instincts, des jugements de valeur qui menacent l’être-soi authentique dans la mesure où celui-ci est la condition d’un commandement conscient de ses responsabilités.
Il arrive parfois que la chance et le hasard puissent porter un individu ; mais, en général, les vainqueurs ont des dispositions qui ne tolèrent pas que les gens soient eux-mêmes ; ils cherchent donc – sensibilisés de façon infaillible à l’égard de tels êtres – à les repousser par tous les moyens : ils les considèrent comme des impudents, des particularistes, des hommes bornés et inutilisables ; ils mesurent leurs œuvres avec des étalons absolus que l’on ne peut utiliser sans mauvaise foi ; ils les soupçonnent personnellement, ils interprètent leur comportement de façon à les présenter comme des provocateurs, des auteurs de troubles, des individus qui menacent la paix de la société et dépassent les limites admises.
Comme l’avancement n’est permis qu’à celui qui a sacrifié son être-soi, ils ne veulent le laisser à aucun de ceux qui suivent le bénéfice de l’être-soi. »
Karl Jaspers, La situation spirituelle de notre époque, p. 60