C'est la question que pose indirectement le blogueur Descartes, dans un billet perturbant.
ODP, qui signale ce billet en commentaire d'un billet chez moi qui n'avait rien à voir (ndlr : ce n'est pas un reproche, c'est pour éviter au lecteur de chercher un illet que j'aurais consacré à ce point), conclut un peu vite : "les masques tombent".
Cette formule est précisément le noeud du problème. Disons qu'elle reflète exactement la mauvaise façon de penser cette question.
Il y aurait en effet, pour les commentateurs politiques "classiques", un parti d'extrême-droite qui serait, au fond, un parti fasciste.
Les idées de ce parti se propageraient sur le mode de la contamination, atteignant les uns, épargnant les autres, selon un rythme qui dépendrait de facteurs divers, dont la crise économique ne serait que l'un des éléments.
Qu'une de vos prises de position puisse être rapprochée d'une idée du FN, et vous voilà malade de la peste. ODP semble donc signaler que Descartes le blogueur est atteint du haut-mal, et la formule "les masques tombent" semble indiquer que les blogueurs qui lui sont proches (moi ?) ne vont pas tarder.
Ce raisonnement lapidaire est à mon sens erroné - pour les lecteurs anxieux, je précise à ce point que je rejette le Front National et ne voterai pas pour ce parti. Mais cela n'a aucune importance lorsqu'il s'agit de comprendre pourquoi les digues anti-FN érigées dans les années 80 semblent sur le point de céder.
Car voilà qu'à Villeneuve-sur-Lot 46% des habitants ont voté FN. Et c'est tellement gros que les réactions sont assez faibles. Rien à voir avec les premiers succès électoraux du FN, à Dreux.
C'est sur ce point que Descartes s'interroge, avec un raisonnement en trois temps :
1. L'alternance a fait son temps. Quand UMP (RPR+UDF ou autre variante) et PS se succédaient avant 1986, l'électeur pouvait s'attendre à un changement de politique. Depuis que, pour reprendre approximativement les mots de Philippe Séguin, droite et gauche sont des détaillants du même grossiste, l'électeur est bien forcé d'envisager d'autres solutions lorsque celles du grossiste européen s'avèrent désastreuses.
2. L'alternative est au FN. Mélenchon a échoué, s'il a même jamais essayé, à représenter une alternative sérieuse au système européen. Se dire partisan de l'euro mais après de profondes réformes, dans un système européen où les changements sont longs et à la marge, c'est s'avouer inutile. Le Front de Gauche s'étant éliminé comme recours, reste le FN dans les grands partis.
3. Le FN a changé. Descartes commente longuement les évolutions du FN et fait notamment de Florian Philippot, le moteur d'un front qui ne serait plus seulement national mais aussi républicain.
C'est sur ce troisième point que je diffère de Descartes. Mais c'est accessoire : je me résous assez bien à voter assez régulièrement blanc ou nul. Lui semble vouloir saisir, après tout, une bonne occasion d'en finir avec le piège européen. Et il se défend très bien tout seul, comme en attestent les échanges en commentaire de son billet :
Un lecteur : [Je crois que tu blanchis un peu vite le FN... Marine Le Pen est toujours dans le même parti que Bruno Gollnisch et personne ne l'a forcée à aller à Vienne au bal des ex-nazis!]
Descartes : Je ne"blanchis" personne. La personnalité et les fréquentations de MLP ne m'intéressent qu'en passant. C'est plutôt la stratégie de son parti et sa base sociologique qui me paraissent dignes d'attention. Et je pense qu'aujourd'hui le rôle de Gollnish ou l'influence des néo-nazis viennois y est négligeable. D'ailleurs, il est toujours difficile de se défaire de ses amitiés de jeunesse... je connais un président socialiste qui est resté très copain avec René Bousquet, et pourtant cela n'a pas empêché l'ensemble de la gauche bienpensante de voter pour lui quand il était vivant et de l'encenser après sa mort.
Question plus fondamentale :
Un lecteur : [Et l'on retombe bien sur votre question finale : "Comment doivent se positionner les progressistes devant ce phénomène" [du néo-FN] ?]
Descartes :Tout à fait. Pour être provocateur, j'irais jusqu'à poser la question de "l'entrisme". Cette politique qui fut celle de l'extrême gauche trotskyste, et qui voulait que les militants trotskystes cherchent à "coloniser" des organisations politiques de masse pour essayer de les réorienter "de l'intérieur". C'est ce qu'on fait les Jospin, Mélenchon & Co au PS mitterrandien, avec de bons résultats. Est-ce qu'on pourrait faire la même chose aujourd'hui au FN ? Que se passerait-il, dans ce parti sans véritables cadres, s'il y avait un afflux d'adhésions "républicaines" de cadres éprouvés ? J'avoue que je suis impressionné des résultats obtenus par un Florian Philippot en matière d'aggiornamento. Et je me dis qu'il est peu probable qu'un tel résultat - avec les conflits inévitables avec la "vieille garde" frontiste - ait pu être obtenu par un homme tout seul... la question qui se pose est donc: qui sont les gens qui ont aidé Philippot ? D'où viennent-ils ? Voilà qui serait intéressant de savoir... je ne serais pas étonné d'apprendre qu'il y a un groupe de progressistes qui dans l'ombre font ce travail.
Les échanges sont nourris et le lecteur les lira lui-même.
Je ne suis pas Descartes dans ses questionnements.
Mais je constate que nous sommes aujourd'hui dans une situation où un progressiste sincère peut se trouver avec comme seul choix électoral réel celui du FN (une montée éventuelle de l'UPR, dont Marine le Pen reprend régulièrement les positions, sauf sur les étrangers, serait une solution bien préférable).
Contrairement à Montebourg, je ne blâmerais pas Barroso sur ce point. Ce sont plutôt les Hamon, Montebourg et Mélenchon qui sont responsables de l'absence d'alternative de gauche et à gauche.
Par ailleurs, il est frappant de lire sous la plume d'Ambrose Evans-Pritchard, dans le Daily Telegraph, un article qui s'inscrit dans la même forme d'argumentation que Descartes le blogueur :
The emergence of Marine Le Pen as a contender for office in Europe's pivotal power may prove the electric shock needed to force a radical shift in EMU crisis strategy, or at least to force France's Socialist Party to break with Germany and fight for a full reflation agenda, if only to avert its own ruin.
Le même article cite Jacques Sapir qui confirme ce que je crois, c'est à dire que la montée du FN résulte directement du choix de l'impuissance qui est conjointement fait par l'UMP et le PS :
"A lot of politicians have been coming to see me [Sapir, qui plaide pour une sortie de l'euro], both Gaullistes and Socialists. They agree, but don't want to come out publicly. They want somebody else to take the lead. If Marine Le Pen wishes to use my work, I have no problem," he said.
J'aime bien également la conclusion d'Ambrose :
It is hard know whether the French people would ever vote en masse for an all-out clash with Europe, let alone for her Jeanne
d'Arc messianism. Yet the longer the economic slump goes on, the greater the risk for Brussels and Berlin that French patience will snap, setting off one of those eruptions that have punctuated
French history through the ages.