Le nouveau procès du principe de précaution

Publié le 02 juillet 2013 par Arnaudgossement

Auteur d'une thèse sur le principe de précaution, j'observe à intervalles trés réguliers, la résurgence du procés du principe de précaution. Cette fois-ci, c'est une QPC sur la constitutionnalité de la loi du 13 juillet 2011 qui en est la cause. A tort. Car le principe de précaution est sabs doute étranger à cette loi.


A intervalles trés réguliers, le principe de précaution est l'objet d'un débat passionnel.

Cette fois-ci, la controverse sur le principe de précaution a été relancée par la société Schuepbach. Cette dernière a en effet déposé un recours tendant à l'annulation de ladéciison par laquelle le Ministère de l'écologie a abrogé un permis exclusif de recherches d'hydrocarbures non conventionnels. Or, cette décision ministérielle avait été prise par application de la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 "visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique".

Pour la société auteur du recours, cette loi serait contraire à la Constitution en ce qu'elle révélerait notamment une méconnaissance du principe de précaution, inscrit à l'article 7 de la Charte de l'environnement. Ladite société a donc déposé une "Question prioritaire de constitutionnalité" devant l tribunal administratif de Cergy-Pontoise, lequel a renvoyé cette QPC devant le Conseil d'Etat, lequel pourrait la renvoyer au Conseil constutionnel.

Lors de l'audience publique du 26 juin 2013, le Rapporteur - Juge chargé de proposer une solution à la formation de jugement - a conclu, non à une méconnaissance du principe de précaution mais à sa fausse application. La décision du Conseil d'Etat de transmettre ou non cette QPC au Conseil constitutionnel est attendue ces jours-ci. Il est probable que la Haute juridiction est partagée entre le souhait de n'être pas "accusée" de bloquer la transmission d'une QPC et celui de ne pas alimenter une controverse inutile.

Car le principe de précaution n'a rien à avoir avec cette controverse du gaz de schiste, si ce n'est, en effet, au terme d'une "fausse application". Au demeurant, tous les procés du principe de précaution procèdent tous d'un malentendu quant à son sens et à sa portée. Si le Conseil constitutionnel devait suivre le raisonnement de la Rapporteur public jusqu'au bout : il rejettera la QPC portée devant lui.

Petit rappel : le législateur n'a pas du tout interdit la technique de la fracturation hydraulique au motif unique que cette interdiction serait commandée par le principe de précaution. C'est en se référant en réalité au principe de prévention - trop souvent confondu avec celui de précaution - que le législateur a rédigé et voté la loi du 13 juillet 2011.

Pour s'en convaincre, il suffit de relire l'article premier de cette loi :

"En application de la Charte de l'environnement de 2004 et du principe d'action préventive et de correction prévu à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national".

Il n'est nullement fait mention du principe de précaution mais bien du "principe d'action préventive et de correction prévu à l'article L.110-1 du code de l'environnement". Certes, ce même article fait référence à la Charte de l'environnement. Toutefois, cette référence vise toute la Charte (promulguée en 2005) et non le principe de précaution en particulier.

Au travers de cette référence générale à la Charte de l'environnement, le législateur aurait-il en réalité voulu faire application du principe de précaution ? C'est la thèse du Rapporteur public qui conclut à une "fausse application" dudit principe. Je ne partage pas cette thèse. 

Il est exact que les débats parlementaires font état du principe de précaution. Il est également exact que la formulation initiale de la proposition de loi de Christian Jacob précisait :

"En application du principe de précaution prévu à l’article 5 de la Charte de l’environnement, l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels, par des forages verticaux comme par des forages horizontaux suivis de fracturation hydraulique de la roche, sont interdites sur le territoire national."

Sauf à considérer que le texte même d'une proposition de loi prédetermine l'interprétation qu'il conviendra de donner à la loi une fois débattue et votée, je ne pense pas que cette rédaction initiale permette d'associer complètement le principe de précation à cette controverse sur les gaz et huiles de schiste.

C'est au cours de l'examen de cette proposition de loi par la Commission du développement durable de l'Assemblée nationale que la rédaction de l'article 1er de la loi du 13 juillet 2011 a été modifiée et que la référence au principe de précaution a été supprimée. Le rapport de la Commission en donne le motif suivant :

"Il apparaît en effet que la technique visée à l’article 1er présente deux types distincts de risques : les risques potentiels (pollution des nappes phréatiques, pollution de l’air, risques sanitaires, bilan carbone notamment) et les risques avérés (quantité de d’eau utilisée, nuisances marquées lors de la phase initiale de production et leurs conséquences sur les écosystèmes, l’érosion et la biodiversité). Alors que le fondement sur le principe de précaution justifie de prévenir le recours à une technique comportant des risques potentiels, la référence au principe de prévention explique l’interdiction d’une technologie présentant « des risques avérés ». De même, l’interdiction des forages suivis de fracturation hydraulique dès la phase de l’exploration correspond à l’exigence d’agir « en priorité à la source ».

Ainsi, la référence générale à la Charte de l'environnement permettait, semble-t-il, au législateur de viser à la fois le principe de prévention et celui de précaution. Mais de quelle principe de précaution parlait-on alors ? Celui mentionné par la Commission du développement durable, relatif aux "risques potentiels" se rapporte à des faits de pollution déjà intervenus. Par ailleurs, cette approche selon laquelle une même technique peut produire des risques à la fois potentiels et avérés semble plus politique que scientifique. Les partisans de la loi du 13 juillet 2011 tenaient à la référence au principe de précaution - censé donner un "poids" politique plus important à leur démarché - tout en étant conscients que seul le principe de prévention pouvait justifier leur rédaction de la loi.

Il y a donc bien eu fausse application du principe de précaution et non violation. Le débat, une fois dépasionné quelque peu, devrait revenir à une plus juste analyse de ce commande le principe de prévention. Et le faux procés du principe de précaution devrait cesser d'être instruit.

Arnaud Gossement

Avocat - Selarl Gossement avocats