Le mystère du chômage
Sur une population de 31 millions de françaises et français en âge et en capacité de travailler (en métropole), plus de 3 millions sont privés d’emploi et en recherche un (définition très restrictive du sous-emploi, certes). 3 millions de personnes subissant le chômage et ses conséquences : revenus insuffisants, problèmes de logement, situations précaires, désocialisation, perte de confiance en soi, etc. Le chômage pose également de multiples problèmes au niveau collectif : recettes fiscales insuffisantes pour financer les services de l’Etat, systèmes de protections sociales déficitaires, tensions sociales et insécurité dans les zones les plus affectées, etc.
Le chômage est l’objet d’une grande attention de la part des médias. Les statistiques publiées chaque mois par Pôle Emploi sont commentées en boucle. Les analyses sur les racines du chômage fleurissent. Nos gouvernants claironnent leur engagement dans la « bataille pour l’emploi » tandis que l’opposition fustige l’inconséquence des décisions prises par la majorité sur ce terrain.
Traitement social du chômage, politique de l’offre, soutien de la demande, réduction du coût du travail, encouragement de l’investissement privé, lutte contre les décisions de fermetures d’usines… La caisse à outils de lutte contre le chômage est munie d’une multitude de tiroirs d’où nos gouvernants extirpent quantité d’outils, mais jamais aucun d’entre eux ne semble adapté à la situation.
Le chômage, une « invention » récente
Le chômage est certainement l’un des thèmes sociaux qui me fascinent le plus. Régulièrement je cherche à débusquer les raisons de ce dysfonctionnement de la société. Je tache de me remémorer les théories de micro et macro-économie que l’on m’enseigna à l’université. J’essaie de remonter dans le temps jusqu’aux prémices des premières sociétés dans lesquelles hommes et femmes décidèrent de chacun se spécialiser dans une fonction. Je déroule le fil du développement économique, de la sophistication de l’organisation économique. Et j’essaie d’identifier quelle étape s’avéra décisive dans l’apparition du chômage, ou du moins du chômage de masse.
Car au début de son histoire, l’Homme ne connaissait pas le chômage ! Neandertal et les sapiens du paléolithique, pour survivre, n’avaient d’autre choix que d’employer leur force de travail et la consacrer à la chasse, la cueillette, la confection de vêtements, l’aménagement de leur grotte, le transport d’eau et de bois jusqu’à celle-ci.
J’imagine mal également que le chômage ait pu sévir au temps de la formation des premières organisations sociales, lorsqu’hommes et femmes décidèrent de se regrouper en communautés et de s’organiser socialement et économiquement. Une répartition des taches, une division naissante du travail s’opéra et je serais étonné d’apprendre que des dilettantes se la coulaient douce pendant que les autres se démenaient pour faire bouillir la marmite. La variété des activités productives était très limitée et à coup sûr chacun pouvait employer sa force de travail et ses talents pour une activité qui lui était directement profitable ou lui procurait de quoi réaliser des échanges avec les autres membres de la communauté.
La question du chômage ne se posait pas en ce temps-là : Chacun disposait d’une force de travail et ne pouvait faire autrement que de l’employer. Il n’était pas question de « chercher un travail », il n’y avait qu’à s’y mettre, et plus tôt était le mieux. Que les membres de la communauté travaillent avec plus d’énergie ou de talent et le groupe dans sa globalité recueillait les fruits de cette productivité accrue : nourriture plus abondante, habitat plus confortable, outils d’avantage efficaces, etc. Travailler en plus grande quantité ou plus efficacement faisait grossir une sorte de « gâteau » pour la communauté. Chacun pouvait décider de faire grandir le gâteau en mettant plus d’ardeur au « boulot ».
Alors qu’est-il arrivé pour qu’aujourd’hui l’on considère qu’il n’y a « pas assez de travail » pour tout le monde, que le « gâteau n’est plus assez grand » ? Etonnante évolution qui fit passer nos sociétés du travail nécessairement disponible au travail qui se fait rare. Le concept de « la chance d’avoir un travail » ferait sourire nos lointains aïeux, ou les laisseraient perplexes.
J’imagine souvent la situation suivante : Désigner cinquante individus au chômage, les installer dans un coin de notre pays aux conditions climatiques et au biotope favorables, leur fournir un minimum de ressources (quelques outils et produits de première nécessité) et observer comment ils s’organisent. D’un coup d’un seul chacun d’entre eux n’aurait-il pas un travail, une tâche, un rôle ? Voici des personnes qui ne « trouvent pas de travail » et qui, intégrées dans une organisation sociale ultra-simplifiée, correspondant à celles de notre préhistoire ou protohistoire, en retrouveraient forcément un. D’ailleurs, a-t-on déjà vu un participant de Koh Lanta ne rien faire de l’aube au crépuscule ?
Changer notre modèle de société
L’évolution de nos sociétés « modernes » a engendré le chômage. Ce problème n’est pas récent : L’Angleterre consacra entre les XVI et XIXème siècles les Lois sur les pauvres, qui visaient à leur accorder une aide financière et à fournir du travail aux sans-emploi.
Quelles caractéristiques de nos sociétés ont-elles engendré l’apparition du chômage ? En voici deux, qui y ont participé selon moi :
- L’urbanisation, qui prive l’individu du lien avec le milieu naturel capable de lui fournir une subsistance.
- La production de masse, qui engendre des unités productives de grande taille et rend une large partie des individus dépendants des organisations qui les emploient.
Ces deux évolutions de la société ont engendré un mouvement d’intermédiation grandissante à deux niveaux :
- Entre les individus et leur milieu naturel, qui fournissait originellement une part de leur subsistance ; les individus sont devenus dépendants des agriculteurs, des acteurs agro-industriels et des grandes surfaces pour obtenir leur nourriture, élément de (sur)vie fondamental avec l’eau.
- Entre fournisseurs de main d’œuvre et consommateurs, qui s’adressaient naguère directement aux artisans et petits commerçants pour obtenir le reste des biens et services dont ils avaient besoin ; Pour travailler il faut désormais pour le plus grand nombre trouver un employeur, une entreprise, une industrie qui ait besoin de leur force de travail.
Privés de ces deux possibilités – obtenir soi-même de la terre de quoi se nourrir et consacrer sa force de travail directement à la satisfaction de la demande locale de biens et services – nous avons perdu une large part de notre autonomie, de notre faculté à assurer notre subsistance et participer activement à la vie économique et sociale.
Selon moi, nos sociétés devraient s’attacher à favoriser les changements suivants afin d’inverser cette tendance :
- La revitalisation du tissu socio-économique rural.
- Le renforcement des capacités entrepreneuriales de chaque citoyen, par une modification de l’éducation (apprenons à réfléchir et entreprendre plutôt que réciter par cœur !)
- Le soutien des métiers d’artisanat et des très petites entreprises.
- La promotion d’une vie plus frugale et favorisant la qualité et la diversité plutôt que la quantité et le standardisé.