Dans la perspective des négociations tendues sur la réforme des retraites, il est bon de rappeler de bons exemples de négociations réussies, comme celui de l'accord compétitivité-emploi chez Renault.
Par Michel Ghazal.
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En regardant il y a quelques semaines un reportage de "Complément d’enquête" sur France 2 sur le sauvetage de l’industrie automobile US et les négociations chez General Motors, je m’étais fait avec un certain dépit la réflexion suivante : mais pourquoi pas en France ? Quand est-ce que nos entreprises et nos syndicats seront à même de coopérer au-delà de leurs divergences ?
En effet, ces négociations avaient débouché, dans un premier temps, au sauvetage de GM du dépôt de bilan, avant de redevenir aujourd’hui, non seulement bénéficiaire, mais également le premier constructeur mondial. Et bien, un autre signe majeur de l’évolution des mentalités et de la culture de négociation en France auxquelles je faisais référence dans mon article sur la négociation pour le sauvetage des retraites complémentaires est la signature du pacte "compétitivité-emploi" par Renault.
Face à la crise qui a provoqué un plongeon dans les ventes de voitures et une baisse de la part de marché de Renault, direction et syndicats ont planché durant quatre mois sur les intérêts qui les préoccupent. D’un côté, la réduction nécessaire des coûts de production pour améliorer la compétitivité des usines françaises et, de l’autre, la préservation de l’emploi.
Je n’étais pas présent durant les discussions, mais l’accord montre à l’évidence que, de part et d’autre, le sens des responsabilités, l’écoute et la prise en compte des besoins du vis-à-vis ont prévalu. Au-delà du jusqu’au-boutisme habituel des positions qui placent la négociation dans une guerre de tranchées stérile et des accusations agressives qui minent la relation de travail supposée résoudre le problème, direction et syndicats ont coopéré constructivement ensemble.
Que dit cet accord ?
Le volet compétitivité
Les salariés de Renault acceptent de passer de 32 heures de temps de travail hebdomadaire moyen à 35 heures. Ils admettent aussi un gel des salaires pour l’année 2013 ainsi qu’une refonte des comptes épargne-temps. Enfin, ils ne s’opposent pas à la suppression de 7 500 postes, sans licenciement, qu’envisage Renault d’ici 2016.
Ceci va permettre au constructeur automobile de mieux maitriser sa masse salariale et de réduire son coût du travail de plus de 400 millions d’euros/an. Ces économies lui permettent de retrouver une certaine attractivité pour obtenir de ses partenaires Nissan et Daimler de produire 80 000 véhicules dans les usines françaises de Renault. Toutefois, Renault renforcera l’intéressement en augmentant les montants distribués dès que la marge opérationnelle dépassera les 3 %.
Le volet emploi
En contrepartie, l’entreprise s’engage à porter, en l’espace de 4 ans, la production de véhicules dans l’Hexagone à 710 000 par an contre à peine 530 000 en 2012. Ceci va accroitre le taux d’utilisation des sites des 60 % non rentables actuellement à 80 %. Ceci nécessitera une mobilité renforcée afin d’obtenir un équilibrage entre les sites dont les cadences de production sont tendues et ceux qui tournent au ralenti.
Le constructeur s’engage en plus à ne pas fermer d’usines. Cerise sur le gâteau, mais qui a valeur de symbole, le Président Carlos Ghosn accepte une réduction de sa rémunération en renonçant provisoirement à 30 % de la part variable de son salaire en 2013.
Pourquoi selon moi est-il exemplaire ?
Grâce à une modération salariale permettant de préserver la rentabilité (pour mémoire, pour les salariés de GM, la pilule était plus amère encore, puisqu’ils avaient accepté des baisses de rémunération significatives, mais limitées dans le temps, avec promesse de rattrapage en cas de profits retrouvés), l’entreprise ne ferme ni ne délocalise ses usines à l’étranger préservant ainsi l’emploi. C’est du pur gagnant-gagnant, car au sacrifice indiscutable à court terme, il y a un bénéfice évident à long terme.
Quant à la méthode, 3 points sont à retenir :
- Autonomie : les négociations se sont faites loin du regard et du parrainage de l’état et de ses ministères et se sont déroulées dans le strict cadre de l’entreprise.
- Discrétion : elles ont été conduites à l’abri des feux de la rampe des médias qui enferment généralement les parties dans leurs positions déclarées. Ceci empêche des évolutions possibles à cause de la peur d’être accusées d’avoir reculé.
- Canaux de communication préservés : à aucun moment et malgré les tensions évidentes, les négociations n’ont été rompues. Ceci évite la crainte de se sentir faible en revenant ensuite à la table de négociation.
Une alternative à l’adversariat et à la violence dans le dialogue social ?
Malgré l’hostilité sans surprise de la CGT qui dénonce un "accord cousu de faux-semblants (les 80 000 véhicules étaient déjà prévus), de reculs sociaux (gel des salaires et mobilité accrue), dangereux (suppression de postes) ou qui ne sécurise pas le maintien des sites industriels…", osons dire bravo aux signataires de cet accord, c’est-à-dire, aussi bien aux syndicats CFE-CGC, FO et CFDT qui représentent plus de 65 % des salariés, qu’aux dirigeants de Renault.
Les conséquences sur l’ensemble de l’industrie française sont énormes, car cet accord peut avoir non seulement valeur d’exemple, mais donner l’espoir que des réformes difficiles sont possibles. Il est temps d’arrêter d’opposer les salariés à leurs entreprises, même si ici ou là, il y a des abus. Ils sont embarqués sur le même bateau et il s’agit d’une tâche commune que de le conduire à bon port.
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Paru initialement sur Le Cercle Les Echos