Adolescence : Des rites de passages à l’ordalie (1/4)

Publié le 30 juin 2013 par Vindex @BloggActualite
Bonjour à tous ! 
Nous entamons avec cet article un peu inhabituel une série de quatre articles écrits par un contributeur du blog que nous connaissons grâce à certains fora sur internet. Celui-ci nous a sympathiquement proposé de publier une intervention de sa part à propos de l'adolescence et ses aspects psychologiques, sociaux et historiques. Il y décrit les enjeux de cette période de la vie chacun de nous et les évolutions que celle-ci a pu connaître au cour de l'histoire et récemment. Bonne lecture !  

Introduction
L’adolescence et son corollaire, la fameuse crise d’adolescence, sont aujourd’hui complètement entrées dans le vocabulaire et dans le champ social. Elles sont généralement  considérées comme naturelles, comme des passages obligés. Parallèlement cette classe d’âge n’a jamais été autant sous les feux de l’actualité et des préoccupations de la société. Que ce soit de manières négatives et angoissantes avec les phénomènes de violences, les préoccupations législatives en termes de délits et de crimes ou bien encore les réflexions sur les « échecs » du système scolaire.Ou de manière positive avec une idéalisation fantasmée de la jeunesse en terme d’arguments publicitaires et de préoccupations sociales pour adapter aux mieux la société aux adolescents (consultations médicales sans accord des parents, délivrance de la pilule abortive dans les infirmeries scolaires), voir encore des discours quasi-démagogiques, mettant en avant la force voir la sagesse de la jeunesse.
Pour autant la notion d’adolescence dans son acception moderne, est somme toute assez nouvelle, l’histoire ne mentionne l’adolescence en tant que caractère social qu’au XVIIIème siècle au travers d’écrits où sont exprimés des plaintes concernant des déprédations provoquées par des groupes de jeunes gens. Bien sur cela ne veut pas dire que l’adolescence, tant au niveau biologique que social n’existait pas avant cela, mais depuis ce siècle, elle est  identifiée en tant que telle, la société la posant comme un état reconnu (cf. L’exemple de la littérature ou le héros se fera plus souvent un jeune homme célibataire non véritablement inscrit dans la société tel le jeune werter de goethe, Le Rouge et le Noir ou une grande partie du courant romantique Européen, plutôt que les hommes faits tels l’Hector de L’Illiade, le roi Arthur de Malory).
Le terme de crise d'adolescence est encore plus récent. Non seulement il est reconnu une spécificité adolescente, mais on reconnaît aussi que c'est une période sensible, une période d'affrontement. Ce phénomène prend toute sa vigueur dans les problèmes actuels liés a la jeunesse : phénomène de bandes, violences intra-scolaires et extrascolaires, importance et répulsion du système scolaire, et le taux de suicide qui est la deuxième cause de décès chez les 15-25 ans.
L’étymologie apporte des éléments de réflexion intéressants.Le mot adolescent, vient du latin "adolescere" qui signifie, grandir, se développer, mais également se brûler, se consumer, se transformer en vapeur. Ces derniers sens étant surtout usités pour désigner ce qu’il advenait des offrandes de sang et d’encens que l’on consacrait aux dieux sur l’autel. Un mot fort dont l’antithèse de même racine était "abolescere", qui signifie se détruire, périr insensiblement, dépérir, se perdre, s’effacer.
Crise lui, vient du grecque "Krisis" c’est à dire le jugement. Ce terme est employé en médecine pour désigner le moment de la maladie où va se décider la guérison ou la mort.
Une origine symbolique très forte donc pour ces deux termes. L’adolescence un moment intense et nécessaire de construction identitaire entre, l’avant de l’enfance et l’après de l’adulte, tant génératrice d’espoir, avec l’homme en devenir «  Je serai », que d’angoisses à travers le deuil de l’enfance «  Je ne suis plus » et les risques de s’y perdre «  Qui suis-je ? » ou même « Suis-je –moi ? »[1] (et qui laisse déjà présager du besoin de se retrouver, se trouver entre pairs)
 Présentation de l’adolescence
L’adolescence est donc une période de transition. Celle-ci peut être abordée selon différents points de vue, en gardant à l’esprit les trois grandes interrogations de l’adolescence, à savoir : la génitalité, la mort et la filiation.
 Les concepts
L’aspect Médico-psychologique
L’adolescence est  marquée par les transformations physiques pubertaires. Sans entrer dans les détails, les transformations morphologiques et physiologiques  vont mener à la morphologie adulte et à l’accès à la sexualité. Cette transformation va être à la fois source d’angoisse, de fierté et d’affirmation[2] . Les réactions de l’entourage rentrent aussi pleinement en compte. Les jalousies paternelle ou maternelle (voir les régressions de certains parents qui adopteront des comportements adolescents), les jeux de séductions, les accès de pudeur, sont autant de réactions qui influeront et  interagiront avec le développement de l’adolescent.Outre les plaintes classiques liées à l’image (bouton d’acné, cuisse trop grosse etc.…) les plaintes somatiques sont nombreuses, en partie dû au fait que la capacité d’élaboration de l’adolescent n’est que partielle. L’angoisse passe à travers les sensations d’étouffement, le mal être  de l’intimité se manifeste à travers le mal de tête, le mal au cœur et le mal de ventre permettent aussi au corps d’exprimer ce que les mots ne permettent pas[3].L’accès à la génitalité s’accompagne du réveil des pulsions sexuelles. La littérature décrit à cet égard différents types de réactions, qu’Anna Freud a repris et analysés en quatre processus inconscients :
- L'ascétisme, une répression des pulsions sexuelles, par un refus des plaisirs (comportement que l'on retrouve dans les anorexies). - L'intellectualisation, où l’individu (ou le Moi conscient, si on garde un vocabulaire analytique) va tenter de maîtriser les pulsions, conflits internes et émotions en les rattachant à des idées avec lesquelles il est possible de jouer consciemment. L'adolescence est le moment des questions existentielles et des interrogations philosophiques.- La sublimation, où les pulsions sexuelles vont être déviées vers un nouvel objet social valorisé, tel le sport, l’art ou la réussite scolaire.- L'intransigeance : Qui est une sorte d'affirmation par le refus et la lutte contre ce qui peut être perçu comme un danger pour ses convictions et donc pour son identité.
L’aspect Cognitif
Caractérisé par l’accès de l’esprit aux opérations hypothético-déductives entre 11 et 15 ans, à savoir la capacité à pouvoir raisonner sur des représentations et non plus seulement sur des objets perceptibles, de déduire des conclusions à partir d’hypothèses dont on ne sait si elles sont valables ou non. C’est selon Piaget, la pensée formelle, le dernier stade de l’évolution de l’intelligence[4].  
L’aspect psychanalytique
Difficilement appréhendée par Freud (on dénombre seulement deux psychanalyses d'adolescentes ayant eu un certain succès, durant toute sa carrière), ignorée par les Lacaniens (la vie psychique étant considérée comme un continuum ininterrompu), l'adolescence a été le point d'achoppement de conceptions très différentes de la psychanalyse. Des travaux, comme ceux de Winnicott ont par contre mis en évidence la spécificité adolescente au niveau du bouleversement psychique que constitue la lutte contre l'autorité parentale comme expression de la recherche identitaire (ce qui explique la difficulté d'atteinte psychanalytique dans la mesure où le principe du transfert replace l'adolescent dans le contexte de cette lutte, ce qui est pour lui très difficile a gérer). Depuis une dizaine d’années a émergé l’idée que se rejouerait à l’adolescence une deuxième triangulation oedipienne où le conflit initial (papa, maman et moi) se rejouerait sous la forme (Mes parents, la société et moi) ; avec notamment le fait que l’affrontement au père nécessaire au détachement avec la mère deviendrait un affrontement aux parents pour s’en détacher et venir à la société.
L’aspect socio-historique
Comme nous l’avons déjà évoqué dans l’introduction, l’adolescence n’est pas apparue avec l’émergence du terme. L’histoire et la littérature notent l’existence courante de regroupements de « Jeunes », pas encore considérés comme intégrés au monde adulte. On peut ainsi relever le statut des éphèbes de l’antiquité grecque[5], les bacheliers du bas Moyen-âge, célèbre pour leurs chahuts, les cadets mousquetaires du XVIème siècle etc.…
Dans tous les cas deux éléments communs apparaissent :-                   Le premier est l’état de transition. Ces jeunes sont considérés comme en devenir, ils ont encore à apprendre et à acquérir, voir conquérir, leur place comme individu à part entière.-                   Le deuxième est la relative tolérance concernant leurs exactions fréquentes considérées comme un préalable à leur intégration, voir un élément fondateur.On retrouve ici l’idée de transgression de la loi comme élément constructeur de l’identité sociale future, et tolérée de manière implicite ou explicite par la société[6]… Tolérance encore soulignée de nos jours par des assertions telles que «  Il faut bien que jeunesse se passe. »
A noter toutefois la différence marquée entre hommes et femmes à cet égard. Cette tolérance qui s’affiche vers et part l’extérieur concerne principalement les jeunes hommes, ou au mieux l’ensemble de la classe d’âge dans le cas de groupes mixtes[7]. La jeune fille passant beaucoup plus rapidement du statut d’enfant à celui de femme et  avec beaucoup moins d’éclats apparents[8].
L’heure est aujourd’hui à l’étirement de cette période de latence avec l’allongement des études, le recul de l’entrée dans la vie active, et le soutien financier parfois très prolongés des parents. Pour autant elle n’est plus une classe d’âge bien délimitée, loin de là[9] . On sait qu’elle commence vaguement vers douze ans, treize ans mais on ne pourrait guère délimiter le moment où elle s’achève que ce soit par un âge, une cérémonie ou un certain nombre de caractéristiques sociales.Toutefois ce flou est bien caractéristique de notre époque. Ce regroupement entre pairs, tout autant que ce phénomène de passage a amené des sociétés basées notamment sur la prévalence du groupe sur l’individu, à mettre en place un certain nombre de réponses sociales, encadrées par la société, par les pères.
  • La société Masaï traditionnelle présentait un cas intéressant où les jeunes gens de sexe masculin étaient organisés en bandes guerrières à qui était dévolu le rôle de protection du village et des troupeaux, ainsi que celui d'opérer les razzias. Cette appartenance à ce groupe, les "Moran", ne s'achevait que lorsque le guerrier se mariait (généralement assez tard et pas avant trente ans). Cette caste, honorée et glorifiée, ne jouissait pourtant d'aucun pouvoir de décision au niveau de la tribu. De même les relations avec les femmes n'étaient pas légitimées. Le pouvoir effectif étant entre les mains des hommes mûrs, mariés, chefs de famille. On retrouve un schéma semblable dans l’organisation de la cité de Sparte. Un homme n’était considéré adulte (c’est-à-dire citoyen possédant tous ses droits) qu’à partir de trente ans, âge auquel il pouvait enfin dormir chez lui, faire le marché et être éligible dans les institutions politiques. Jusqu'à cet âge il devait dormir dans son casernement avec ses camarades de régiment.
  • Chez les indiens d’Amérique du Nord était souvent pratiquée une retraite de plusieurs jours généralement en groupe, comportant d’éventuelles tatouages, scarifications, rituels de purification, ascèse, et dont l’apothéose était généralement une quête de vision, où le novice devait recevoir un signe soit d’un esprit tutélaire de la tribu, soit d’un ancêtre. A l’issue de celle-ci il prenait un nouveau nom souvent en lien avec sa tribu.
  •  Au Cambodge, il fut de coutume que les jeunes fassent une retraite dans un monastère bouddhiste. Cette retraite qui existe depuis des siècles est une sorte de passage obligé, qui si on le met en rapport avec les questions de filiation et de mort, est extrêmement intéressante. On a ici un lieu libre où l'adolescent peut rester pendant un temps non défini et qui permet d'apporter des réponses dans un lieu où les ancêtres (donc les ascendants) ont également trouvé ces réponses.
Les exemples aussi formels restent pourtant assez rares. La plupart du temps l'organisation des adolescents en groupe était plutôt à rapprocher des phénomènes de bandes. Là les exemples ne manquent pas, que ce soit les "Apaches" du début du XX siècle à Paris, ou les groupements d'étudiants qui causaient de nombreux désordres au Moyen-Age (les fameux « chahuts »), le principe reste le même.


[1] Plutôt féminin cf. Aldo Naouri «  les filles et leurs mères » avec l’effet miroir et les problèmes de distanciations physique et psychique. [2] Comme le cas de cette élevée de douze ans annonçant  fièrement lors d’un entretien que maintenant elle « pouvait faire des bébés » [3] D’où l’intérêt de souvent poser la question des circonstances entourant les accès douloureux, qui sont souvent consécutives à des moments d’affrontements ou de trop grande pression. Toutefois certains aspects peuvent aussi être le marqueur d’atteinte psychique plus grave de type psychose,  même si à l’adolescence il est très rare de poser un diagnostic psychiatrique. Ainsi les craintes ou sensations  ayant trait à une transformation profonde du corps ou dysmorphophobie, je cite certains patients pour qui a été diagnostiquée une psychose «  J’ai l’impression que mon cerveau rétrécit. » « Mes yeux font parfois ce qu’ils veulent, ils fixent des gens sans que je le décide. » C’est horrible d’avoir de si grosses mains, ça me répugne etc.… ce sont des remarques plus pathologiques.  [4] Auquel, toujours selon Piaget, tout le monde n’accède pas. [5] La symbolique des éphèbes grecs est intéressante à plus d’un titre. La semence masculine étant de manière archaïque une substance magique elle serait capable de compléter l’adolescent en lui transmettant les valeurs viriles… Une transmission, exclusivement masculine qui devait couper les derniers cordons le rattachant au monde féminin. [6] A Sparte, l’éducation entière des jeunes de 7 à 20 ans était d’ailleurs collective et prise en charge par la Cité. A la fin de celle-ci, les plus vifs voyaient cette éducation être sanctionnée par la cryptie : le novice était éloigné de la ville, nu, c’est à dire sans arme, pour une année où il ne devait pas se laisser voir par quiconque et subvenir à ses besoins par lui même, notamment à partir de chasse et de larcins. Passée cette longue et terrible errance il était alors considéré comme digne d’accéder à l’élite de la cité. [7] Eux-mêmes rares, la ségrégation sexuelle étant souvent de mise, notamment à cause de ce grand inconnu que devient l’autre sexe. [8] Une des hypothèses à ce propos est le coté immanent de la construction identitaire de la femme. Dans les grandes questions des « qui suis je ? » «  Quel est mon rôle ? » « Quel sens donner à ma vie ? », la capacité d’enfantement de la femme porte déjà en elle une réponse inaliénable (cette hypothèse est d’ailleurs reprise pour expliquer les échecs aux tentatives de suicide des adolescentes et femmes, où l’homme porte toujours en lui la finitude de son existence alors que la femme porte le potentiel de transmettre la vie et à travers elle se prolonger.) [9] Il est d’ailleurs amusant de constater que ce flou qui entoure l’adolescence s’accompagne d’une émergence de nouveaux termes telle que préadolescence et post adolescence… Un besoin des adultes de se rassurer en ayant l’impression de dominer la situation ? On parle même parfois d’une certaine adulescence, avec une frange de comportements qui amplifie encore les incertitudes. Ainsi le revival des dessins animés de l’enfance dont les génériques sont remixés et passés en boîte de nuit, le début tardif d’activité plutôt typé jeune ( roller, skate…) recul également  de l’engagement dans la fondation d’un foyer.
La suite la semaine prochaine... 

DESROCHE Antoine