Sollicité pour éclairer la crise devant un parterre d'honnêtes hommes, Philippe Chalmin ne se fait guère prier (*). Il met dans l'exercice une gourmandise professorale évidente qui se double d'un engagement démocrate-chrétien tranquillement assumé. On imaginerait mal, il est vrai, un engagement démocrate-chrétien qui ne le fût pas.
Donnant à tout cela un peu de profondeur de champ, l'historien-économiste de Dauphine remarque d'abord que les grandes crises économiques contemporaines (1933, 1974, 2008) ont un certain nombre de points communs. Elles touchent principalement le monde occidental, mettent fin à une longue période de prospérité et se traduisent par un impact violent sur les marchés.
D'autant plus violent à vrai dire que la prospérité qui précédait avait affaibli les défenses. "Le système financier mondial a une santé de fer" clamait ainsi Standard & Poor's en 2006... Un peu comme lorsque Irvin Fisher estimait, le 15 octobre 1929, que les actions avaient un atteint un plateau qu'elles ne pourraient plus redescendre. Ce qui rappelle la blague selon laquelle, quand des médecins font des erreurs, au moins ils ont la décence de tuer leurs patients ; quand un économiste fait une erreur, il les ruine.
Point d'idéologie de sortie à l'horizon pourtant dans la crise actuelle. La social-démocratie de marché fait en effet l'objet d'une large adhésion, plus ou moins mâtinée d'une indignation qui n'en remet pas sérieusement en cause les fondamentaux, à la différence des populismes qui ne sont pas beaucoup mieux armés mais qui pèsent davantage par un effet d'influence rhétorique latérale bien connu en politique.
Quelle issue, alors ? La guerre est le véhicule historique classique de sortie de crise. Mais elle reste, à grande échelle, dans le contexte géopolitique actuel, peu probable. Le progrès technologique ? Beaucoup a déjà été accompli dans le domaine des TIC, même si les NBIC confirment en parallèle un potentiel considérable, d'ailleurs encore trop souvent négligé dans notre pays malgré les travaux de la commission Attali et de quelques autres (**).
Idem pour l'énergie, qui tire aujourd'hui 50 % de la croissance américaine. Quant à la réduction de la dépense publique, qui s'établit à 56 % du PIB aujourd'hui dans notre pays, elle fait l'objet d'un assez large consensus. Y compris sur la difficulté politique de sa mise en oeuvre.
L'autre grande réponse historiquement disponible en réalité, c'est l'inflation, qui permet d'annuler les dettes plus sûrement que n'importe quelle instance multilatérale bien disposée. Philippe Chalmin remarque en effet que "le propre du capitalisme, c'est de ruiner les rentiers toutes les deux ou trois générations". Le problème - outre le fait qu'il s'agit là d'une réponse historiquement exclue en Allemagne -, c'est qu'on ne sait pas créer cette mécanique inflationniste.
C'est là où les choses se mettent à déraper. Citant Ratzinger renvoyant dos à dos dans "Carita civitate" l'Etat et le marché, Chalmin n'hésite pas à franchir le pas. Comme Ezechiel pourfendait les commerçants phéniciens de Tyr, la solution, selon lui, c'est... l'amour du prochain et la grâce du don. Parce qu'elle révèlerait une crise morale profonde, la crise serait une opportunité de retrouver les voies de la sagesse et de l'humilité.
De nombreux indices lui donnent en réalité sinon raison !, du moins confirmation que cette inspiration ou cette voie commencent à prendre forme dans un certain nombre de points de la planète et de secteurs de l'économie dont je ne crois pas qu'ils demeureront alternatifs longtemps, de l'entrepreneuriat social à l'économie positive en passant par l'économie de la gratuité ou de la fonctionnalité, le retour des écosystèmes locaux et la résurgence des solidarités communautaires.
Trois conclusions pratiques en découlent selon Chalmin. La première est que l'Etat contribue à sa manière, normative et hiérarchique, à la société de défiance - un constat que les recherches de Algan, Cahuc et Zylberberg confirment. Deuxièmement, des réformes ambitieuses ne peuvent se concevoir dans notre pays sans un projet de société qui les porte. Pourquoi ce n'est pas le cas reste, à mon sens, un mystère. Troisièmement, il nous revient de re-communautariser les dépenses publiques - Rosanvallon et Blond ne disent pas fondamentalement autre chose là-dessus, chacun à leur manière.
J'ai connu Philippe Chalmin dans l'industrie minière. En tant que spécialiste des matières premières, il était moins inspiré et très écouté. Qui sait si, comme prophète de la sortie de crise, il aura moins de succès ? L'avantage avec l'humanisme, c'est qu'à la fin, tout le monde est d'accord.
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(*) Ce titre reprend celui du rapport Cyclope 2013.
(**) L'enquête de Monique Atlan et Roger-Pol Droit : "Humain - une enquête philosophique sur ces révélations qui changent nos vies", fait partie des références à recommander dans ce domaine.