Un fauve s'est installé dans le tranquille musée du Luxembourg, qui ronronne paisiblement dans l'écrin du non moins paisible jardin éponyme, à deux pas de sénateurs qui ne se caractérisent pourtant pas pour leur violence. Mais il s'agit ici de violence picturale, et le fauve en question n'exprime ce caractère que dans ses toiles ; encore l'épithète lui fut-elle accolée dédaigneusement à l'époque. En 1905, au Salon d'automne. Son style rejetant l'académisme -on ne lui fera pas tort en parlant d'anarchisme- avait quand même de quoi dérouter le critique pompier de service.
"Ce que je n’aurais pu faire dans la société qu’en jetant une bombe -ce qui m’aurait conduit à l’échafaud- j’ai tenté de le réaliser dans la peinture, en employant de pures couleurs sortant de leur tube. J’ai satisfait ainsi à ma volonté de détruire, de désobéir, afin de recréer un monde sensible, vivant et libéré."Le rêve secret de Vlaminck, son ambition de peintre ? Rien de moins que figer le présent, capturer d'un seul coup de pinceau la lumière, les couleurs, et avant tout les émotions du moment avant qu'elles ne s'envolent. Exprimer du réel les sentiments qu'il recèle par l'usage (l'abus ?) de la couleur.
"Je haussais tous les tons, je transposais dans une orchestration de couleurs pures tous les sentiments qui m’étaient perceptibles. J’étais un barbare tendre et plein de violence."Les coteaux de Rueil, 1906
Chez Maurice de Vlaminck, ce qui compte, c'est la couleur. Surtout dans les oeuvres de la période présentée dans l'exposition (de 1900 à 1915), époque au début de laquelle le vermillon sort directement du tube pour s'étaler sur la toile, créant d'un tableau à l'autre un festival de rouges et des explosions de jaune, entrecoupées des vaguelettes bleues de la Seine après le passage d'un lourd chaland à vapeur.
Tugboat on the Seine, 1906
Car le Vlaminck des premières années ne s'éloigne guère des bords de Seine. Pour des raisons financières essentiellement, à une époque où ses petits camarades partaient se faire les griffes sous le soleil du Midi. Mais également car son caractère le pousse à se singulariser ; bien que sa trésorerie se soit alors améliorée, il ne passera qu'une semaine à Martigues en 1913, à l'invitation de son ami Derain. Il est avant tout individualiste, têtu, original. Profondément sincère.
La Seine à Chatou, 1906
Serait-il un affreux anarchiste, un peintre maudit tendance nihiliste, sans dieu ni maître, ne respectant ni école ni modèle ? Même pas. Paul Signac aura pu avoir un rôle dans son inspiration, mais sa première référence restera Vincent van Gogh, dont l'influence se fait sentir dans sa façon de travailler la peinture, dans l'amplitude de certaines déformations où la force d'expression de la couleur compte davantage que la géométrie.
"J’aime mieux van Gogh que mon père!"Nature morte au compotier, 1905
En 1907, lors de la rétrospective Cézanne, c'est le choc. Il s'assagit un peu. Les couleurs se font moins vives, les formes des choses font leur apparition dans sa peinture ; le fauvisme s'essoufle, il n'aura pas duré 3 ans. Mais déjà Vlaminck s'intéresse aux arts africains et océaniens et ce, avant Picasso ; frôle le cubisme mais sans l'aborder complétement, dans un souci constant de rester proche du réel.
Vins et liqueurs, 1910
La Première Guerre mondiale finira d'ancrer en lui ses opinions anarchistes et anti-militaristes, et viendra s'ajouter aux autres influences. Les dernières toiles de l'exposition (qui en compte 70) sont plus sombres, plus mélancoliques, avec des paysages moroses et des ciels annonciateurs d'orage. La suite de l'histoire de cette vie intimement liée aux grandes évolutions artistique de la première moitié du XXème siècle nécessitera sans doute une autre exposition.
Le grand fauve ne se chasse pas facilement.
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Vlaminck au Musée du Luxembourg : du 20 février au 20 juillet 2008