La doctrine du billet précédent n'est pas la propriété de l'Orient. En Occident, il y a le quiétisme, ou doctrine du pur amour. Pas seulement une efflorescence spontanée, mais une tradition. L'un de ses défenseurs, au XVIIe siècle, fût Pierre de Poitiers. Madame Guyon (XVIIe siècle) le cite ici dans ses Justifications, compilation d'autorités mystiques destinée à établir son orthodoxie face aux gloires de l’Église de France. Elle finît à la Bastille, suite aux bienveillantes interventions de Bossuet, ce "grand humaniste".
Voici l'extrait de Pierre de Poitiers (1671). Malgré les différences de langage, le message - et le débat - est bien le même que celui de la Grande Complétude.
"Dieu étant le seul être de soi, à lui seul appartient d'opérer en lui-même, immuablement, éternellement, infiniment ; et hors de lui-même, et dans ses créatures raisonnables de faire ce qui lui plaît, leur communiquant librement l'être, la liberté, et l'opération, qui est ainsi plus l'être et l'opération de Dieu que de la créature.Le Jour mystique (1671), Livre I, Traité I, chap. 1, sec. 6.23. L'âme se repose en Dieu, qui lui demeure caché, aussi bien que son acte, qui ne peut être réfléchi ni aperçu par une connaissance intuitive et formelle.Il est vrai que dans les Méditations et dans les Contemplations affirmatives, la charité opère, et que gagnant la volonté de l'âme, elle change sa vie en celle du Bien-aimé. En sorte qu'elle ne veut que ce que Dieu veut, et veut tout ce qu'il veut. Mais il faut avouer que les actes mystiques de l'Oraison de repos sont plus puissants et plus transformants, et qu'encore qu'il y ait plusieurs et différents degrés de charité unifiante, ou plusieurs formes d'unions divines, celle néanmoins qui se fait par les actes d'un amour mystique est si intime et si immédiate, (a) qu'elle semble seule entre toutes les autres mériter absolument, et par excellence, le titre d'une parfaite union, je veux dire l'actuelle et fidèle correspondance à suivre dans l'oraison les attraits de la volonté de Dieu ; soit par la production d'actes quand ils sont nécessaires pour l'entretient et la conservation de l'oraison ; soit par le délaissement volontaire de ces même actes quand il plait à Dieu de donner quelques quiétudes incompatibles avec les bonnes pensées. Parce qu'il est très certain que la négligence de produire des actes de bonnes pensées et saintes affections quand on le peut, ou le trop grand empressement d'en produire quand Dieu les veut suspendre par ses douces opérations au fond de l'esprit, sont également préjudiciables au bien de l'âme et à sa perfection.Là-même.(a) Union immédiate ; acte d'un amour mystique.24. Quand l'âme est dans une oraison de Méditation ou de Contemplation affirmative, c'est-à-dire, quand elle médite et contemple quelque vérité aperçue, elle ne quitte pas les actes, parce que ces sortes de méditations ou de contemplations sont des actes de l'entendement ou de la volonté. Mais quand elle est dans une contemplation obscure, dans laquelle elle ignore ce qui lui est donné à contempler, elle quitte alors tous les actes et toutes les opérations ordinaires, pour tenir en un seul repos mystique, qui est à proprement parler un contentement ou une complaisance de volonté obscure et non-aperçue dans le Souverain Bien.Là-même, chap. 2, sec. 4.25. L'oraison de repos savoureux n'a pas ce désir de produire des actes, ni de faire autre oraison que celle de son dit repos.Là-même, chap. 2, sec. 326. Dans cette jouissance savourée l'âme sent un touchement intérieur qui lui défend de faire autre oraison que celle de se reposer, parce que ce repos est une suspension de tout autre acte intérieur.Là-même, sec. 5.27. Ne vous tourmentez-donc pas, pauvres âmes, ne vous (a) faites plus tant de violences pour produire des actes que l'état de votre stérilité vous rend souvent moralement impossible. Souffrez de bon cœur que Dieu vous en dépouille, afin que dans cette désappropriation intérieure vous puissiez entrer dans la vraie pauvreté d'esprit.Là-même, traité II, chap. 2, sec. 2.(a) Comment dans la sécheresse et délaissement il ne faut pas s'efforcer de produire des actes.28. Ceux qui veulent toujours produire des actes sans s'exercer à l'Oraison de quiétude ne pourront jamais arriver à cette pauvreté d'esprit que Notre Seigneur a tant recommandée, dont les Mystiques font tant d'état, et qui consiste particulièrement à n'être pas si propriétaire de ses actes et de ses satisfactions en l'oraison qu'on ne les quitte aisément quand il plait ainsi à ce même Seigneur qui en doit disposer à sa volonté.Là-même, chap. 4, sect. 1.29. Pour mon regard, dit Sainte Thérèse (Vie, ch. 22), je crois que dans cette Oraison d'union, l'âme pour s'aider, fait quelque chose de sa part, combien qu'il lui semble que cela l'avanace, néanmoins tout tombera bientôt par terre, comme chose sans fondement. Et je doute si elle arrivera à la vraie pauvreté d'esprit.Là-même, sect. 4."