Furet. Voilà bien l’objet de cette lecture instructive, à défaut d’être convaincante. Au fil des quelque 570 pages, Christophe Prochasson brosse ce qu’il croit être le paysage dévasté d’une période communiste apparemment néfaste pour le monde de la pensée – celle des années 1960 – durant laquelle François Furet et Denis Richet présentèrent leurs premiers travaux de démolition d’une «lecture toute marxiste de la Révolution». Déjà à rebours de nos maîtres – que furent Albert Soboul, Michel Vovelle ou Claude Mazauric –, François Furet ne mettait pas en «péril un héritage presque sacré», comme l’imagine Christophe Prochasson, mais signait le premier acte de son désengagement envers «l’objet» révolution en tant que visée politique fondamentale.
La suite allait s’avérer instructive à plus d’un titre. Inspiré par l’historiographie américaine de l’après Seconde guerre mondiale, Furet, pour schématiser, parvenait à une conclusion qu’il développera sous toutes les formes: non, la lutte des classes n’était pas le projet collectif plus ou moins caché des Jacobins – pour ne citer qu’eux. On sait ce qu’il advint ensuite des travaux de François Furet, récupérés à souhait et malaxés à l’envie par quelques démiurges anti-marxiens et anti-communistes si primaires (exemple l’infâme Stéphane Courtois) qu’ils en oublièrent jusqu’aux notions élémentaires d’égalité et de liberté, érigés en principes fondateurs en 1793 et en base commune universelle qui inspira tant de combats émancipateurs. L’antienne furetienne, «la Révolution française est terminée», convient bien à Prochasson. Pour lui, elle est même terminée à double titre: d’abord «comme processus historique», ensuite «comme référence». D’autres, après Furet mais avant Prochasson, se sont essayés au concept de «fin de l’histoire». Avec le succès que l’on sait…
Terminée. Nous sommes donc au côté de Sophie Wahnich, qui refuse l’idée, contrairement à Furet, que la Révolution française «ne puisse plus faire débat au sein de la société française». Il y a presque vingt-cinq ans, en 1989, au moment du bicentenaire, il était bon ton de fustiger la Révolution pour promouvoir la deuxième gauche rocardienne ou celle des transcourants (Hollande et consorts). L’instigateur en chef: Furet. Son arme: la Fondation Saint-Simon, financée par les libéraux de tout poil, y compris venus d’outre-Atlantique. Sophie Wahnich explique: «Ils prônaient une irrémédiable adaptation au capitalisme et affirmaient vouloir défendre une démocratie supposée apaisée et nouée au libre développement du marché, refusant toute démarche utopique. Toute pensée de transformation radicale était alors présentée comme potentiellement totalitaire par ce courant.» Question: sommes-nous sortis de cette période mortifère? Sophie Wahnich tranche: «Peut-être n’y a-t-il plus à être pour ou contre François Furet, mais simplement à affirmer que la période Furet est historiquement terminée, en particulier au regard des printemps révolutionnaires…»
Crier. Jean Jaurès disait: «Il ne peut y avoir de révolution que là où il y a conscience.» Notre conscience est claire. Pour l’écrire avec Paul Valéry: «De ce qui occupe le plus, c’est de quoi l’on parle le moins. Ce qui est toujours dans l’esprit, n’est presque jamais sur les lèvres.»Allez, prononcez avec nous: ré-vo-lu-tion. Et criez-le un peu, pour voir!
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 28 juin 2013.]