40 œuvres de la collection Claud Baud, art inuit
Quand on parle d’art Inuit, il est possible de penser aux sculptures d’animaux toutes en courbes et en rondeur, aussi bien qu’à des peintures.
Cet art est contemporain car il a été découvert par le monde occidental après la seconde guerre mondiale. Ce que l’on regroupe sous l’appellation « d’art Inuit » désigne un ensemble de pays et de régions si éloignées les unes des autres, que l’on constate une réelle diversité des productions qui correspondent à des groupes ethniques venant du Groenland, du nord du Canada, de l’Alaska, ou de la côte nord-est de la Sibérie. Comme le dit Claude Baud, collectionneur français passionné par cet art, qui prête justement 40 de ses œuvres pour l’exposition, « (…) aucune classification n’est possible car les artistes jouent avec la matière, avec les formes, et les volumes au gré de leur inspiration sans tenir compte de traditionnelle conventions. S’il est vrai que chaque région a son style, ses caractéristiques sont constamment combinées avec des éléments personnels pour donner naissance à des œuvres individuelles. » (L’art graphique, le dessin et l’estampe, p124).
Cape Dorset (appelé Kinngait, qui se prononce « kingaït » en raison de son paysage de hautes collines) est une communauté Inuit prospère sur la côte ouest de l’île de Baffin.
En 1959, la coopérative « West Baffin Eskimo Cooperative » fut créée officiellement et s’y installe. Les ateliers accueillent des artistes, et un programme d’arts graphiques, dont les plus anciens ateliers d’impression du Canada dont l’activité fut ininterrompue. Réputés dans le monde entier, ils sont une référence en matière d’excellence pour l’art graphique Inuit. Au milieu des années 1970, les techniques de sérigraphie, de pointe sèche et surtout d’eau forte et d’aquatinte commencent à être utilisées et appréciées. Paul Machnick, artiste graveur, fondateur du Studio de gravure PM, a publié des œuvres d’artistes émérites. Il s’est ainsi rendu dans plusieurs communautés du Nunavut, avec sa presse portable et ses encres, pour apprendre la gravure aux peuples, chez qui la sculpture est un art millénaire. Son action a introduit la gravure dans la société Inuit comme un élément éducatif, et elle a conduit les artistes Inuit à gagner le marché de l’art. Construisant ses rapports avec les artistes sur une base de confiance et d’amitié, la production des œuvres devient importante et rayonnante. Les œuvres augmentent leurs dimensions et complexifient leur composition mais elles restent fidèles à la tradition Inuit, en leur apportant un progrès technique.
Pourtant l’estampe en soi, est bien la rencontre de deux talents : celui du dessinateur, qui crée l’image principale, et celui du maître graveur qui réalise la sculpture de la pierre conformément au dessin de base (ne lui permettant aucune liberté). Le documentaire intitulé Eskimo Artist : Kenojuak, 1963 proposé dans l’exposition, montre le graveur qui a travaillé avec l’artiste, au coup de marteau précis. Il parle de son ancienne activité de chasse, comme d’une évidence, une habitude sociale qui lui manque un peu, pendant qu’il travaille la pierre. Le résultat est remarquable. L’artiste raconte l’arrivée de Paul Machnick, de sa démonstration de la technique de l’estampe : c’est-à-dire de l’impression d’une pierre sculptée à l’image du dessin original, sur une feuille « mince comme la coquille de l’oiseau des neiges ».
L’exposition au Centre culturel Canadien, rend ainsi hommage à l’œuvre à l’une des plus grandes artistes inuit, Kenojuak Ashevak, décédée cette année (en janvier 2013) à l’âge de 80 ans. S’appuyant sur les œuvres issues de la collection de Claude Baud, un français qui a contribué à promouvoir les sculptures et estampes de nombreux artistes inuit en organisant des expositions en France, et notamment dans sa galerie L’Iglou, Art Esquimau à Douai.
Ainsi que nous l’avons évoqué en introduction, l’art inuit est profondément logé dans la créativité personnelle de ses artistes. Ainsi Kenojuak Ashevak, doit sa renommée inégalée à son esthétique propre qu’elle développe en contre-point de la tradition locale inspirée par son bestiaire et son univers chamanique. Elle grandit dans la pure tradition Inuit et travailla à la décoration d’objets et de vêtements. Encouragée par James Houston, qui élabora à la fin des années 1950 le programme d’arts graphiques, elle s’essaya au dessin, discipline qui lui réussit immédiatement. Elle suit alors avec attention la technique et le processus de gravure pour l’impression de ses dessins, s’émerveillant devant leur démultiplication.
Elle commence alors à explorer les possibilités qu’offre l’estampe, en enrichissant ses productions. Elle prend part à de nombreuses expositions, ses œuvres se font connaitre auprès des collectionneurs, et elle reçu tout au long de sa carrière de nombreuses distinctions reconnaissant son travail à l’échelle internationale.
Son inspiration trouve naissance dans ses expériences vécues, ses souvenirs ou ses rêves qu’elle enjolive avec la force de son imagination. Ses motifs convoquent les animaux de l’Arctique, avec lesquels elle entretient un lien familier qui se lit dans le résultat qu’elle retranscrit dans ses dessins. On voit ainsi dès le début de la visite, le motif du hibou se déployer sans ses œuvres, souvent comme l’élément central.
C’est un motif récurrent qui se rapporte à elle-même, qui la symbolise. Dans le film elle dit ceci « Avant le monde était noir, et il n’y avait que le corbeau comme oiseau. Puis le hibou apparu et promena sa lumière blanche. » Soulignant la technique de l’artiste, l’exposition montre à quel point Kenojuak Ashevak était une coloriste hors pair, et la précision du trait dont elle faisait part dans le maniement de la mine de plomb, le crayon feutre, ou l’eau-forte. A la première impression, c’est la composition qui frappe, tant les formes sont bien distinctes les unes des autres mais associés dans un dessin presque totémique. Elle parvient à créer à certains endroits et par la maîtrise du trait, des effets de relief et de volume.
Que symbolisent des regroupements de créatures : animaux et êtres hybrides ? Ils semblent en fait raconter une histoire que l’on peut imaginer grâce aux titres. Quand l’artiste parle de son processus créatif, elle parle de ses pensés qui « tournoient au dessus d’elle comme des oiseaux ». Il s’agit de dépeindre les images de ses rêves, et certaines de ces images sont difficiles à expliquer comme la vie que l’on ne comprend pas toujours. Comme le disent ses proches, ce sont les esprits qui semblent lui parler, et la retranscription de ses images donnent des résultats surprenants, car dans ses motifs se lisent aussi les changements du temps et de la Nature tout comme les traditions et croyances inuit.
Une très belle exposition qui vaut le voyage aux confins du globe dans la subtilité des motifs de l’artiste. Le documentaire de John Feeney permet aussi de voir l’artiste au quotidien, filmée avec sa famille lors de son voyage sur la mer de glaces jusqu’à Cap Dorset, sur l’île de Baffin. Elle rapporte en commentaire de son voyage, ses impressions ou ses croyances. Elle expose celles en la terre, le ciel et le soleil « Moi je ne connais que la terre d’ici à notre campement, et les animaux des alentours. » Les conditions sont extrêmes et pris dans une tempête de neige elle traduit les choses ainsi « toute la terre écoute la voix hurlante du vent » tandis que sa famille est abritée dans un igloo. Les adultes racontent des histoires et font des ombres chinoises aux enfants jusqu’à ce qu’ils s’endorment. Au matin, elle confie que « les anciens disaient que la vie vaut la peine, pour une chose par-dessus tout : voir le jour se lever ».
A voir :
Fantastique Kenojuak Ashevak
au Centre culturel canadien
5 rue Constantine
75007 Paris