Détends-toi, la reum. Ca va bien se passer. Certes, tu ne l’as appris que très tard. Moins de douze heures. Elle prétend qu’elle t’avait prévenue, mais tu sais bien que ce n’est pas vrai. Enfin si, dans son bavardage incessant, elle a dû y faire allusion, au milieu d’un flot d’autres informations plus ou moins importantes. En même temps, quand elle ne dit rien, tu lui reproches de faire la tronche. Ou tu t’emportes contre son greffon de pouce. Un jour, elle va se faire tatouer Samsung, ça ne t’étonnera qu’à moitié. En même temps, c’est pas pour rien qu’elle faisait le ménage de sa chambre à 22 heures, hier soir. Tu aurais pu t’en douter.
Détends-toi. Ce n’est pas la première fois, non plus. Elle a dit que tu ne devais t’occuper de rien, qu’elles commanderaient des pizzas. Que tu avais juste à laisser de l’argent sur la table en partant, vu qu’elle dormirait encore. Tu comprends, elles ont besoin de se voir, au Collège c’est pas pareil, au téléphone c’est pas pareil, sur Skype c’est pas pareil, par texto c’est pas pareil, et puis, Suzette partira bientôt en vacances, dans trois semaines, et elles vont trop se manquer. Et aussi Georgette et Paulette. Et puis, tu comprends, elles ne sont plus vues depuis hier, tu sais, quand elle t’avait demandé la permission de gratter le collège (sic) parce que plus personne n’y va, pour aller traîner en ville, et qu’elle t’avait appelée à 8h15 pour que tu ailles les récupérer, parce qu’elles avaient trop froid, et elles avaient fini toutes les quatre dans la piscine.
Des pizzas ! Commander ! De mon temps…. De ton temps, ta mère ne travaillait pas, voilà. Les copines défilaient à la maison aussi, c’était portes ouvertes à la casa 365 jours par an. T’as pensé au calvaire de ta reum à ce moment-là ? Non. Ben maintenant, tu sais.
Mais qu’est-ce qu’elles ont à se dire, de jour en jour, de nuit en nuit ? Dans un sursaut de vieille éducation mâtinée de nuits hachées depuis un an, tu as refusé qu’elles dorment toutes à la maison ce soir. Trop fatiguée pour gérer un repas familial plus quatre ados survoltées en rentrant le soir du travail. Transporter matelas et couettes. Devoir supplier pour avoir accès, cinq petites minutes, à la salle de bains. Assister impuissante à leurs délires organisationnels. Et puis, elles peuvent pas changer de crémerie, un peu ?
Allez, respire. Avec un peu de chance, quand tu rentreras, elles auront regagné leurs pénates, la maison sera vide. Comme le frigo. Vu que la pizzeria ne livre pas le midi. Et elle fera la tronche. Comme le frigo.
Respire. Ca fait que commencer.