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Europe, droit d’inventaire

Publié le 28 juin 2013 par Lino83
par Corinne Gobin, juin 2013 dans le monde diplomatique

Si les peuples savaient… Le nouveau numéro de Manière de voir (1) arrive à point nommé pour saisir les enjeux, les fractures et les espoirs que la crise porte à ébullition dans le grand chaudron de l’Union européenne. Impossible, pour qui se soucie de l’avenir de la démocratie ainsi que des droits politiques et sociaux fondamentaux, de ne pas s’informer encore et encore sur cette étonnante organisation, et sur les politiques défaillantes mises en œuvre par ses dirigeants, afin de réfléchir à la parade.

Avec ses vingt-cinq articles et son appareil documentaire précieux pour l’analyste, l’enseignant ou le non-initié, ce numéro convie le lecteur à un parcours de découverte et de réflexion. Une enquête dévoile ce que se disent les dirigeants dans le huis clos d’un Conseil européen ; un glossaire balise le sens des principales institutions composant le système politique de l’Union, ainsi que les accords et traités adoptés au fil de son histoire ; une chronologie égrène les dates-clés de la construction communautaire ; la cartographie donne à voir l’entrelacs des espaces qui structurent le continent entre Union, espace Schengen, Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ou Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe (OSCE), sans oublier ceux qui relient les Etats membres de l’Union à des voisins plus lointains.

Découpé en trois parties, le numéro revient d’abord sur le processus, d’inspiration libérale, qu’a connu le projet européen de ses débuts à aujourd’hui : même si « en 1958, le ver “libéral” était déjà dans le fruit », d’autres histoires étaient possibles que celle marquée, en ce début de XXIe siècle, par l’obsession maniaco-destructrice acharnée contre les solidarités sociales.

Dans la deuxième partie, intitulée « Navigation à vue », les flous, les contradictions et la pléthore de montages juridiques, la déception des nouveaux entrants et les atermoiements des futurs membres, la tentation des « grands » — comme aujourd’hui l’Allemagne — d’incarner le primus inter pares premier parmi les pairs »), nous rappellent l’imprécision originelle du rêve communautaire : l’Europe correspond-elle à une géographie ?

La dernière partie met en miroir deux forces antagonistes : celle, méprisante pour l’intérêt des populations, représentée par une oligarchie nichée au cœur des réseaux financiers ; celle, dispersée et mal organisée, des peuples en colère. Mais comment passer de la colère à l’action ? Comment transformer un ordre politique dont les élites usent pour consolider ce qu’il faudrait changer et « réformer » ce qu’il faudrait renforcer ? Quelques pistes stimulantes sont ébauchées.

Ce parcours, qui plaide insensiblement pour une tout autre Europe, est illustré par les photographies de la série « Trans-Europa-Land » de Jean-Christophe Béchet : d’Istanbul au Sussex, en passant par Berlin, Vilnius ou Moscou, des silhouettes se croisent, nous sourient, se montrent dans l’expression de leur quotidien. N’est-ce pas là finalement l’élément le plus déterminant ? Humains, tellement semblables, tant de raisons pour imposer la beauté de la démocratie à ceux qui tremblent à l’idée de l’égalité !

Corinne Gobin

Chercheuse en science politique, Fonds national de la recherche scientifique (FNRS).

La construction européenne, telle que nous la connaissons, n’a-t-elle aucun sens ? Dire cela serait exagéré après soixante ans de travail partagé. En revanche, elle relève plus à certains égards du registre de la croyance que de la raison. N’est-ce pas la « foi » qui, en définitive, justifie un autoritarisme de plus en plus ouvert, tournant le dos aux valeurs démocratiques que l’Union est supposée défendre ?

Numéro coordonné par Anne-Cécile Robert

Lire le compte rendu de ce numéro, paru dans Le Monde diplomatique de juin 2013, par Corinne Gobin.

Les croyants
Anne-Cécile Robert

Glossaire

I. Dans l’engrenage libéral

Europe, droit d’inventaire

Avec ses normes contraignantes (critères de convergence, pacte de stabilité et de croissance, pacte budgétaire) et ses institutions supranationales (Commission de Bruxelles, Banque centrale européenne), l’architecture de la zone euro dessine une sorte de fédération technico-économique. Son but ultime est l’achèvement du Marché commun décidé en 1957 par le très libéral traité de Rome. Depuis l’Acte unique de 1985, l’intégration communautaire semble tout entière tournée vers cette unification dont la monnaie unique est la clé de voûte.

L’année 2013 franchit une nouvelle étape avec l’entrée en vigueur du mécanisme européen de stabilité (MES) et la mise en place de la supervision des banques. Les principes du libre-échange et de la concurrence structurent l’ensemble des traités. Les valeurs politiques et démocratiques sont prudemment reléguées à des préambules sans force obligatoire.

Progressivement, les Etats subordonnent leur économie et leur société à un marché envahissant, transformant les droits sociaux en variables d’ajustement. Le démantèlement de la politique agricole commune éclaire ce tropisme : au nom du libre-échange exigé par l’Organisation mondiale du commerce, l’Union se prive d’un outil qui pourrait lui être si utile face aux défis environnementaux et alimentaires. Et le « sauvetage » des pays victimes de la crise financière sert de prétexte au durcissement de la même politique.

La crise rattrape le Parlement de Strasbourg
A.-C. R.

Quel avenir pour l’euro ?
Laurent L.Jacque

Dès 1958, le ver était dans le fruit
François Denord

L’édification d’une véritable communauté nécessite l’acceptation d’une discipline rigoureuse
Robert Schuman

Pour la gauche, une utopie de rechange
Serge Halimi

Une politique agricole commune sans contenu
Jean-Christophe Kroll et Aurélie Trouvé

En Grèce, l’austérité à la folie
Noëlle Burgi

Deux traités pour un coup d’Etat
Raoul Marc Jennar

Imbroglio bancaire
Dominique Plihon

II. Navigation à vue

Europe, droit d’inventaire

L’attribution du prix Nobel de la paix à l’Union européenne en 2012 a paradoxalement rappelé que, depuis les grandes heures de la réconciliation franco-allemande et du « plus jamais ça » dans les années 1950, l’intégration communautaire n’avait pas trouvé d’autre projet mobilisateur.

En dix ans, le nombre d’Etats membres a pratiquement doublé, passant de quinze à vingt-huit avec la Croatie en 2013. Pour les nouveaux arrivants, l’Union est avant tout un Marché commun, même si, pour quelques-uns, elle constitue également une assurance contre la domination de Moscou. Mais, face à la récession qui menace et à l’interminable crise de l’euro, la dimension politique de la fédéralisation du continent n’occupe guère les débats du Conseil européen.

Dès qu’une question géopolitique importante se pose, les Etats membres partent en ordre dispersé. Il en fut spectaculairement ainsi au moment de la guerre américaine contre l’Irak en 2003 : illégale, fondée sur le mensonge grossier des armes de destruction massive, elle aurait dû susciter leur réprobation unanime et celle de la Commission. Six pays de l’Union se sont pourtant engagés derrière Washington. Forts en rhétorique pompeuse sur les valeurs communes, les pays membres échouent devant les cas pratiques.

Quel projet pour quelle Europe ? La réponse ne cesse d’être différée du fait de l’hétérogénéité croissante de l’Union. Le bricolage institutionnel et la fuite en avant dans les élargissements semblent alors servir de seule ligne de conduite à des dirigeants sans vision.

Une armée mexicaine
Federico Santopinto

D’un rêve à l’autre
Jeremy Rifkin

Face à l’hégémonie de Berlin
Perry Anderson

Anniversaire morose pour le couple franco-allemand
A.-C.R.

L’adhésion de Londres au Marché commun
Paul Coulbois

Grands et petits Etats : un clivage artificiel ?
Jean-Claude Boyer

Désillusion populaire dans les Balkans
Jean-Arnault Dérens

Incertaine géopolitique
Michel Foucher

III. Tentation autoritaire et révoltes populaires

Europe, droit d’inventaire

Taux de croissance en berne, explosion du chômage, hausse de la pauvreté : l’Europe est prise au piège de la crise. Après la Grèce, Chypre se trouve au bord de la faillite. Les signaux d’alarme s’allument en Slovénie. Portugal, Espagne et Italie paraissent sur la corde raide.

L’Union réagit en imposant une politique d’austérité qui ne peut qu’aggraver la situation. Alors que les Grecs multiplient les grèves générales, une journée de protestation contre la rigueur a rassemblé des centaines de milliers de personnes de Rome à Londres, en passant par Paris et Lisbonne, le 14 novembre 2012. Les manifestants dénoncent la baisse des prestations sociales (y compris des retraites), les suppressions d’emplois, la dégradation des services publics de santé et d’éducation, la crise de l’immobilier…

Occupés à colmater, les unes après les autres, les brèches percées dans la « stabilité de la zone euro », les dirigeants européens demeurent sourds à la souffrance sociale. Ils n’hésitent pas à ignorer le verdict des urnes pour maintenir le cap qu’ils se sont fixé. Les « non » français et néerlandais, exprimés lors de référendums en 2005, ont ainsi été écartés pour imposer le traité de Lisbonne. En fait, les citoyens n’ont jamais pesé dans des mécanismes de décision conçus, dès l’origine, pour satisfaire d’abord les exigences de l’économie libérale. Pourtant, la prise en compte de la voix des peuples constitue l’une des conditions d’un projet européen digne de ce nom.

sources et références : page originale du monde diplomatique :

http://www.monde-diplomatique.fr/mav/129/


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