Pastorale ferroviaire

 Je ne vous suis plus. Vous étiez comme un livre dans la foule, comme un havre dans la houle. Je ne sais pas moi, vous étiez mon refuge et ma lampe. Maintenant je suis déchu et déçu, dépecé aussi, déchiqueté même, je vous épargne les détails, disons simplement que je me suis échoué, que je suis tombé dans le gouffre très profond et que je souffre, tel un feu étouffé qui brûle sans se laisser voir. Je me suis fracassé le crâne, et aucune trace de la boîte noire.Toute ma vie, j'ai attendu ce moment. Je l'ai imaginé, anticipé, cauchemardé. Et maintenant, je suis en plein dedans. Je me suis aventuré dans la dense forêt. J'ai poussé le sentier toujours plus loin. En sachant que la perte bruissait dans les feuillages, narguait mes pas, guettait ma fatigue. Têtu, je n'ai pas voulu assumer mon évident manque de bon sens. L'errance ne faisait que commencer, mon port d'attache se dissipait dans les effluves de la nuit. Je me mis à écrire. Comme un aveugle gribouillant un cahier, je notais les couleurs de mes pensées. Sans savoir pourquoi, j'écrivais. Avant même de comprendre, j'écrivais. Je ne savais pas pourquoi. Mais maintenant je sais. Je sais précisément pour qui j'écris. Un jour, tu le sauras aussi.En attendant j'attends. J'attends, et je scrute le ciel. Je scrute les couleurs du ciel. Je scrute les nouvelles. J'attends que les événements me confirment ce que je sais déjà. Comme un condamné dans le couloir de la mort, je sais que l'heure viendra, mais je ne sais pas quand. Alors je respire et contemple mes jours. La roue du monde tourne. Les jeunes arrivent et veulent conduire. Il faut leur laisser la place. Je ne voulais pas l'accepter. Maintenant je l'accepte, j'assume mon chemin, mes échappées buissonnières, toutes mes errances et erreurs. Mes blessures à vif que je traînerai jusqu'au dernier souffle.