L’univers social est d’une telle complexité que la prévision relève souvent plus de l’art des augures que de la raison. Les actions les plus simples se déploient en ramifications d’effets et de sous-effets qui se transforment à leur tour en causes, pour engendrer des réverbérations bien au-delà du prévisible et du contrôlable. Combien de décisions familiales, prises dans la générosité, ont des effets contraires à ceux recherchés ? En politique, combien de généreuses réformes ont donné, par euphémisme, des fruits douteux ? Examinons nos propres vies. Chaque soir nous présente un tableau désolant : nos intentions déformées en résultats de nos actes. Si nous avons à rendre compte, vaudra beaucoup mieux être jugés sur nos intentions que sur les conséquences imprévisibles et déroutantes de nos décisions. Ce dicton ancien, L’enfer est pavé de bonnes intentions, on pourrait en renverser le sens, et lui faire dire son contraire : Seules nos intentions offrent des chances de salut — et de salubrité spirituelle et morale.
Car si l’on dit l’humain responsable — et s’il ne l’est pas, inutile d’ergoter sur l’éthique —, il ne peut être responsable, en bien ou en mal, que de ce qui dépend de lui. Les conséquences de ses actes lui échappent presque totalement ; il ne peut donc en être imputable. Toutefois, il est relativement maître de ses intentions ; on peut donc le juger sur la qualité de ces dernières. En aval, les conséquences appartiennent à l’Esprit, à Dieu, à l’Histoire qui, par le tamis du temps, est la grande conservatrice de ce qui vaut.
(Propos pour Jacob, Éd. de la Grenouille Bleue)