abîme je me ferai aile
pour distancier la douleur
à travers un nouveau ciel
habité par les voyelles
et les soleils rameurs
nuit je m’éveillerai aurore
jacassant sur la pierre
dans mon sang de feu vert
on entendra peu à peu se taire
les voix herbeuses des morts
silence je me ferai parole
essentielle comme l’outil
j’aurai des amours de rossignol
et des gloires d’épi
fanfares entre les épaules
je n’irai plus à l’ordure
à l’eau pourrie, à la souche éteinte
j’habiterai la rosée qui tinte
l’enfant sur le chemin de l’école
j’aurai plein les poches la monnaie d’azur
compagnon des vieilles planètes
j’aurai aussi du temps
puisque les mots promettent
l’or et la durée, l’île et la fête
à celui qui naquit fragment
puisque les mots promettent
de leurs grands yeux innocents
puisqu’ils disent aimer le poète
roi nu démuni souffrant
éternel forçat de la quête
puisque les mots promettent…
ou font semblant
murmure une voix secrète
entre deux rire brefs
derrière les rideaux du vent.
***
André Laude (1936-1995) – Le Bleu de la nuit crie au secours (1975)