MON ARTICLE DU SATURDAY EVENING POST
Par Jack Alexander
Ordinairement, le diabète n'est pas coté comme un des dangers du reportage, mais mon article publié dans le Saturday Evening Post sur les Alcooliques anonymes a passé près de me coûter mon foie et peut-être devrions-nous dire ceci aux néophytes AA quand on leur demande de lire cet article. Ça pourrait les impressionner. Au cours de mes recherches j'ai bu assez d'eaux gazeuses pour être à flot sur le Saratoga. Alors il y a eu ces gâteaux des rassemblements AA, et le café divinement doux, et les bonbons. Nul ne pourra me faire croire que l'alcoolisme n'est pas tout simplement causé par un désir de sucre intense et anormal, même pas un savant psychiatre. Pour le reste j'ai bien aimé fréquenter les AA et travailler avec eux.
Ceci débuta quand le Post me demanda si le mouvement AA ne serait pas un bon sujet d'article. Tout ce que je savais alors de l'alcoolisme, c'est que, comme plusieurs autres non-alcooliques, je m’étais fait mordre la main (et frappé le nez) en de nombreuses Occasions, par des amis alcooliques à qui je tendais la main, - imprudemment, semble-t-il toujours après coup, A tout événement, j’étais d’un scepticisme compréhensible à propos de toute l’affaire,
Mon premier contact avec des membres AA eut lieu quand un groupe de quatre d'entre eux vinrent un après-midi à mon appartement. Leur visite me plut, mais ne m'enleva aucunement mes doutes, Chacun se présentait comme un alcoolique devenu "sec" selon l'expression officielle. Ils paraissaient bien, ils étaient bien habillés et alors que nous étions assis à prendre du Coca-Cola (c'était tout ce qu'ils buvaient) ils racontaient longuement leurs affreuses mésaventures de leurs vies de buveurs, Leurs histoires sonnaient faux et après le départ de mes visiteurs j'eus l'impression très nette qu'on se riait de moi, Ils s'étaient conduits comme un groupe d'acteurs envoyés pour une agence du Broadway.
Le lendemain matin, j'ai pris le métro pour me rendre aux Services Généraux des Alcooliques Anonymes dans Manhattan, où j’ai rencontré Bill W. Ce Bill W. est un type très désarmant et un expert qui endoctrine tout étranger dans des domaines comme la psychologie, la psychiatrie, la physiologie, la pharmacologie et le folklore de l’alcoolisme. Il passa une bonne partie de quelques jours à me donner des explications. Ce fut une expérience intéressante, mais à la fin, je me tenais encore les doigts croisés. Naturellement, il le savait sans me le dire, et durant les jours qui suivirent il m’amena dans les foyers de quelques membres AA où j'ai eu la chance de parler aussi à leurs épouses. Mon scepticisme a souffert quelques égratignures mineures, mais pas suffisamment pour me faire changer d'opinion.
Ensuite, Bill m'amena à quelques réunions AA dans un club quelque part à New-York. Il y avait là toutes sortes d'alcooliques dont plusieurs des siroteux à la lisière du mouvement, exhalant encore la boisson et la barbe longue d'une semaine. Alors, j'ai compris que j’étais parmi quelques alcooliques authentiques. Les barbus, ceux qui sentaient la boisson, avaient aussi leurs doutes; j'avais maintenant des compagnons.
La semaine passée avec Bill W. fut un succès à un point de vue. Je savais que j’avais l'information nécessaire pour un reportage intéressant mais, malheureusement, je n'y croyais pas tellement et j’en avisais Bill. Il demanda pourquoi je n'enquêtais pas sur les AA dans d'autres villes pour voir ce qui s'y passait. J'acceptai de le faire et nous traçames un itinéraire. Je me suis rendu à Philadelphie – d’abord et quelques membres AA locaux m'amenèrent à la section psychiatrique de l’Hôpital Général de Philadelphie; on me montra comment on procède dans le cas des patients alcooliques. Dans cet endroit obscur, c’était une chose impressionnante de voir des hommes qui étaient devenus sobres après plusieurs rechutes parler à un homme qui tremblait encore à la suite d'une cuite qui s'était terminée dons les bas-fonds de la ville.
Je me rendis ensuite à Akron. Bill m’y rencontra et promptement m'introduisit au docteur S. un autre homme qu'on avait de la difficulté à ne pas croire. Il y eut d'autres visites d’hôpitaux, une assemblée AA, et des entrevues avec des gens qui, un an ou deux auparavant, vivaient dans la nuit de l'alcool. Maintenant ils paraissaient calmes, avaient un bon langage, paraissaient stables et prospères, à tout le moins modérément prospères.
Le docteur S. nous conduisit tous les deux d'Akron à Cleveland, un soir, et la même chose se répéta. Cependant, l'argument le plus fort me parvint à Saint-Louis qui est ma ville natale. Ici, j’ai rencontré un nombre de mes amis personnels qui étaient membres des AA, et mes derniers doutes se sont envolés. Ils avaient déjà été de gais lurons; ils étaient maintenant sobres. Ce ne semblait pas possible, mais c'était vrai.
Quand l’article fut publié, le courrier fut surprenant. La plupart des demandes venaient de buveurs désespérés ou de leurs épouses, de mères, de pères ou d’amis intéressés.
Je suppose que pendant plusieurs années les lettres vont continuer à arriver et j'espère qu'il en soit ainsi, parce que maintenant, je sais que chacune a sa source dans l'esprit d'un alcoolique ou de quelqu'un qui l'aime, qui vit une espèce d'enfer de Dante, Et je sais aussi que cette victime est sur la voie du rétablissement si elle veut vraiment se rétablir. Il y a quelque chose qui touche le coeur dans ça - particulièrement dans un monde où l'on s'est battu pour obtenir la paix pendant des siècles, sans jamais la trouver durant de longues périodes de temps.
(Mai 1945)