KILBI 23, 24, 25 mai 2013 bad bonn, düdingen
a – le confort Lorsqu’on est harassé par la grêle et la boue, cette notion prend toute son importance. C’est con mais c’est quand même dur d’être attentif à un concert moyennement captivant si on a la gambette qui fléchi, l’oreille martyrisée, des courants d’air quelque part entre les plis de l’écharpe ou que l’emplacement choisi dans la foule compactée, est évidemment un endroit de passage où on se fait constamment bousculer. L’énumération de ces petites plaies pourrait continuer encore quelques pages mais vous avez compris le principe. Le confort n’est par essence pas garanti en festival. Du coup, autant faire en sorte d’en "perdre" le moins possible. A ce sujet, nous conseillons vivement les cornets en plastique par dessus les chaussettes dans les chaussures. On a l’air ridicule mais ça tient au sec et au chaud dans le meilleur des cas.
b – l’ambiance On ne se lassera jamais de dire du bien de l’ambiance relax qui règne à la Kilbi, sans pour autant savoir à quoi cela tient. Est-ce la moyenne d’âge du public (probablement dans la trentaine)? Est-ce le calme de la campagne environnante? Ou bien la programmation, exigeante, variée, qui attire des gens aux goûts similaires ? Seule certitude : le cadre a permis à plusieurs groupes de se lâcher, et même d’entrer complètement en symbiose avec le public. Cet exploit dépend souvent de pas grand chose. Ca peut partir d'états d’esprit qui se rejoignent, d’un côté et de l’autre des retours. Par exemple, Thee Oh Sees sont parvenus à enflammer le public en deux secondes. Pour des Suisses, péter une durite à ce point, c’est quand même rare. Mais par la grâce du garage californien, Johnny le Bruyant et sa bande de tatoués en short l'ont fait. Tant et si bien qu’il a même fallu prévenir un auditeur secoué par les pogos et un peu trop entiché des enceintes : "Wear earplugs, it’s gonna get louder, and we’re too good to play lower" - c’est bien la preuve d’un concert qui défonce. Autre formidable exemple d’unicité, mais dans un style moins "fracassant", Tinariwen a réussi un des meilleurs concerts du week-end. Captivants, les touaregs maliens ont emporté le public si loin avec leurs mantras et leurs danses, que tout un chacun s'est éclaté les paumes en exigeant rappel sur rappel.
c – le hasard Parfois, il suffit d’un petit agrément et ce qui promettait d’être une bonne côtelette d’agneau se révèle saignant à souhait et plein de gros sel. L’exemple parfait du hasard réussi, c’est le concert de Allah Las. Sympathique groupe de surf pop californien, authentique du manche des maracas jusqu’à l’air complètement défoncé, les amerloques ont bénéficié d’une éclaircie qui ne pouvait mieux tomber. Chaleur dans les chœurs (sixties) et partout ailleurs, c’était cliché comme un filtre jaune sur instagram et suffisant pour imprégner les chansons estivales d’un irrésistible magnétisme. Cela dit, les oppositions hasardeuses peuvent aussi avoir des dénouements heureux : coincées dans le club bad bonn pour échapper à la grêle, nous étions si compressées qu’apercevoir un bout du crâne chauve d’un des mecs de Camera relevait de l’exploit. Niveau confort (voir point (a)), ça n’était pas terrible. Mais soudain, des ovations suscitées par le match de foot diffusé dans la pièce attenante ont donné un relief particulier aux bobines de musique autoroutière du groupe berlinois. De l'importance des contrastes.
d – le son D’autant plus important que cela semble trivial : le réglage du son apparaît être la condition sine qua non pour que le concert ait des chances de bien se passer, ou non. A ce sujet, on signalait quelques problèmes au niveau de la grande scène de Kilbi. Du genre où tu te déplaces et tu passes d’un endroit où ça colle à un no mans land de confusion. On l’a surtout remarqué à Connan Mockasin. Dieu des ondes sexuelles avec ses dauphins qui ondulent dans une atmosphère éthérée, le petit lutin du Capricorne avait dans le slip de quoi envoûter toute la fosse. Manque de bol, le premier rang auquel il susurrait quelques confidences à genoux n’y entendait qu’un embrouillamini branlant. N’empêche qu’une fois à l’arrière, dans la réputée position stratégique aux abords de la régie, le charme pénétrait. Et par le truchement de ses sourires, ses petites sollicitations et son bassiste à la coupe asymétrique, Connan nous mettait dans sa poche. Reste que le son dépend forcément en grande partie du style du groupe. On ne mixe pas de la même façon My Bloody Valentine et Grizzly Bear. Confondants de clarté, les bêtes de la pop à chemise de bûcheron ont joué avec une précision extrême chaque détail de leurs assemblages d'orfèvres. Même les intonations du chant à plusieurs voix étaient justes. C’était impressionnant de perfection (j’entends d’ici grogner "c’était trop lisse !" mais bon). A l’opposé, My Bloody Valentine exigeaient une toute autre approche. C’était le mur du son. Voile opaque où on n’y entend plus goutte (on voyait pourtant les mains bouger sur les manches), c'était lourd et puissant comme on l'attendait et euh... voilà.
e – les attentes On a une sacrée tendance à coller les groupes dans des catégories, histoire de fournir un minimum d’orientation aux auditeurs. Du coup, c’est dur de ne pas aller voir un artiste sans attendre quelque chose de lui (quelque chose d’autre que "fais moi un orgasme auditif "). Et c’est d’autant plus dur pour un groupe chéri, qui part sous pression, pris au piège par ce que Simon Reynolds appelle l’"idéal (moral) de reproductibilité". Le public est là pour ce qu'il pense que le groupe est et c’est à ce dernier d’assurer sa rédemption. Qu’il soit composé de pauvres ères humaines compte peu tant qu’il satisfait le fantasme. Seulement, la réalité surpasse rarement le modèle du coup, tout l’art réside dans le détournement. Et quand bien même, on détestera toujours ce qui ne correspond pas à une vision trop idéalisée. Dans cette catégorie, Liars ont indéniablement remporté la palme "surprise" de ce Kilbi. Déchaînés dans une espèce de techno putassière à faire la teuf, ils ont froissé quelques fans hardcore et fait trembler tout l’édifice que les gens "qui suivent de loin" se constituaient du groupe. Ne pas faire ce que les fans attendent de vous en prenant le risque de faire un bon concert quand même, c’est monstrueux de culot. Liars n’ont jamais mieux porté leur nom.
f – le rythme Nous arrivons à un point souvent discuté mais qu’on n’a pas la prétention de maîtriser : le rythme et par extension, la section rythmique des groupes. On a souvent tenté de définir ce qu'on aimait en parlant de basse qui fait tanguer et de rythmes effrénés qui "portent" l’ensemble et on ne saurait trop se défaire de ces définitions. Même en tant qu'instrument "primitif", la percussion est restée un élément essentiel de toute musique. D'ailleurs, avant même d'aller au solfège, les petits élèves du conservatoire suivent des cours qu'on appelle "La Rythmique", si c'est pas un signe. A Kilbi, l'édition 2013 a été particulièrement percussive. Ca démarrait avec le batteur génial Julian Sartorius qui, seul avec ses peaux et ses multiples accessoires parvenait à former des trucs fous. Andy Stott s'est révélé véritable virtuose de la déconstruction surprenante de beats. Et, à la toute fin, on a eu droit à SKIP&DIE. Nous qui les croyions taillés juste pour un hit ("Love Jihad") avons été complètement prises de court par le magma de percussions de toutes sortes d'origines qui martelait la scène. Au final, on ne retenait que ça, une sorte de cadence à la façon des tambours sur une galère. Et le public était tellement échauffé, que ça ne s'est jamais fini. Tapant sur la scène et sur tout ce qu'ils trouvaient, les gens ont fait du bruit pendant des siècles bien après que le groupe aie officiellement terminé son show. Etait-ce la nostalgie d'un festival qui se termine? En tout cas, cette bamboula spontanée faisait aimer l'humanité entière.
g – l’attitude du groupe
Nous avons pour l'heure encore pas mal de problèmes à définir ce qui, dans la musique, fait un bon concert. Mais peut-être que la musique en elle même a moins d'impact que ce que les groupes en font, c'est à dire, ce qu'ils transmettent avec leur attitude. En ce sens, il y a plusieurs partis à prendre; ne rien dire, parler un peu ou alors carrément faire participer la foule à des activités loufoques comme Dan Deacon, au risque de gêner les gens et de se prendre un monstre vent. Une fois encore, tout dépend du groupe. Un Kurt Vile trop affable, ça ne collerait pas, on le préfère chantant ses magnifiques chansons, caché derrière se cheveux, plaquant des accords avec son pouce par dessus le manche comme le petit être fragile qu'il est. Quoi qu'il en soit, c'est toujours plus cool quand on sent qu'il y a un certain plaisir à jouer là. Quand il y a au moins une tentative de communiquer quelque chose, puisque c'est un peu le but d'un concert pas stérile. Les jeunes Mozes and the Firstborns par exemple, se sont démenés pour entraîner la fosse dans une mascarade digne de Thee Oh Sees. Ils n'y sont pas vraiment parvenus mais ça a quand même enthousiasmé l'assemblée un peu plus que s'ils s'étaient cantonnés à jouer leur super morceaux garage/collège.
Qu'ils soient externes ou propres aux groupes, les facteurs qui font un bon concert sont donc nombreux et nous, naïfs enfants, avons tenté d'en dresser un aperçu. En illustrant nos propos avec des exemples vus et entendus à Kilbi, on a omis quelques autres cool prestations de groupes à voir genre Bass Drum Of Death, Minimental, les incroyables chinois Rebuilding the Rights of Statues, DJ Marcelle et DJ Fett sans oublier le fantastique happening/baptême du nouveau chat du Bad Bonn Speck par Speck. Et pour terminer, retenons la phrase prononcée par Dan Deacon de set: "Music should be about having fun". Tout est dit. En tout cas on peut vous assurer qu'à Düdingen il y en a, du fun.