Le terme misère a plusieurs significations qui se rejoignent pour traduire une situation de détresse : grand dénuement, malheur, souffrance, ennui, tristesse mais aussi petitesse (« un salaire de misère »).
Victor Hugo
« Discours sur la misère »
En éclairant ce qui est faux, en satisfaisant ce
qui est juste. (C'est vrai !) Une fois cette opération faite, faite
consciencieusement, loyalement, honnêtement, ce que vous redoutez dans le
socialisme disparaît. En lui retirant ce qu'il a de vrai, vous lui
retirez ce qu'il a de dangereux. Ce n'est plus qu'un informe nuage
d'erreurs que le premier souffle emportera. (Mouvements en sens
divers).
Trouvez bon, Messieurs, que je complète ma pensée. Je vois à
l'agitation de l'assemblée que je ne suis pas pleinement compris. La
question qui s'agite est grave. C'est la plus grave de toutes celles qui
peuvent être traitées devant vous
Je ne suis pas, Messieurs, de ceux qui croient qu'on peut supprimer la
souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de
ceux qui pensent et qui affirment qu'on peut détruire la misère.
(Réclamations - Violentes dénégations à droite)
Remarquez-le bien, Messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter,
circonscrire, je dis détruire. (Nouveaux murmures à droite). La misère
est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du
corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu.
(Oui, oui ! à gauche). Détruire la misère ! Oui, cela est possible !
Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en
pareille matière, tant que le possible n'est pas le fait, le devoir n'est
pas rempli. (Sensation universelle)
La misère, Messieurs, j'aborde ici le vif de la question, voulez-vous
savoir où elle en est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu'où elle
peut aller, jusqu'où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au
moyen-âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ?
Voulez-vous des faits ?
Il y a dans Paris (l'orateur s'interrompt)
Mon Dieu, je n'hésite pas à les citer, ces faits. Ils sont tristes, mais
nécessaires à révéler ; et tenez, s'il faut dire toute ma pensée, je
voudrais qu'il sortît de cette assemblée, et au besoin j'en ferai la
proposition formelle, une grande et solennelle enquête sur la situation
vraie des classes laborieuses et souffrantes en France. Je voudrais que
tous les faits éclatassent au grand jour. Comment veut-on guérir le mal
si l'on ne sonde pas les plaies ? (Très bien, très bien !)
Voici donc ces faits :
Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l'émeute
soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des
cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle,
hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n'ayant pour lits, n'ayant pour
couvertures, j'ai presque dit pour vêtements, que des monceaux infects de
chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes,
espèce de fumier des villes, où des créatures humaines s'enfouissent
toutes vivantes pour échapper au froid de l'hiver (Mouvement).
Voilà un fait. En voici d'autres : Ces jours derniers, un homme, mon
Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n'épargne pas plus
les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux
homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l'on a constaté
après sa mort qu'il n'avait pas mangé depuis six jours. (Longue
interruption) Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le
mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une mère
et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris
immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon ! (Sensation)
Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas
être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa
sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles
choses ne soient pas ! je dis que de tels faits, dans un pays civilisé,
engagent la conscience de la société toute entière ; que je m'en sens,
moi qui parle, complice et solidaire (Mouvement), et que de tels faits ne
sont pas seulement des torts envers l'homme, que ce sont des crimes envers
Dieu ! (Sensation prolongée)
Voilà pourquoi je suis pénétré, voilà pourquoi je voudrais pénétrer
tous ceux qui m'écoutent de la haute importance de la proposition qui
vous est soumise. Ce n'est qu'un premier pas, mais il est décisif. Je
voudrais que cette assemblée, majorité et minorité, n'importe, je ne
connais pas, moi de majorité et de minorité en de telles questions ; je
voudrais que cette assemblée n'eût qu'une seule âme pour marcher à ce
grand but, à ce but magnifique, à ce but sublime, l'abolition de la
misère ! (Bravo ! Applaudissements.)
Et, messieurs, je ne m'adresse pas seulement à votre générosité, je
m'adresse à ce qu'il y a de plus sérieux dans le sentiment politique
d'une assemblée de législateurs ! Et à ce sujet, un dernier mot : je
terminerai là.