Dans laquelle j'explique, à ce formidable luthier, un rêve que je fis récemment...
Monsieur Dupont,
La lutherie est un art dont vous êtes le Phoenix.
Ne voyez pas dans l'emploi de ce qualificatif une quelconque
forme de servilité, encore moins de flatterie. Non, Mr Dupont, je ne cherche aucune grâce à vos dépens car
voyez-vous, je suis un peu intégriste en matière musicale et je m'en vais vous
raconter plus loin le rêve absurde mais prégnant que je fis une de ces
dernières nuits.
Tout d'abord, permettez que je me présente succinctement afin que
vous ne soyez point dans l'ignorance de la nature de votre humble
interlocuteur.
Je suis poète à mes heures, écriveur de textes que personne ne
lit et accessoirement musicien, plus particulièrement guitariste. Depuis longtemps j'écoute et me passionne pour le swing manouche.
Donc, l'autre nuit, je rêvais...
Je me promenais en Charente au guidon d'une mobylette dont la
marque m'a échappé. Au hasard de mes pérégrinations, je vis au bord d'un chemin
de campagne, une troupe de gens du voyage qui établissait son campement dans
une clairière formée d'un joli pré à la verdure éclatante de printemps.
Je m'arrêtais pour saluer ces gens dont la liberté de mouvement,
le swing et l'allégresse chrétiens m'ont toujours fasciné.
Ces gitans, dont l'hospitalité n'est plus à démontrer malgré la
réputation qui les entoure, réputation d'ailleurs construite sur l'ignorance,
la peur et la bêtise, m'invitèrent à partager leur humble repas et à passer la
soirée avec eux, autour d'un feu de joie, symbole universel de l'amour humain
et de la continuité perpétuelle de la vie.
J'acceptais avec un plaisir à peine dissimulé moi qui aie
toujours envié leur mode de vie itinérant et encre un peu sauvage. Ils sont
comme le vent, in attrapables, et sitôt en cage, dépérissent comme ces fauves
pelés des cirques que l'on exhibe à un public idiot, toute honte bue.
La soirée commença autour d'un repas genre barbecue où je me fis
un devoir de goûter au hérisson rôti. J'en retiens le goût raffiné et sauvage.
Puis, après de nombreux verres bus, ils commencèrent à faire de la musique.
Je regardais le jeu agile et nerveux de leurs doigts sur le
manche de la guitare et la musique prenait leurs âmes, envoûtante et
désarticulée.
Je restais figé devant la mélopée érotisante des jeunes femmes dont
la beauté est égale à la lumière des étoiles qui protègent leurs nuits
vagabondes.
Puis peu à peu le silence revint et je vis ces hommes et femmes, dans le recueillement le plus digne, remerciaient Dieu de leur accorder ce reste de liberté, ce sursis à la disparition. Je pensais à ces chrétiens d'église, bigots et bigotes à temps plein, occupés à lustrer les pieds de Jésus à l'église du village. Je sus de suite à qui Dieu accordait sa grâce bienveillante, sur quelles têtes d'enfant son souffle passait.
Un homme s'avança vers moi et me montra sa guitare. Je reconnus
immédiatement un instrument de votre fabrication.
Il me dit ", “ elle te plaît ?"
Je lui répondis que bien sûr, évidemment dans l'émotion et je
pris l'instrument dans mes mains.
L'homme me dit alors "Toi aussi tu en auras une un jour, par
la grâce de Dieu.."
Je saluais alors tout ce monde et les remerciais sans qu'ils
sussent jamais à quel point ces heures passées avec eux avaient soulevé mon
âme.
Je repris ma mobylette dont la marque ne m'est toujours pas
revenue.
Tout à coup, devant moi apparût une camionnette sur laquelle
était inscrit "Maurice Dupont, Artisan". Je vis un homme sortir de la
camionnette et venir vers moi les bras chargés d'un objet en forme de guitare.
Je crût m'évanouir.
Puis il me parla.
"Bonjour jeune homme, voulez-vous goûter de mon jambon
?" L'homme portait un jambon cru énorme à bout de bras. Je relus
alors les inscriptions sur la camionnette. "Maurice Dupont, Artisan
boucher charcutier"...
Et je me suis réveillé....
Voilà, Mr Dupont, le rêve que je fis...
Je n'ai jamais réussi à sortir un air manouche en jouant avec un jambon.
Kao