Céline Righi
Marcoussis, Guillaume Apollinaire
Voilà des vers qui tremblent comme le vin dans le verre soulevé par la main fébrile et amoureuse. Voilà l'amour qui fuit, qui suit le cours du Rhin éclairé par la lune, peuplé par "ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été". L'alcool embrase l'être et déforme les choses. Il est le filtre / philtre qui fait naître inquiétude et répand maléfice :Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y reflétant La voix chante toujours à en râle-mourir Et la poésie coule, sans points et sans virgules ; elle effeuille les femmes, amours désenchantées. Les visages d'Annie, de Marie se confondent. Le temps ne rampe plus doucement sur un axe orienté. Il se trouble et se brise, s'enfonce dans les souvenirs où viennent se concentrer les figures du passé. Libéré de sa mesure ordinaire, le temps se fait intime, s'écoule de l'intérieur, avec ses ruptures, ses ralentissements, ses accélérations. Ivresse poétique qui fait tanguer les heures de nostalgie et fait valser les mots, qu'il soient étranges ou familiers. Tout bouge tout file tout passe autour d'un je qui cherche ancrage :
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Alcools est un enchevêtrement, un agglomérat savant d'images et de musique, un taffetas changeant de paysages ensorcelés, qu'ils soient rues de Paris ou de Londres lacérées par les Plaies du brouillard sanguinolent / Où se lamentaient les façades ou bien troubles miroirs d'eau dans lesquels le poète s'abîme, cherchant amours et paradis perdus.
Une poésie en somme qui chante la gloire de l'imagination et de la liberté infinie qui lui est propre.