D’abord on ne pense plus à lui et on ne lui rend plus visite. Ensuite quand un évènement mineur nous le remémore, on fait comme si ça allait passer tout seul et puis vient le moment fatidique où l’échéance évidente ne peut plus être repoussée ou ignorer. Une dent vous fait souffrir en plein week-end et vous n’avez plus qu’une seule envie, être au lundi et revoir en hâte votre dentiste. Qui l’eut crû ?
Etre heureux d’aller chez le dentiste, quand on en est à ce point, c’est que ça vous chatouille sérieusement. J’en étais là de mes réflexions quand la porte de la salle d’attente s’est ouverte et que mon nom a été appelé. A peine si j’ai reconnu les lieux, tant il y avait longtemps que je n’étais venu, d’ailleurs mon dentiste était parti à la retraite et sa remplaçante a fouillé dans les profondeurs de la mémoire de son ordinateur pour retrouver mon dossier.
Après une radio panoramique pour faire un état des lieux, je me suis installé dans le fauteuil. Le fameux fauteuil. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a le fauteuil du dentiste comme il y a le canapé du psychanalyste, chez l’un on soigne votre dent et chez l’autre votre dedans. Plutôt adepte des canapés et fauteuils moelleux, partisan convaincu de cette secte de flemmards, je ne suis pas un pratiquant assidu des fauteuils de dentistes. Pourtant question confort, il n’y a pas grand-chose à reprocher à ce meuble. Large, de bons accoudoirs, repose-pieds, inclinable à volonté, éclairage à giorno, l’idéal pour celui qui voudrait bouquiner ou faire une bonne sieste.
Sauf que je n’étais pas venu là pour cela. Tassé dans le fond de mon fauteuil, écrasé par un poids invisible et qu’un esprit clair nommerait sans hésitation la frousse, j’ai ouvert le bec et fermé les yeux par un automatisme acquis dans mon enfance. Ouvert la gueule pour que le dentiste œuvre, fermé les yeux pour me protéger de la puissante lampe braquée sur moi et des deux visages penchés sur ma trogne. Oui, deux visages ! Car le dentiste est accompagné de son assistante, tous deux masqués derrière un léger voile blanc devant leur bouche, mais je les ai bien reconnus.
Retranché derrière mes paupières closes, j’ai entendu le spécialiste analyser la situation et me décrire le menu envisagé pour mon cas, puis les instructions données à son adjointe. Quand je dis menu, je pourrais dire carte, car je n’avais pas vraiment le choix en vérité. Des bruits métalliques derrière mon dos. C’est dans ce genre de moment que j’envie les gens sans imagination, car moi à cet instant précis j’étais déjà parti dans des délires liant souvenirs cinématographiques, lectures diverses, récits historiques, bref me venaient à l’esprit des séances de tortures au Moyen-âge, des interrogatoires musclés menés par des médecins nazis ou des souffrances infligées par des psychopathes retors.
Les yeux fermés, l’esprit embué d’images grotesques, les oreilles pleines de bruits dus à la roulette et à l’aspire-salive qui tous deux se disputaient la place dans ma pauvre gueule. Qu’est-ce qu’elle a ma gueule pour que tous ceux présents dans la pièce veuillent s’y retrouver et se la disputer ? Les mains crispées sur les accoudoirs, les doigts de pieds rétractés dans mes chaussures, les fesses serrées dans mon pantalon, réduit à trois fois rien au fond de mon fauteuil, j’étais la proie désarmée offerte à ces quatre mains expertes me fouaillant l’orifice. Je crois avoir songé à Sade durant un instant, mais je ne suis plus certain de rien.
Ca turbinait dur sur mes quenottes, des trucs solides giclaient sur mes gencives, des jus humides m’asphyxiaient à moitié, des crissements se répercutaient au plus loin de mon crâne, on n’était certainement pas loin d’une version réduite du creusement du tunnel sous la Manche. Assommé par cet environnement hostile autant que bruyant, j’étais entré dans une sorte de sommeil défensif, coma léger sensé me protéger du monde extérieur. Quand ce chahut s’est tu, j’ai eu du mal à émerger, pensant à une ruse de l’ennemi.
Mes vapeurs dissipées, l’assistante était déjà loin et le dentiste à son bureau m’attendait l’air goguenard. « Avertissement sans frais » a-t-il déclaré. C’était une dent de sagesse qui faisait une poussée de fièvre en poussant de travers, d’ici peu il faudra songer à l’extraire. En attendant, puisque je m’étais déplacé, il avait fait un détartrage profond. Et il attendu que je lui tende ma Carte Bleue, contredisant ainsi son péremptoire avis émis quelques minutes plus tôt. Je n’ai même pas grincé des dents quand j’ai lu le montant sur ma facturette, libéré de mon angoisse et de ma douleur, la vie m’a paru douce, ce qui n’a pas de prix.
D’abord on ne pense plus à lui et on ne lui rend plus visite. Ensuite quand un évènement mineur nous le remémore, on fait comme si ça allait passer tout seul et puis vient le moment fatidique où l’échéance évidente ne peut plus être repoussée ou ignorer. Une dent vous fait souffrir en plein week-end et vous n’avez plus qu’une seule envie, être au lundi et revoir en hâte votre dentiste. Qui l’eut crû ?
Etre heureux d’aller chez le dentiste, quand on en est à ce point, c’est que ça vous chatouille sérieusement. J’en étais là de mes réflexions quand la porte de la salle d’attente s’est ouverte et que mon nom a été appelé. A peine si j’ai reconnu les lieux, tant il y avait longtemps que je n’étais venu, d’ailleurs mon dentiste était parti à la retraite et sa remplaçante a fouillé dans les profondeurs de la mémoire de son ordinateur pour retrouver mon dossier.
Après une radio panoramique pour faire un état des lieux, je me suis installé dans le fauteuil. Le fameux fauteuil. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a le fauteuil du dentiste comme il y a le canapé du psychanalyste, chez l’un on soigne votre dent et chez l’autre votre dedans. Plutôt adepte des canapés et fauteuils moelleux, partisan convaincu de cette secte de flemmards, je ne suis pas un pratiquant assidu des fauteuils de dentistes. Pourtant question confort, il n’y a pas grand-chose à reprocher à ce meuble. Large, de bons accoudoirs, repose-pieds, inclinable à volonté, éclairage à giorno, l’idéal pour celui qui voudrait bouquiner ou faire une bonne sieste.
Sauf que je n’étais pas venu là pour cela. Tassé dans le fond de mon fauteuil, écrasé par un poids invisible et qu’un esprit clair nommerait sans hésitation la frousse, j’ai ouvert le bec et fermé les yeux par un automatisme acquis dans mon enfance. Ouvert la gueule pour que le dentiste œuvre, fermé les yeux pour me protéger de la puissante lampe braquée sur moi et des deux visages penchés sur ma trogne. Oui, deux visages ! Car le dentiste est accompagné de son assistante, tous deux masqués derrière un léger voile blanc devant leur bouche, mais je les ai bien reconnus.
Retranché derrière mes paupières closes, j’ai entendu le spécialiste analyser la situation et me décrire le menu envisagé pour mon cas, puis les instructions données à son adjointe. Quand je dis menu, je pourrais dire carte, car je n’avais pas vraiment le choix en vérité. Des bruits métalliques derrière mon dos. C’est dans ce genre de moment que j’envie les gens sans imagination, car moi à cet instant précis j’étais déjà parti dans des délires liant souvenirs cinématographiques, lectures diverses, récits historiques, bref me venaient à l’esprit des séances de tortures au Moyen-âge, des interrogatoires musclés menés par des médecins nazis ou des souffrances infligées par des psychopathes retors.
Les yeux fermés, l’esprit embué d’images grotesques, les oreilles pleines de bruits dus à la roulette et à l’aspire-salive qui tous deux se disputaient la place dans ma pauvre gueule. Qu’est-ce qu’elle a ma gueule pour que tous ceux présents dans la pièce veuillent s’y retrouver et se la disputer ? Les mains crispées sur les accoudoirs, les doigts de pieds rétractés dans mes chaussures, les fesses serrées dans mon pantalon, réduit à trois fois rien au fond de mon fauteuil, j’étais la proie désarmée offerte à ces quatre mains expertes me fouaillant l’orifice. Je crois avoir songé à Sade durant un instant, mais je ne suis plus certain de rien.
Ca turbinait dur sur mes quenottes, des trucs solides giclaient sur mes gencives, des jus humides m’asphyxiaient à moitié, des crissements se répercutaient au plus loin de mon crâne, on n’était certainement pas loin d’une version réduite du creusement du tunnel sous la Manche. Assommé par cet environnement hostile autant que bruyant, j’étais entré dans une sorte de sommeil défensif, coma léger sensé me protéger du monde extérieur. Quand ce chahut s’est tu, j’ai eu du mal à émerger, pensant à une ruse de l’ennemi.
Mes vapeurs dissipées, l’assistante était déjà loin et le dentiste à son bureau m’attendait l’air goguenard. « Avertissement sans frais » a-t-il déclaré. C’était une dent de sagesse qui faisait une poussée de fièvre en poussant de travers, d’ici peu il faudra songer à l’extraire. En attendant, puisque je m’étais déplacé, il avait fait un détartrage profond. Et il attendu que je lui tende ma Carte Bleue, contredisant ainsi son péremptoire avis émis quelques minutes plus tôt. Je n’ai même pas grincé des dents quand j’ai lu le montant sur ma facturette, libéré de mon angoisse et de ma douleur, la vie m’a paru douce, ce qui n’a pas de prix.