Le dernier livre de Jérôme Meizoz raconte ce difficile passage à la faveur de plusieurs récits, mis bout à bout, dont le narrateur est un garçon originaire d'un hameau isolé.
Si, en page 4, un peu au-dessus des informations relatives au copyright, il n'était pas indiqué qu'il s'agit d'une oeuvre de fiction, le lecteur pourrait prendre ce livre pour une oeuvre autobiographique tant l'auteur a visiblement puisé dans ses souvenirs personnels pour l'écrire à la première personne.
Chez Payot Lausanne, c'est la première phrase de l'ouvrage qui m'a incité à aller plus loin dans ma lecture. Elle est terrible:
"Quand ma mère s'est jetée sous le train, il a bien fallu trouver une femme de ménage."
Quand le narrateur parle de ses parents, il dit sobrement mère ou père, comme autrefois, ce qui crée automatiquement une distance.
Dans cette oeuvre de fiction, il n'est nulle part indiqué où se trouve précisément le hameau où elle se déroule. On sait seulement qu'il se trouve, en Suisse, puisque Nicolas de Flüe protège le pays, notamment de la guerre, et que beaucoup d'argent y dort, sans que l'on ne sache trop pourquoi...
On sait également que cette bourgade est située dans une région de montagne, où l'ombre pourrait s'avérer une richesse tout comme le soleil en est une dans d'autres contrées du monde, à condition, bien sûr, de savoir la vendre...
On sait enfin que ce hameau se trouve dans un canton catholique où "bien des fidèles déploraient ces messes qui n'en finissaient pas":
"Pour patienter, je considérais longuement Madame Vanier. Très grande, toujours dressée sur des talons interminables, les jambes gainées de nylon sombre, elle portait visage hâlé, des yeux faits au charbon et, aux mains, plusieurs pierres taillées."
Le narrateur - on le voit - n'est pas tendre avec la religion catholique. Le ton ironique qu'il emploie dans ses récits l'est en
effet encore davantage quand il en parle. Jusqu'à la facilité.
D'une religieuse qui sillonne à vélo le village il dit par exemple:
""Ma Soeur" n'a pas été livrée aux hommes, elle n'a pas eu la chair traversée, remplie. Elle n'a pas bourgeonné, le sang en elle ne s'est pas transformé. Elle reste sans relief, la peau fade mais le verbe conquérant, gratuit, votif."
De l'école dont le directeur est un chanoine qui porte robe noire, comme les femmes, et qui lui fait peur, il écrit qu'elle est une manière de prison, où l'on a pour but de dresser les élèves:
"Dès l'entrée du Collège, la cage se refermait sur nous. Paisibles, appliqués, domestiqués, tels nous devions paraître durant le temps réglementaire. A la porte attendait le directeur, sa haute taille prise dans une robe noire. Il avait mission de faire croître en nous l'homme et de chasser le jeune animal."
Mais le jeune animal n'est pas chassé bien loin. Viennent le troubler des images telles que celle de cette mère de famille folâtrant avec le jeune homme qui apprend l'escalade à son fils; celle de cette jeune femme, dans un documentaire télé, qui paye un homme pour la fouetter et qui crie (de plaisir ou de douleur?); ou celle de ces amoureux qui se bécotent à bouche-que-veux-tu dans le métro de la ville jusqu'au terminus.
Le narrateur n'oublie pas de faire figurer dans son tableau grinçant, peint à coups de plume simple mais efficace, les plaques minéralogiques des automobiles gérées par l'Etat ou le mauvais rêve d'un service militaire symbolisé par le fusil et le sac à dos portés sur le quai d'une gare, attributs sans lesquels on ne saurait être un homme.
On l'aura compris. Le narrateur n'est pas nostalgique d'une époque révolue. Mais, sous la critique, perce l'attachement qu'il éprouve pour son pays, qui ressemble comme deux gouttes d'eau au Valais natal de l'auteur. C'est pourquoi l'ironie qui est de mise dans ces cas-là n'est pas complètement négative. Elle sonne seulement comme le regret que cette époque révolue ne le soit pas encore tout à fait.
Francis Richard
Séismes, Jérôme Meizoz, 96 pages, Zoé