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Depuis toujours le capitalisme porte en lui la xénophobie

Publié le 26 juin 2013 par Lepinematthieu @MatthieuLepine

   C’est durant la seconde moitié du XIXe siècle, que l’essor puis le triomphe du système capitaliste s’opèrent en France. Ce changement va venir bouleverser les équilibres économiques et sociaux et transformer le monde du travail (recherche du profit, rationalisation du travail, mise en concurrence des travailleurs…).

Avec la révolution industrielle, la France ne possédant pas une population active suffisante, les besoins en main d’œuvre étrangère vont être importants. Comme aujourd’hui, les travailleurs immigrés sont appelés à venir occuper les emplois que les français, les jugeant trop exténuant ou dégradant, n’ont pas voulu occuper. Cette main d’œuvre, essentiellement composée de populations pauvres fuyants la misère et le chômage dans leur pays (Italie, Belgique…), est une aubaine pour les chefs d’entreprise. En effet, exploités car prêts à endurer des conditions de travail précaires, les ouvriers étrangers sont mis en concurrence avec les travailleurs locaux, notamment afin de faire baisser les salaires de ces derniers.

Durant le dernier quart du XIXe siècle, l’Europe va cependant être touchée par la première grande crise du système capitaliste. Comme celle que nous traversons actuellement, elle va provoquer une montée du chômage et être créatrice de frustrations, de désarroi et de colère. Les travailleurs immigrés vont être montrés du doigt et désignés comme seuls responsables. Cette situation va intensifier, voir même parfois générer les violences xénophobes de l’époque.

En 1881 à Marseille¹, des affrontements violents vont opposer ouvriers français et ouvriers italiens. Trois personnes trouveront la mort. En 1892 à Drocourt² (Pas-de-Calais), des ouvriers français vont violemment agresser des mineurs belges, leur reprochant notamment d’accepter des salaires inférieurs aux leurs. Ils seront plus d’un millier à devoir quitter précipitamment la France avec leurs familles. C’est en 1893, que sera cependant atteint le paroxysme des violences xénophobes, avec le massacre des ouvriers agricoles italiens d’Aigues-Mortes³.

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Aux origines du massacre d’Aigues-Mortes, la mise en concurrence d’ouvriers français et étrangers

   En 1868, un groupement de propriétaires possédant la quasi-totalité des marais salants d’Aigues-Mortes (Gard) se transforme en une société par actions, la Compagnie des salins du Midi (CSM). Cet événement marque selon Gérard Noiriel4, « l’irruption des rapports de production capitalistes » dans la région. Rapidement, cette société va détenir le monopole de la production et du transport du sel.

Ne disposant pas d’une main-d’œuvre locale suffisante, elle va devoir faire appel à des ouvriers agricoles venus d’ailleurs, plus particulièrement des zones montagneuses d’Italie du nord et du centre. En effet, ce pays voisin est à l’époque fortement touché par la crise. Le chômage y est important et une grande partie de la population est plongée dans la misère.  Cette situation offre à la Compagnie des salins du Midi (CSM) l’opportunité de recruter une main d’œuvre peu exigeante prête à supporter des conditions de travail difficiles.

Durant l’été, période de la récolte du sel5, Aigues-Mortes est en effervescence. Près de 2000 ouvriers saisonniers sont à l’époque recrutés. Aux cotés des italiens, on trouve des ouvriers venus des zones montagneuses de France ou encore des chômeurs et des vagabonds venus de tout le pays, ceux que Gérard Noiriel présente comme « les laissés-pour-compte du capitalisme ».

Tous ne sont pas affectés aux mêmes tâches. Si le transport du sel est en général effectué par la main d’œuvre locale, le ramassage, opération la plus pénible, est lui accompli par les ouvriers italiens (1/3 des effectifs). Cherchant à sortir coûte que coûte de la misère ceux-ci acceptent plus facilement des tâches pénibles (journée de travail de plus de 12h, chaleurs importantes, paiement au rendement…).

Cependant, la polémique sur le travail des ouvriers immigrés en pleine période de crise et donc de baisse des effectifs de saisonniers, va pousser la CSM à changer sa logique de recrutement. Ainsi des français, choisis parmi les ouvriers les plus démunis (chômeurs…), vont être intégrés dans les équipes italiennes de ramassage du sel. C’est dans ces équipes « mixtes » que de violents affrontements vont se produire en août 1893.

 

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La triste histoire d’un conflit entre exploités

   Au matin du 16 août 1893, de vives tensions6 vont éclater dans des salins à 8 kilomètres d’Aigues-Mortes. Ne supportant pas la cadence imposée par les italiens, habitués à ce type de tâche, les ouvriers français vont être rapidement dépassés. Cependant, la paie est collective, elle se base sur le rendement de l’ensemble de l’équipe.

Entre les français, vexés de ne pas tenir la cadence, et les italiens, pour qui l’enjeu économique est crucial, des conflits vont alors apparaître. La mise en concurrence de ces travailleurs va aboutir à des provocations7, des disputes et des bagarres entre eux.

 Plus nombreux, les italiens vont prendre le dessus sur les ouvriers français lors d’affrontements dans les marais salants. Ceux-ci vont cependant décider de retourner en ville, afin de « chercher des renforts et de se venger ». Là-bas, ils vont tomber sur de nombreux ouvriers frustrés de ne pas avoir été recrutés par la CSM. Associés à leur désarroi, les événements du début de journée dans les salins, vont suffire à les convaincre de chasser les ouvriers italiens. Ainsi, rejoints par une partie des aiguemortais8, ils vont être plusieurs centaines jusqu’au lendemain après-midi, armés de marteaux, de manches de pelle ou encore de fusils, à parcourir la ville et les marais à leur recherche. « Vive la France », « mort aux italiens » scanderont certains d’entre-deux.

C’est le 17 août que les scènes de lynchage seront les plus violentes. Cette chasse à l’italien fera selon les sources, entre 7 et 17 morts. Pour Gérard Noiriel, « en mettant en concurrence des ouvriers de toutes provenances pour faire baisser les salaires, la Compagnie des salins du Midi a effectivement créé les conditions de cette tuerie ». Pour l’historien, le désarroi des laissés pour compte du capitalisme (ouvriers au chômage, vagabonds…) s’est transformé en violence ce jour-là. Leur colère ne visait pas les italiens selon-lui, mais ce système qui les avait mis de coté et ne leur donnait pas de place.

 Une mobilisation contre la CSM éclatera d’ailleurs plus tard, lorsque celle-ci, craignant que ce type de situation se répète, fera « mécaniser le levage du sel de façon à réduire le nombre des ouvriers recrutés pour la récolte ».

   Toute sa vie, Jaurès a tenté de faire comprendre à la classe ouvrière, que « les ouvriers sont fragilisés par leur division en nationalités et en races9 ». Ceci, le capitalisme l’a depuis toujours intégré. Les violences xénophobes de la fin du XIXe et plus particulièrement le massacre d’Aigues-Mortes en témoignent. Le capitalisme a tout intérêt à ce que les immigrés soient désignés comme responsables du chômage et des difficultés des français. En ce sens, en tapant sans cesse sur les étrangers plutôt que sur le capital, le Front national démontre sa vraie nature, celle d’un parti nationaliste, xénophobe et capitaliste.

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¹ Gérard Noiriel, Le creuset français : histoire de l’immigration XIXe-XXe siècle, Seuil, 2006.

² Gérard Noiriel, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle : Discours publics, humiliations privées), Fayard, 2007.

³ Gérard Noiriel, Le massacre des Italiens : Aigues-Mortes, 17 août 1893, Fayard, 2010 (c’est de cet ouvrage que sont tirées la plupart des informations ici présentées).

4 Historien français, spécialiste de l’histoire de l’immigration en France.

5 L’été, les chaleurs permettent l’évaporation de l’eau de mer.

6 Des rixes avaient déjà eu lieu quelques jours plus tôt.

7 Un ouvrier italien va par exemple laver « ses chaussures pleines de sel dans l’eau potable » des français.

8 Il est important de noter que certaines personnes ont protégé et même caché des italiens, leur évitant ainsi d’être lynchés. La solidarité et le courage étaient donc eux aussi présent à Aigues-Mortes en août 1893.

9 Jean Jaurès, Discours en Amérique latine, Editions Bruno Leprince, 2010.


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