Au temps jadis où j’étais encore un gamin en culotte courte, le mercredi se trouvait décalé au jeudi. Lorsque vous aviez la chance de n’avoir pas été convié à réviser les tables de multiplication à l’école sous le prétexte que vous aviez laissé votre esprit vagabonder en regardant les cumulo-nimbus défiler devant la fenêtre, vous aviez, comme on dira plus tard à la caserne, "quartier libre". Les fils de paysans allaient alors garder les chèvres, les vaches ou cueillir des cerises pour les vendre sur le marché le samedi suivant. Ceux dont le père n’était que menuisier, pensionné de guerre ou représentant de commerce se rendaient au catéchisme avec la mère du curé. L’après-midi était réservé à la liberté. Une liberté qui restait malgré tout très surveillée. La plupart des habitants du village semblaient manifestement profiter de ce jour là pour se baguenauder dans les champs. Les veuves y cueillaient l’herbe pour leurs lapins. Les boiteux arpentaient gaillardement les chemins creux à la recherche de myrtilles. Et les mères de jeunes enfants les sortaient en poussette dès le premier rayon de soleil pour leur "faire prendre le bon air des arbres". A la campagne, il y avait toujours quelqu’un quelque part à épier innocemment son voisin ou sa voisine. Il fallait bien alimenter les ragots. Le curé lui-même, avec la complicité des parents qui se débarrassaient ainsi d’une progéniture exubérante et pleine de vie, organisait le patronage. Et c’étaient des courses échevelées dans la lande à la recherche d’un trésor hypothétique puis des batailles homériques pour s’en emparer Il en résultait souvent un bleu par ci ou une éraflure par là et plus souvent encore des égratignures aux coudes et aux genoux. Il était cependant bien facile de s’écarter du groupe. Qui allaient fumer un bout de sureau en cachette derrière une haie d’aubépine ou s’exerçaient au lance-pierre sur les nids de pies au sommet des bouleaux. Qui espionnaient la fille de l’épicier bécotant joyeusement le commischarcutier dans l’arrière-cour du magasin. Qui, rigolards, épiaient ce grand dadais de fils du notaire lutinant maladroitement l’apprentie coiffeuse dans l’ombre complice des noisetiers. Nous apprenions la vie en "live", comme on dit aujourd’hui, loin de la télévision, d’internet et des consoles de jeu électronique. Et c’était un avantage certain pour les petits campagnards qui débarquaient, mal dégrossis, dans les cours de récréation des collèges. Ils hésitaient peut-être à traverser la rue au milieu de la circulation mais ils savaient des "choses" que les petits citadins ne découvriraient que bien plus tard. De nos jours, les enfants sont tous égaux. Il n’y a plus d’enfants des villes ou d’enfants des champs. Il n’y a que desenfants de la moquette. (Lire "La ballade du sauvageon" de Jean Pradinas aux Éditions de la Veytizou)
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