Lors de la formation des Experts de Justice tenue à Saint-Martin, ce sujet a été évoqué. Voici l'opinion de Maître Patrick de Fontbressin. Avis que je partage.
Mission d'expertise judiciaire et prestations de maîtrise d'œuvre: les mots sont piégés et le diable se cache dans les détails par Maître Patrick de Fontbressin
La règle d'or de l'expert commis par une juridiction de l'ordre judiciaire consiste à se rappeler en toutes circonstances que conformément aux dispositions de l'article 238, alinéa 1, du Code de procédure civile : "Le technicien doit donner son avis sur les points pour l'examen desquels il a été commis".
En un mot, on peut la résumer ainsi : la mission, toute la mission, rien que la mission. Mais, en particulier dans la branche BTP de l'expertise judiciaire, le piège des mots peut se refermer sur le technicien, en dépit de son souci de se conformer rigoureusement à ce précepte : dans certaines circonstances, il se trouvera confronté à des situations à fort potentiel de risque.
La première de celles-ci apparaîtra lorsque les termes de la mission seront tels qu'il sera demandé à l'expert de donner un avis sous forme de ''préconisation".
La seconde apparaîtra lorsqu'il sera question de "vérification" par l'expert de travaux ou de bonne fin de travaux induisant un contrôle (voire même une "direction générale de travaux") et une prise de responsabilité qui ne sont plus du ressort d 'une mission d 'expertise, mais, de par leur nature même, d 'une mission de maîtrise d'œuvre.
Il y a lieu de souligner ici que la responsabilité liée à des prestations s'apparentant à des prestations de maîtrise d'œuvre, même accomplies dans le cadre d'une mission d'expertise de justice, peut faire l 'objet d'une réserve de garantie de la part de l'assureur.
Or, à l'inverse de la pratique de la procédure administrative où l'expert dispose d 'une plus grande marge de manœuvre sans que sa responsabilité en découle, hormis le cas de fau te personnelle qualifiable de "faute détachable" , il n'en est pas de même au titre des expertises diligentées devant les juridictions de l'ordre judiciaire.
Aussi, laisser planer dans les termes d'une mission d'expertise une quelconque ambiguïté pouvant mener à une maîtrise d'œuvre potentielle peut être la source, si cette ambiguïté n'est pas levée par l'expert, d'une responsabilité pour la quelle il n'est pas assuré et dont il pourra être amené à répondre sur ses biens propres, parfois bien des années après le dépôt de son rapport...
Dès lors, contrairement à la célèbre formule "dans le doute, abstiens-toi" , l'expert ne devra jamais s'abstenir, dès sa saisine, d'informer le juge et les parties de toute difficulté liée aux termes de sa mission et de nature à mener à des dérives dangereuses, pour que ces termes puissent éventuellement être rectifiés contradictoirement. Il ne manquera pas non plus d 'évoquer cette démarche dans le corps de son rapport, et ce sans laisser subsister aucune équivoque : on ne le dira jamais assez, l 'expert n 'est en aucun cas un maître d 'œuvre, fut-il architecte ou ingénieur dans son activité principale.