La liberté de créer des associations est constitutionnellement garantie en vertu des articles 41 et 43/1 de la Constitution algérienne du 28 novembre 1996, ainsi que dans les Constitutions antérieures (art. 19 de la Constitution de 1963, art. 56 de la Constitution de 1976 et art. 39 de la Constitution de 1989).
Les conditions et les modalités de création des associations sont, toutefois, définies par la loi. Ainsi stipulé dans le troisième alinéa de l'article 43 de la Constitution de 1996. C'est dans
cet esprit que le législateur algérien a adopté pour la première fois la loi n° 87-15 du 21 juillet 1987 relative aux associations abrogée quelques années plus tard par la loi n° 90-31 du 4
décembre 1990 qui fut également abrogée par la loi n° 12-06 du 12 janvier 2012 (ci-après la loi). Cette dernière fera l'objet d'une brève analyse critique dans la présente contribution. Comme
point de départ, il convient de souligner que la loi en question ne se contente pas de déterminer les conditions et les modalités de création des associations comme le prévoit l'article 43/2
précité, elle fixe plutôt la portée et l'étendue de la liberté d'association. D'ailleurs, l'article premier de cette loi souligne bien son objet qui est de déterminer les conditions et les
modalités de constitution, d'organisation et de fonctionnement des associations. D'une manière encore plus remarquable, en disposant que «la liberté d'association s'exerce dans le cadre de la
loi», les termes de l'article 56 de la Constitution de 1976 semblent être plus significatifs à cet égard. Ainsi, par un jeu de renvoi et en application des dispositions de l'article 122/1 de la
Constitution, le droit des associations relève du domaine du législateur. A la lecture des dispositions de la loi relative aux associations, il est remarquable que l'initiative et la liberté
associative se sont vu opposer des limites et des restrictions quant aux conditions et modalités de création (I), ainsi qu'en ce qui concerne leur action (II).
I - La création des associations sous l'autorité de l'administration :Contrairement aux associations nationales, les associations étrangères sont créées suivant des conditions et
des modalités spécifiques plus rigoureuses.
1- La création des associations nationales :
L'assemblée générale constitutive d'une association est constatée par un procès verbal d'un huissier de justice. Le président de l'association ou son représentant procède au dépôt de la
déclaration constitutive de l'association accompagnée d'un dossier comportant les pièces mentionnées par l'article 12 auprès de l'administration compétente (l'Assemblée populaire communale, la
wilaya ou, le cas échéant, le ministère de l'Intérieur). Celle-ci disposent, en vertu de l'article 8/2, d'un délai pour examiner la conformité du dossier avec la présente loi. Un délai de 30
jours pour l'Assemblée populaire communale, en ce qui concerne les associations communales, 40 jours pour la wilaya, en ce qui concerne les associations de wilaya, 45 jours pour le ministère
chargé de l'intérieur, en ce qui concerne les associations inter-wilayas, et enfin 60 jours pour le ministère chargé de l'Intérieur, en ce qui concerne les associations nationales. Au cours de ce
délai, l'administration concernée est tenue, soit de délivrer un récépissé d'enregistrement ayant valeur d'agrément soit de prendre une décision de refus (art. 8/3). Le silence de
l'administration vaut, en revanche, agrément de l'association (art. 11). En cas de refus de délivrance d'un agrément, l'administration compétente doit motiver sa décision par le non-respect des
dispositions de la présente loi (art. 10/1). Au vu de ce qui précède, il y a lieu d'observer d'ores et déjà que l'administration compétente peut rejeter une déclaration constitutive d'une
association pour non seulement des motifs administratifs, c'est-à-dire la présentation d'un dossier incomplet au sens des articles 4, 5, 6 et 7, mais également en raison d'autres motifs d'une
nature politique dans le cadre de l'exercice de son pouvoir d'appréciation. Cependant, force est de constater que le refus pour la première catégorie de motifs est exclu ab initio par la loi
elle-même, puisque l'article 8/1 impose à l'administration destinataire d'une déclaration constitutive d'une association la vérification contradictoire immédiate des pièces du dossier avant de
délivrer un récépissé de dépôt. Il ne reste plus alors qu'à examiner la deuxième catégorie de motifs. Il ressort de la lecture de l'alinéa 4 de l'article 2 que l'administration pourrait invoquer,
afin de motiver sa décision de refus, la non-conformité de l'objet de l'association projetée avec «l'intérêt général», «les constantes et valeurs nationales», «l'ordre public», ou encore «les
bonnes mœurs». Or, force est de constater qu'une décision de refus d'agréer une association ainsi justifiée pourrait revêtir un caractère arbitraire en raison de la nature tellement vague des
motifs de refus qui pourraient être employés. Des formules de ce genre équivalent même une absence de motivation d'une mesure quelconque, pour reprendre une jurisprudence de la Cour
internationale de justice dans son arrêt du 30 novembre 2010 concernant l'affaire Ahmadou Sadio Diallo. Dans pareils cas, l'association bénéficie d'un délai de trois mois pour intenter une action
en annulation de la décision de refus soit devant le tribunal administratif territorialement compétent pour les décidions de refus émanant du président de l'APC ou du wali soit devant le Conseil
d'Etat pour les décisions de refus du ministère de l'Intérieur. Si par contre une décision est prononcée en faveur de l'association, l'administration concernée est tenue de lui délivrer
obligatoirement un récépissé d'enregistrement. En contrepartie, l'administration dispose, aux termes du troisième alinéa de l'article 10, assez curieusement d'un délai de trois mois, à compter de
la date d'expiration du délai qui lui est imparti, pour intenter une action en annulation de la constitution de l'association devant la juridiction administrative compétente. Cette possibilité
offerte à l'administration est empreinte d'ambiguïtés. En effet, on s'interroge sur la nature de l'action que l'administration pourrait intenter en l'espèce. S'agit-il d'une action en annulation
de la décision administrative portant constitution d'une association qu'elle a elle-même prise sous l'injonction du juge administratif ? Quoique les termes de l'article 10/3 se lisent
favorablement à cette approche, on ne saurait l'admettre. Ou s'agit-il plutôt de l'exercice par l'administration d'une des voies de recours contre la décision de la juridiction administrative
compétente ? Rien n'est moins sûr. Si tel est le cas, le législateur aurait dû se contenter d'indiquer que les décisions des juridictions administratives en la matière sont susceptibles des voies
de recours prévues par le Code de procédure civile et administrative. Plus problématique, l'alinéa 3 de l'article 10 qui considère que le recours de l'administration n'est pas suspensif de
l'exécution de la décision du juge administratif d'attribuer un agrément à l'association. Cette situation pourrait conduire à des effets indésirables si une décision d'annulation de l'agrément
était prononcée par le juge administratif. Ainsi, une association nouvellement agréée se voit annuler son agrément.
2- Les associations étrangères :
La création d'une association étrangère est soumise à un régime spécial. En effet, deux conditions doivent être réunies pour qu'une association ayant un siège à l'étranger ou dirigée totalement
ou partiellement par des étrangers en situation régulière vis-àvis de la législation en vigueur soit autorisée à s'établir sur le territoire national (art. 59). En premier lieu, l'agrément
préalable du ministre de l'Intérieur, après avis du ministre des Affaires étrangères et du ministre chargé du domaine d'activité de l'association (art. 61). En second lieu, la demande d'agrément
d'une association étrangère doit s'inscrire dans le cadre de la mise en œuvre d'une politique de coopération intergouvernementale préalablement exprimée dans des dispositions d'un accord entre le
gouvernement algérien et le gouvernement du pays d'origine de l'association (art. 63). Ce qui signifie que les associations étrangères – supposées être libres et indépendantes – sont réduites à
un moyen d'exécution d'une politique interétatique. En vertu de l'article 61, le ministre de l'Intérieur dispose d'un délai de 90 jours pour accorder ou refuser l'agrément de l'association
étrangère. La décision de refus est susceptible de recours en annulation devant le Conseil d'Etat (at. 64). Curieusement, les dispositions des articles 61 et 64 ne font aucune mention à ce que la
décision de refus soit motivée. Ce qui laisserait entendre que le ministre de l'Intérieur pourrait rejeter une demande de création d'une association étrangère en raison de deux motifs de nature
différente. Premièrement, le non-respect des dispositions de l'article 62 relatives aux pièces constitutives du dossier, ainsi que la création d'une association étrangère en dehors de tout accord
de coopération intergouvernementale suivant les dispositions de l'article 63 précité. Deuxièmement, en application des dispositions générales du titre premier de la loi sur les associations, il
semble que le ministre chargé de l'intérieur pourrait rejeter une demande d'agrément d'une association étrangère en faisant valoir les dispositions du deuxième alinéa de l'article 4, c'est-à-dire
la contradiction de son objet et son but avec l'intérêt général, les constantes et les valeurs nationales, l'ordre public et les bonnes mœurs. Les associations étrangères peuvent, à l'instar des
associations nationales, faire l'objet de sanctions de la part de l'administration, le ministre de l'Intérieur en l'occurrence, allant de la suspension de leurs activités pour une durée
n'excédant pas une année jusqu'au retrait de leur agrément entraînant leur dissolution (arts. 65 et 68). Cependant, à la lecture des dispositions de l'article 65, il est clair que les motifs de
telles sanctions, à l'exception du cas d'exercice d'activités autres que celles prévues dans leurs statuts, ainsi que le choix entre l'une ou l'autre relèvent indubitablement du seul pouvoir
discrétionnaire du ministre de l'Intérieur. Une association étrangère est suspendue ou dissoute pour plusieurs raisons qu'il convient de citer in extenso ; en cas d'ingérence caractérisée dans
les affaires intérieures, ou en cas d'exercice d'activités de nature à porter atteinte à la souveraineté nationale, l'ordre institutionnel établi, l'unité nationale, l'intégrité du territoire
national, l'ordre public, les bonnes mœurs, et les valeurs civilisationnelles du peuple algérien. De plus, contrairement aux associations nationales (art. 41/1), l'agrément d'une association
étrangère est suspendu ou retiré systématiquement sans aucune mise en demeure préalable. En tout état de cause, la décision du ministre de l'Intérieur portant la suspension ou la dissolution
d'une association étrangère est susceptible de recours en annulation devant le Conseil d'Etat. Telles sont grosso modo les conditions et les modalités de création d'une association. Pour ce qui
est des associations créées sous l'empire de la loi n° 90-31 du 4 décembre 1990, elles sont tenues de se conformer aux dispositions de la nouvelle loi sous peine de dissolution (art.
70).
II- L'action des associations sous la «tutelle» de l'administration :
A travers la nouvelle loi, le législateur a renforcé les pouvoirs de l'administration envers les
associations soumises à un contrôle étatique de plus en plus rigoureux. Les aspects de ce régime restrictif de l'action des associations sont identifiables à plus d'un titre. En premier lieu, les
associations sont tenues de transmettre, à l'issue de chaque assemblée générale ordinaire ou extraordinaire, à l'autorité publique compétente, une copie du procès-verbal de la réunion dans les
trente jours qui suivent leur adoption (art. 19), sous peine d'une amende en application de l'article 20, ou encore de la suspension de son activité pour une période n'excédant pas six mois
conformément aux articles 40 et 41. En second lieu, les associations nationales ne peuvent adhérer à des associations étrangères poursuivant les mêmes buts ou des organisations non
gouvernementales internationales ou coopérer avec celles-ci dans un cadre de partenariat qu'avec l'accord préalable de l'autorité administrative compétente (arts. 22/1 et 23/2). Plus exactement,
après avoir requis l'avis du ministre des Affaires étrangères, le ministre de l'Intérieur se réserve un délai de soixante jours pour faire connaître sa décision motivée (art. 22/2 et 3). Le refus
pourrait être une fois de plus justifié par des motifs politiques dans le cadre de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'administration : le non-respect des valeurs et des constantes
nationales (arts. 22/1 et 23/1). En cas de rejet, la décision du ministre de l'Intérieur est cependant susceptible de recours devant la juridiction administrative compétente qui doit statuer sur
le projet d'adhésion ou de partenariat dans un délai de trente jours (art. 22/4). En troisième lieu, les associations ne peuvent recevoir des fonds provenant des légations et organisations non
gouvernementales étrangères en dehors d'une relation de coopération établie et sans l'accord préalable de l'autorité publique compétente (art. 30). Autrement dit, le financement étranger d'une
association est soumis à un double accord préalable ; le premier concerne la coopération avec les associations et organisations étrangères (art. 23/2), le second est relatif à la possibilité de
recevoir de leur part des dons en espèces ou en nature. Quoique l'article 30/2 se borne de préciser l'autorité compétente de délivrer cet accord, il semble que cela est du ressort du ministre de
l'Intérieur. Le non-respect de ces conditions entraîne la suspension de l'activité de l'association concernée pour une période qui ne dépasse pas six mois (arts. 40 et 41), ou sa dissolution par
une action intentée de la part de l'administration concernée devant la juridiction administrative compétente (art. 43).
Conclusion :
Suite aux événements qui ont secoué le monde arabe, le pouvoir a vite annoncé et promis une série de réformes politiques. C'est dans ce contexte que la loi
n°12-06 du 12 janvier 2012 relative aux associations a été adoptée et mérite d'être appréhendée. Cependant, force est de constater que la démarche du législateur algérien s'inscrit dans une
optique purement policière et vient au contraire renforcer davantage la dépendance et la subordination des associations à l'administration. Il en ressort clairement que la philosophie de la cette
loi est, au demeurant, aux antipodes des aspirations même des acteurs de la société civile en quête d'une plus grande ouverture du champ associatif. La création, l'action et la survie des
associations à caractère national ou étranger dépendent de la volonté des pouvoirs publics qui se sont vu octroyer par la nouvelle loi relative aux associations un statut de «tuteur» de la
société civile. Ainsi, l'agrément d'une association, son activité régulière, sa suspension ou sa dissolution demeurent, entre autres, du domaine exclusivement réservé à l'administration. En
outre, les actions en annulation qui peuvent être intentées contre les décisions de l'administration ont des chances minimes d'aboutissement, et ce, en raison de la nature excessivement
discrétionnaire des prérogatives qu'exercent les pouvoirs publics en l'espèce.
Par Sam Lyès, enseignant à la faculté de droit UMMTO