Furieuse, Anya sortit en trombe de la chambre. Il était hors de question qu’elle reste une minute de plus à écouter Goran lever le voile sur les secrets de famille. Après les révélations sur son ancêtre, apprendre l’existence de ce grand-père qu’elle avait cru mort avant la naissance de son père était le mensonge de trop. Elle dévala les escaliers à toute vitesse ignorant les appels de Goran qui tentait vainement de la rattraper. Alors qu’elle se trouvait sur le seuil, sur le point de sortir de la maison, la porte se referma brutalement devant elle. Malgré toutes ses tentatives, la jeune femme ne parvint pas à l’ouvrir. De rage, elle donna un violent coup de pied dans la porte avant de se retourner vers le sorcier resté au bas des marches :
- Laissez-moi sortir d’ici ! fulmina-t-elle.
- Vous n’irez nulle part tant que je n’aurai pas terminé, insista-t-il.
- Et que comptez-vous m’apprendre d’autre ? Vous voulez m’expliquez pourquoi vous avez abandonné Waleda pour suivre ceux qui venaient de tuer sa grand-mère ? Je suis désolée mais je ne veux pas entendre vos piètres excuses.
Le vieil homme la dévisagea froidement et inspira profondément pour ne pas perdre son calme. Ils s’affrontèrent un moment du regard tant et si bien qu’aucun des deux ne remarqua la présence de Noura en haut des escaliers. La jeune femme descendit quelques marches avant de s’asseoir à mi-chemin, le souffle court, sur l’une d’entre elles. Affectée par cette révélation et par l’affrontement entre Goran et sa sœur, elle peinait de plus en plus à contenir ses émotions décuplées par sa nouvelle condition de vampire.
- Parce que vous croyez vraiment que c’est ce qu’il s’est passé ? Que je suis parti en les abandonnant ? reprit-il en s’approchant de la jeune femme. Il ne vous est pas venu à l’esprit que Waleda était peut-être partie pour fuir le conseil et que je n’étais pas au courant pour l’enfant qu’elle portait.
- Je ne vous crois pas : Waleda ne se serait jamais enfuie.
Goran lâcha un ricanement las :
- C’est ironique comme l’histoire se répète car il me semble que vous n’avez fait ni plus ni moins. Je serais curieux de voir comment vous allez vous y prendre pour révéler la vérité à votre fils sur ses origines et sur son vrai père.
De colère, elle leva la main pour le gifler mais Goran arrêta son mouvement en lui saisissant promptement le poignet :
- Vous avez largement dépassé les limites de ce que je peux supporter, Anya ! Faites attention.
- Je ne vous permets pas de…
Elle n’acheva pas sa phrase. Ses propos furent interrompus par le bruit assourdissant des portes et des fenêtres qui s’étaient soudainement mises à vibrer de manière inquiétante. Anya regarda, interloquée, autour d’elle pour comprendre ce qui se passait. L’attention de Goran, en revanche, se porta immédiatement sur Noura. Recroquevillée sur les marches, la tête posée sur les genoux, ses mains enserraient fermement sa tête comme si ce geste anodin pouvait contenir ses pouvoirs qui prenaient, une fois de plus, le pas sur sa volonté.
- Sortez d’ici Anya, ordonna Goran d’une voix calme mais ferme.
- Non, il en est hors de question ! s’entêta la jeune femme en faisant un pas pour rejoindre sa sœur.
Mais avant qu’elle ait pu faire un pas de plus, elle entendit la porte d’entrée s’ouvrir violemment et se sentit irrémédiablement attirée au dehors. Elle atterrit sans ménagement sur les pierres du perron et eut simplement le temps de voir le sorcier faire un geste en direction de la porte avant que celle-ci ne se referme brutalement devant elle.
A l’intérieur, les vibrations se firent de plus en plus intenses et semblaient donner vie à la vieille bâtisse. Le vieil homme s’approcha prudemment et s’agenouilla face à la sorcière.
- Regardez-moi Noura, demanda-t-il doucement en relevant la tête de la jeune femme.
- Enlevez-les moi … Retirez-les moi comme vous l’avez fait pour Anya. Je ne les maîtrise pas, ce sont eux qui me contrôlent, supplia-t-elle en larmes.
Devant le visage désemparé de sa petite fille, le vieil homme se sentit prendre toute contenance.
- Je ne peux pas malheureusement. Vos pouvoirs dépassent largement les miens. Mais je peux vous apprendre à les maîtriser. Mais pour cela vous devez me faire confiance et vous détendre.
Noura acquiesça vigoureusement de la tête pour signifier son accord. Rassurée par la présence et la bienveillance du vieil homme, la jeune femme s’apaisa et le calme revint peu à peu dans la maison.
Dehors Anya, morte d’inquiétude, faisait les cents pas devant la maison depuis des heures. Elle tendait régulièrement l’oreille pour tenter de percevoir un quelconque bruit mais il régnait à l’intérieur de la maison un silence absolu. A bout de patience, elle s’apprêtait à tenter une fois de plus d’ouvrir la porte lorsqu’une voix derrière elle la fit sursauter.
- Qu’est-ce que tu fais dehors au beau milieu de la nuit ? demanda Elijah en montant les marches du perron.
- Où étais-tu passé ? Tu es parti depuis des heures ! lui reprocha-t-elle.
Le vampire se raidit et serra les dents pour dissimuler son impatience :
- Je vais tâcher d’ignorer le ton de reproche que tu viens de prendre et mettre ta remarque sur le compte de ton inquiétude au sujet d’Anton qui, je te rassure, a toujours sa tête sur les épaules.
La jeune femme baissa la tête confuse.
- Je suis désolée, bredouilla-t-elle. Mais je suis à bout de nerf. Ils sont là dedans depuis des heures. Et j’aimerais bien savoir ce que cet homme est en train de faire avec ma sœur.
- Quel homme ? demanda Elijah un peu trop vivement pour paraître indifférent.
Anya tenta de percer, au travers de l’obscurité, l’expression qu’elle devinait sur le visage du vampire et esquissa un sourire moqueur.
- Je vais tâcher d’ignorer le ton emprunt de jalousie que tu viens de prendre et mettre ta remarque sur le compte de ton inquiétude au sujet de Noura qui, je te rassure, se trouve en ce moment avec son tout nouveau grand –père.
Elijah émit un raclement de gorge pour cacher son embarras :
- Et qu’as-tu fais pour être congédier de la réunion de famille ? lança-t-il pour détourner l’attention et surtout pour faire disparaître ce sourire qui le mettait mal à l’aise.
- Goran et moi avons eu, comme qui dirait, une légère altercation et Noura l’a pris …un peu vivement, minimisa-t-elle.
- Oh misère! lâcha Elijah qui revit soudain défiler toutes les catastrophes provoquées par la sorcière en quelques jours seulement.
Il laissa un regard inquiet se promener sur la façade de la maison.
- Pas de vitres brisées, pas d’incendie, pas tempête… Je dirais que c’est plutôt bon signe, constata-t-il dans un élan d’optimisme.
-… ou alors elle l’a tué… Et ça, ce serait plutôt une bonne chose, enchaîna-t-elle.
Elijah fronça les sourcils et retourna face à la jeune femme :
- Je peux savoir quel est ton problème Anya ? Il est là pour vous aider, je te rappelle, la réprimanda-t-il.
- Nous n’avons pas besoin de lui. On a toujours réussi s’en sortir très bien toutes seules ! reprit-elle, butée.
- Oui….bel exemple de réussite, lâcha-t-il amèrement avant de descendre les marches du perron et de se diriger vers les jardins en friche qui entouraient la maison.
- Je peux savoir ce que tu sous-entends exactement ? l’interrogea-t-elle en lui emboîtant le pas.
Elijah s’arrêta brusquement et se tourna vers la jeune femme en croisant les bras sur la poitrine.
- Voyons voir…. Par où commencer ? Je passerai sur cette malédiction qui nous a créés parce qu’il est vrai que sans toi nous ne serions plus là. Commençons plutôt par ton obsession à vouloir nuire à l’homme que tu aimais en lançant cette malédiction, en t’enfuyant avec son enfant, en essayant de le berner par un sort complètement insensé. Tout cela a assez duré Anya !
- Ce sera terminé lorsque Klaus sera hors d’état de nuire, reprit-elle.
- Quel qu’en soit le prix ? Tu as déjà perdu Waleda, tu faillis perdre Noura et elle subit encore les conséquences de ton obstination. Qui sera le prochain : tes enfants, ton mari ? continua-t-il impitoyable.
Blessée par les paroles du vampire, elle se détourna vivement pour dissimuler les larmes qui lui brouillaient la vue et qu’elle n’arrivait pas à contenir.
- Je suis désolé Anya, s’excusa Elijah, touché par la peine qu’il venait de causer à la jeune femme et qu’il n’avait pas vu si désemparée depuis cette nuit où Klaus avait tué son père.
- Tu n’as pas besoin de me rappeler que tout est de ma faute, Elijah. Je ne le sais que trop bien, murmura-t-elle.
Elijah hésita un moment puis reprit :
- J’ai réussi à convaincre Klaus de vous rendre le grimoire. Mais en contrepartie, il veut savoir la vérité sur le sang des Petrova qui doit servir pour le rituel avant de te le rendre.
Anya releva brusquement la tête stupéfaite.
- Je lui ai déjà dit que je ne savais rien. Waleda n’a rien laissé à ce sujet.
- Il faudra trouver un moyen de le découvrir si tu veux récupérer le grimoire.
Anya acquiesça seulement de la tête en guise de réponse et essuya ses larmes du dos de la main. Elle regarda un moment le vampire puis hésitante s’approcha et vint se blottir contre son torse. Elijah resta un moment interdit par ce geste auquel il ne s’attendait pas et qui le troublait autant qu’il le mettait mal à l’aise.
- Merci pour tout ce que tu fais pour nous…. et d’avoir veillé sur elle. Je n’imagine même pas à quel point cela a dû te coûter, ironisa-t-elle en sentant le malaise que son geste provoquait chez le vampire et dont elle devinait la cause.
Elle releva vers lui un visage sur lequel s’affichait un sourire complice qu’Elijah lui rendit.
Les deux amis s’enlacèrent à nouveau. Le vampire déposa un baiser affectueux sur le front de la jeune femme mais lorsqu’il releva les yeux, son regard croisa celui de Noura qui s’avançait vers eux en compagnie de Goran.
~*~
Véra avait attendu le milieu de la nuit pour s’emparer de la pierre et se faufiler hors de sa chambre. Klaus s’était retranché pour la nuit dans ce qui lui servait de bureau sans prendre soin de refermer le coffre. Le château était plongé dans le noir et le silence le plus absolu. Elle descendit prudemment les escaliers. A mi chemin, elle jeta un œil par-dessus la rambarde pour s’assurer que la porte du bureau était toujours close puis descendit les dernières marches et franchit les derniers mètres qui la séparaient de la porte d’entrée. Elle se mordit la lèvre et ferma les yeux de dépit lorsque l’écho des ferrures se répercuta dans le silence. Elle entrebâilla la grande porte et s’apprêtait à se faufiler au dehors lorsque la voix de Klaus la fit sursauter :
- Ça me navre que tu me prennes pour un imbécile. Tu croyais sincèrement que je ne me doutais pas de ce que tu préparais.
L’épaule appuyé sur la rambarde en pierre de l’escalier, Klaus la jaugeait froidement. Ils s’affrontèrent un moment du regard. Devant le visage fermé et froid de vampire, Véra recula imperceptiblement et ouvrit un peu plus la porte.
- Je ne te conseille pas de faire ça, menaça Klaus. Je te rattraperai de toute manière.
Le vampire s’approcha, la démarche arrogante et sûre :
- Tu aurais pu au moins attendre que je sois sorti au lieu de faire cela sous mon nez et de te faire prendre aussi bêtement.
- Oui mais si tu étais dehors, je n’aurais jamais pu faire ça.
Un sourire provocateur se dessina sur les lèvres de la sorcière qui d’un pas rapide franchit le seuil. Klaus se précipita sur la sorcière mais au moment de franchir l’encadrement de la porte, il percuta violemment un obstacle qui lui barrait la route. Furieux de s’être fait avoir de la sorte, le vampire lança de toutes ses forces son poing contre la paroi invisible qui le séparait de l’extérieur et affubla la sorcière de quelques qualificatifs peu flatteurs.
- Ça me navre que tu me prennes aussi pour une imbécile. Tu croyais sincèrement que j’allais partir comme ça, en pleine nuit, sans assurer mes arrières. Je t’avais prévenu de ne jamais sous-estimer les sorciers et surtout leur rancune. Je te souhaite bonne chance pour te sortir de là, lâcha-t-elle dans un éclat de rire.
- Espèce de sale garce ! Tu n’iras pas loin, je te remettrai la main dessus tôt ou tard, hurla-t-il.
Véra recula tout en lui faisant face :
- Mais je n’en doute pas et c’est bien la raison pour laquelle je vais choisir mes futurs alliés avec le plus grand soin, répondit-elle avant de faire volte face et de s’enfoncer dans la nuit.