C’était une rencontre que nous attendions depuis fort longtemps, Darkplanneur a enfin rencontré le plus parisien des illustrateurs mr Jean-Philippe Delhomme à l’occasion d’un projet collaboratif avec la maison Louis Vuitton: un projet étonnant car pour une fois, ce n’est pas Paris qu’il a décidé de croquer sous ses traits, mais une ville qui lui tient à coeur: New-York, dans un Travel Book tout en illustrations bien évidemment, qu’il a bien voulu nous dévoiler en tête à tête.
Darkplanneur : Qui êtes vous Jean Philippe Delhomme ?
Jean-Philippe Delhomme : Je suis illustrateur, mais pas que : j’écris et je fais plein de dessins qui ne sont pas des illustrations, des dessins qui existent en tant que tels.
D : Justement illustrateur, écrivain, blogueur pourquoi une telle pluralité de disciplines ?
JPD :Pour moi, c’est important de changer, d’aller d’un support à un autre pour rester justement intéressé par cette manière de rafraîchir son esprit, d’écrire, de dessiner et de faire des peintures. Toutes ces choses se nourrissent les unes aux autres.
D : Vos illustrations agissent telles des photos polaroïds, est ce voulu ?
JPD: J’ai toujours été inspiré par la photo : j’ai toujours considéré ce que je faisais avec un rapport à la photo, ou à des photographies de reportages. La photo c’est le médium le plus moderne, le plus contemporain, le plus courant… Le premier travail qui m’a fait connaître c’était une série qui s’appelait « polaroid », en l’occurrence des polas de deux jeunes filles car c’était pour un magazine de mode féminine.
Le polaroid était une manière pour les gens de se mettre en scène, comme ils le font aujourd’hui avec Instagram. J’aime que l’on sente un côté immédiat et spontané dans mes dessins, un côté spontané qui est proche d’un snapshop, un faux polaroid que l’on pourrait faire aujourd’hui ou un Instagram.
D : Que représente, pour vous, le Louis Vuitton City Guide ?
JPD : Ce n’est pas un guide. C’est très important de le préciser car effectivement les gens pensent que c’en est un. Il n’y a pas de texte, ni d’adresse. Cette collection est vraiment une carte blanche donnée à un artiste sur une ville. Cheri Samba a fait un livre sur Paris, avec sa vision de Paris. Moi, je vais à New York depuis les années 90, j’y travaille encore : j’ai un atelier là bas. Pour moi, New York est une ville où je ne me sens pas plus dépaysé qu’à Paris, à la limite plutôt moins d’ailleurs.
J’ai toujours été inspiré par la photographie : j’ai donc conçu cela comme un livre de photos avec des dessins pleines pages.
D : Vous, incarnation parfaite du parisien, vous avez décider d’illustrer une autre ville, New York, pourquoi ?
JPD : Au moment où la maison Louis Vuitton m’a proposé de faire ce livre j’étais à New York, dans mon atelier. Je pense que c’est une bonne chose de faire un livre lorsque l’on est vraiment dans la ville : le plaisir est de faire un livre en ayant le temps, et non pas aller 15 jours quelque part, prendre des photos et rentrer à toute vitesse. Il faut se le dire, New York est touristique et tout ce qui est touristique à New York, je déteste ! Ma démarche était donc de représenter ce que l’on voit de New York quand on y travaille, quand on marche le matin pour aller à un rendez-vous, ce que l’on fait le dimanche et quand on a passé 50 dimanches à New York, on ne va surtout pas voir Times Square croyez-moi… bien qu’ il y ait des dessins de Times Square dans le livre, car c’est important de les faire, mais quand je vais à Times Square le dimanche, je vais plutôt sur la rivière.
Times Square, c’est un endroit qui me fait horreur, j’ai donc essayé de montrer ce qu’il y a derrière Time Square. Ce qui est beau là bas, c’est le mix entre la solitude des gens et tous ces touristes plein d’espoir. C’est émouvant tous ces gens, qui viennent du monde entier et qui sont là en ayant une sorte d’espoir par rapport à L ‘Amérique. Finalement, ce ne sont pas simplement des touristes, mais des personnes qui ont des rêves.
D : C’est un peu l’incarnation du lieu de l’American Dream en fait non ?
JPD : Oui, et c’est très touchant. Les gens y croient, même moi parfois j’y crois… Il y a une rue à côté de Times Square que j’aime bien, elle montre la solitude, une certaine tristesse qui règne dans ces lieux. C’est aussi ce que je cherchais dans ce livre : rappeler ce qu’il y a de mythique à New York… comme par exemple, la rue de la musique avec la Racio City Music Hall où il y avait tous les magasins d’instrument de musique où tous les musiciens allaient chercher leur guitare. Aujourd’hui, il reste encore quelques mohicans tels que le Sam Ash Music Store ou de gros magasins de musique. C’est ce que j’ai eu envie de montrer, ce New-York un peu disparu.
D : Quelle histoire racontez vous dans livre balade ?
JPD : Je montre que ce ne sont que des indices de choses qui me touchent ou m’intéressent à New-York, ville inépuisable de trésors. Ce sont des choses qui me donnent encore envie de dessiner, des choses remplies de mystères, qui ont une âme… Au bout d’un moment, le problème d’une ville est qu’elle devient une vitrine touristique, et ça n’excite personne. Il faut donc chercher des endroits, des détours et dénicher ce qui est encore touchant. Si je montre New-York à quelqu’un, un ami qui n’est jamais venu, ce sont exactement les endroits où je vais l’emmener.
D : Quelles différences fondamentales voyez-vous entre le parisien et le new-yorkais ?
JPD : Il y a tellement de différences, des différences énormes.
Je pense qu’à NY, la chose essentielle, c’est que les gens ont envie d’être à fond dans ce qu’ils font. Tous ces gens viennent à NY car ils ont vraiment envie de faire le maximum, d’être compétents dans leur métier.
A Paris c’est différent, il y a quelque chose d’un peu fou autour de la mise en scène. Il y a des gens qui sont « à fond » dans leur boulot, et heureusement, mais on peut avoir une place sans faire grand chose, on peut « se la jouer » sans faire grand-chose à Paris.
A NY cette chose n’est pas possible, on ne peut pas « se la jouer » sans rien faire parce qu’on n’a pas assez d’argent pour tenir. Tout le monde est obligé de se surpasser dans le travail pour rester.
Paris, c’est « bohème » au vrai sens du terme : on peut être « non commercial », s’en foutre, ne pas répondre aux mails pendant 3 semaines, être dilettante, non professionnel.
D : L’Unknow Hipster serait-il en fait, la quintessence du new-yorkais ?
JPD : L’unknow Hipster est une approche européenne du new-yorkais. L’Unknow Hipster n’est pas « au taquet » comme un vrai newyorkais : il fait beaucoup de choses inutiles. Alors que les choses inutiles n’existent pas à NY : ils ne font que des choses utiles, utiles pour eux, utiles pour leur boulot. Les artistes vont côtoyer des gens utiles pour leur travail par exemple, ce n’est pas cynique, c’est comme ça. En fait, c’est plutôt un « Hippie » qu’un « Hipster ».
D : Le Blog « The Unknow Hipster » serait-il une réminiscence de votre séjour newyorkais ?
JPD : J’ai commencé à faire ce blog lorsque les gens prenaient le mot « Hipster » au sérieux, alors que c’était pour moi de la dérision. Quand le terme est apparu dans les années 50, le Hipster était déjà sujet de dérision, quand ce terme est revenu et avant qu’il soit « à la mode », des copains me disaient « He’s a real Hipster » ce qui était ironique. Le fait que le terme soit revenu à la mode, ça m’a amusé, je l’ai donc repris pour mon blog. Le « Unknow » parce que le Hipster c’est par essence quelqu’un qui veut faire de l’art, de l’écriture, de la cuisine, n’importe quoi mais qui ne veut pas être connu.
La vraie raison et c’est la première que je le dis, c’est que j’exposais des dessins de Hipster connus tirés du Purple Magazine, j’avais fait un dessin d’un Hipster qui ressemblait à un Hipster, puis lorsque je faisais la listes des prix, une fille m’a demandé : « mais c’est qui lui ? » et j’ai répondu « The Unknow Hipster » : c’est cool, c’est simple. Comme quoi les meilleures idées arrivent parfois avec un rebond…rires..
D : Pourquoi cette fascination pour le blog ?
JPD : Au début le blog était une parodie des autres blogs : je montrais l’absurdité qu’il y avait sur les autres blogs avec humour, le fait que les gens racontent leur vie sur ce support. Je voulais me moquer un peu de la forme du blog, puis en le faisant je me suis rendu compte que ce qui me plaisait c’était surtout d’utiliser ça pour parler de choses qui me plaisent : les personnes intéressantes que je rencontrais, les choses intéressantes que je découvrais, les villes nouvelles….
D : C’est intéressant votre démarche car elle est totalement l’envers: vous êtes devenu un blogueur en voulant parodier les blogueurs?
JPD : Oui c’est totalement vrai ! En fait ce qui est agaçant, c’est que Les gens sont en fait plus excités par le médium que par le contenu: et ça donne cette impression d’immense gâchis, alors que le concept de blog est génial ! Avant que tout le monde sache ce qu’était un blog, ils étaient déjà excités par le fait que ce soit un blog : le contenu, ils s’en foutent un peu. Puis ils ont été excités par Twitter, plus que le contenu et ce que l’on dit sur Twitter… L’hystérie d’être suivie par des milliers de gens..pffff..
Même les éditeurs de magazines ou de journaux (plus aux Etats-Unis qu’en France) font tous du contenu pour des Tumblr de marques. Toutes les marques veulent des Tumblr sans savoir ce qu’elles veulent mettre dedans, mais IL FAUT qu’elles aient un Tumblr. Du coup, les gens font des Tumblr qui ressemblent à des Tumblr fictifs. Il faut du contenu, du contenu parce qu’il faut exister, faire du bruit pour ne pas être mis de côté.
D: En parlant de contemporanéité / modernité, serait-il possible de vous voir illustrer sur Iphone ou Ipad comme le fait aujourd’hui David Hockney ?
JPD: David Hockney est sans doute l’artiste qui est le plus joueur avec les manières de dessiner, de peindre… C’est une sorte de génie. Il prend des crayons de couleurs, des pastels, de la gouache, de l’huile ou un Ipad : quand on regarde ce qu’il fait, on a envie de se remettre à travailler. Il transmet quelque chose.
L’expo qu’il a fait : la fondation St Laurent avec les Ipads était fantastique. Même si je n’aime pas vraiment dessiner sur un Ipad, si je peux je préfère prendre des vrais crayons de couleurs ou de la peinture.
Curiosité by Thomas